C’est le hasard d’un mailing envoyé à la Cliothèque par les nouvelles éditions Loubatières, une maison implantée en Midi-Pyrénées, que nous avons eu la chance de découvrir ce qui va très au-delà du simple polar, même avec un arrière-fond politique. « De chacun selon sa haine » décrit une mécanique implacable, et horriblement vraisemblable, qui pourrait conduire un pays démocratique, comme la France, à se transformer, en un champ d’affrontements où s’opposeraient des communautarismes concurrents. La trame romanesque et simple en apparence : deux jeunes professeurs, issus de la diversité, parfaitement intégrés, sont retrouvés égorgés à leur domicile. Leïla, capitaine de police d’origine turque est chargé de l’enquête, mais très vite cet assassinat déclenche des réactions de violence communautaire contre les « Français de souche européenne », ce qui suscite de la part de groupuscules d’extrême droite des réactions tout aussi violentes, et un sinistre cortège de représailles et de contre représailles.
Jusque-là nous restons dans le cadre du polar politique classique, et l’auteur qui publie ici son troisième roman, toujours chez le même éditeur, apparaît comme un « enfant » de Jean-Christophe Grangé. Mais cela va beaucoup plus loin. À l’origine de ce cycle infernal trois lettres : CLN. On pense évidemment au comité de libération nationale, mais il n’en est rien, il s’agit en fait d’un comité Louis Négrette, du nom d’un plombier intervenant dans un quartier sensible que l’on a laissé mourir en empêchant les secours d’arriver jusqu’à lui.
Les têtes pensantes l’obéissent pas aux règles de fonctionnement du terrorisme classique, avec les structures pyramidales et déconcentrées, les deux modèles étant à cet égard, les structures clandestines inspirées de l’internationale communiste, où les réseaux franchisés du type Al Qaïda. Ici c’est un autre modèle qui prend son inspiration dans trois systèmes différents : l’armée républicaine irlandaise, le Front National de libération au Sud-Vietnam et le front de libération national pendant la guerre d’Algérie. Le combat est mené au nom de l’indépendance nationale de la France contre ce que l’on appelle les colonisateurs ou les colons. Les coûts sont également portés contre les collabos, c’est-à-dire tous ceux qui sont partisans de l’intégration multiculturelle. La particularité de cette violence est également l’utilisation de la sous-traitance. Les commanditaires ne se salissent pas les mains et délèguent leurs actions au milieu traditionnel, celui du grand banditisme, avant que la recherche de l’exemple ne conduise à des initiatives individuelles ou collectives qui n’aient plus besoin d’être inspirées par un quelconque chef d’orchestre.
Ce qui est sûr en tout cas, c’est qu’au fur et à mesure des événements qui se déroulent, ces affrontements intercommunautaires et disons-le clairement interethniques, c’est la république qui vacille. Finalement avec un minimum de moyens il est possible de déclencher un effet boule de neige qui ébranle le socle républicain. Les écoles se ferment, des groupes d’autodéfenses se constituent dans les quartiers, les services de sécurité ne sont plus en mesure de répondre à des dizaines de milliers d’appels d’une population affolée, les services de l’État se retrouvent ébranlés dans leurs fondements mêmes. On aurait pu attendre d’un auteur qu’il connaisse un petit peu mieux les mesures existantes face à des phénomènes de ce type. Il faut savoir que dans ce cas précis, le dispositif Vigipirate au niveau écarlate fait intervenir l’armée. Dans une situation de ce type, des régiments qui sont formés à la conduite au combat en zone urbaine, et à la pratique de la contre insurrection, seraient déployés. Cela ne serait d’ailleurs pas sans conséquences. On est également un petit peu sur sa faim, parce que si le drame personnel que vit Leïla, le séduisant capitaine de police, est remarquablement décrit, le sommet de l’État apparaît bien absent dans cette histoire. Et c’est pourtant vers lui, dans notre pays de tradition jacobine, que se tourneraient tous les regards et surtout s’adresseraient tous les espoirs.
Mais il s’agit là de ce que l’on qualifierait de défauts mineurs, pour un sujet grave. Lorsque l’on parcourt les lotissements de ces classes moyennes, actuellement très convoitées par les candidats en campagne, que l’on voit ces hauts murs qui bordent les propriétés, et que dans les salons les écrans plasma diffusent en boucle des images anxiogènes, on se prend à imaginer ce qui se passerait vraiment si le point de départ de l’intrigue que nous propose cet auteur trouvait un début de réalité. C’est bien une des raisons pour lesquelles dans sa rubrique « faits de société » la Cliothèque propose une lecture critique d’ouvrage de ce type. Il y a bien sûr, et pourquoi bouder son plaisir, leur caractère distrayant, mais peut-être aussi une démarche propre à susciter réflexion et débat.
Bruno Modica