Didier le Fur, auteur de nombreux ouvrages sur la Renaissance, et notamment d’une biographie d’Henri II, propose une approche sous forme de dictionnaire pour cette période. Il commence par préciser combien la Renaissance est une construction intellectuelle. En être conscient permet et invite à reprendre sans cesse notre approche sur le XVIe siècle notamment. Cet ouvrage s’inscrit dans une collection des éditions Tallandier. Trois titres sont annoncés pour cette année traitant successivement du Grand Siècle, de la Belle Epoque ou du Second Empire. Le principe défini est qu’il s’agit de proposer un kaléidoscope d’une période sous forme de dictionnaire, en cherchant à mêler « savamment l’anecdote croustillante, les événements majeurs et la recherche historiographique la plus pointue ». Bref, un sacré défi sur le papier pour que ces trois éléments apparaissent !
Ce faisant, l’idée est aussi de restituer une époque dans sa vigueur et sa diversité. L’auteur présente par ailleurs ce livre comme une balade « parfois sur des chemins buissonniers ». Les trois principes annoncés sont-ils tenus ?

De l’anecdote donc

Didier Le Fur en distille effectivement tout au long du livre. On apprendra ainsi le destin de la cédille. Elle fut une curiosité littéraire, mais surtout, elle fut utilisée dans un best-seller de l’époque, Amadis de Gaule, ce qui favorisa son installation. L’anecdote se fait aussi dans des domaines plus lestes comme avec l’épreuve du congrès. Il s’agissait d’une procédure pour vérifier l’impuissance masculine. En effet, des abus avaient eu lieu et on chercha donc à éprouver la réalité de l’impuissance. Un mari et sa femme étaient rassemblés sous l’œil de matrones qui avaient le pouvoir d’ordonner caresses et baisers. Aucun homme en revanche n’assistait à l’épreuve, mais les matrones pouvaient intervenir. L’auteur propose aussi un chapitre intitulé « grossièreté et obscénité », où il livre un échantillon du vocabulaire de l’époque. Il insiste bien en disant qu’évoquer ses parties intimes ne posait alors aucun souci. Vous pourrez ainsi enrichir votre vocabulaire d’époque autour des mots cymbales, beluter ou ragoter. Une ribambelle d’autres est proposée. Vous saurez même l’origine du mot malotrus. Dans le domaine de l’anecdote toujours, Didier Le Fur revient sur la destinée parfois contrastée de personnages. Ainsi, on peut opposer La Pléiade à La Palice. La première fut d’abord peu connue et ce n’est que bien longtemps après que le groupe connut la célébrité, grâce à Sainte-Beuve ! La Palice en revanche fut vanté à sa mort pour sa vaillance, sa fidélité à la monarchie. Mais, à cause d’un mauvais recopiage d’un vers qui le louait d’ailleurs, La Palice devint pour l’éternité catalogué comme l’auteur de banalités. Cruel destin !

Des événements majeurs aussi

L’auteur passe en revue un certain nombre d’événements attendus comme l’édit de Villers-Cotterêts. Souvent résumé à la mise en place de l’état civil et du français, le texte est en réalité plus complexe. Pour la langue, l’édit a surtout « normalisé et unifié » des pratiques existantes. Quant à l’état civil, c’est un peu exagéré de le lui attribuer, car il n’y a mention que de l’obligation d’enregistrer les baptêmes : on est donc loin d’un état civil tel qu’on l’imagine aujourd’hui. Didier le Fur évoque la figure du chevalier Bayard et par une rapide historiographie, il souligne combien la destinée des personnages peut être fluctuante. Parmi les images marquantes du XVIe siècle, il y a aussi l’entrevue du camp du drap d’or censée confirmer la paix de 1518. Il faut d’abord se souvenir que ce genre de rencontre diplomatique fut longtemps exceptionnel. La rencontre entre François Ier et Henry VIII resta célèbre par le luxe qu’elle déploya. Pendant dix-huit jours, les deux rois se livrèrent « à une véritable compétition d’honneur et de vanité ». François Ier dépensa plus de 400 000 livres pour les festivités. L’auteur insiste sur l’énormité certes de la dépense, mais relativise par rapport au coût d’une guerre. Cependant cette entrevue se solda par un échec.
Enfin, sont évoqués les châteaux de la Loire. Didier Le Fur montre que « l’on n’a pas bâti, au XVIe siècle, seulement le long de la Loire ». Pourtant seul leur souvenir en demeure.

De la recherche historique enfin

L’auteur propose des entrées originales sous forme de question qui se révèle à l’usage de bons résumés. Ainsi en est-il de «qu’attendre d’un curé ? » En quelques lignes, l’essentiel est dit et il dresse une sorte de portrait robot : «l’homme souvent issu de famille paysanne aisée ou de petite bourgeoisie savait lire, écrire et compter, il avait aussi appris les dix commandements…. »
Est évoqué aussi le style Henri II qui n’apparut, si l’on peut dire, qu’au XIXe siècle ! Au XIXe siècle le nationalisme est fort et on cherche à affirmer une identité française que François Ier, classé comme trop influencé par l’Italie, ne peut incarner. L’auteur évoque également la question de la tolérance dans le contexte du XVIe siècle. Il précise qu’il s’agit d’une tolérance civile de la part d’Henri IV, idée qui était dans l’air depuis une quarantaine d’années. Finalement, il faut comprendre que, pour la première fois, était reconnue l’inefficacité de la répression. Il faut donc distinguer tolérance civile et tolérance religieuse, idée encore globalement inconcevable à l’époque. On pourra signaler aussi l’article consacré à «voyager en France». On apprend ainsi que le royaume aurait mesuré vingt-deux journées de long sur dix-neuf de large à cheval. On apprendra aussi que la voie la plus sécurisée alors était la voie d’eau. La vitesse variait selon le débit du fleuve. «Sur la Loire à la descente, elle pouvait atteindre huit à seize lieues par jour, un tiers de plus sur le Rhône mais à contre-courant seulement cinq pour la première et quatre pour le second ».

Au total, et tout au long de ses 260 pages, Didier le Fur distille des informations de tout genre sur le XVIe siècle. Mélangeant l’anecdote, l’événement majeur et la recherche, il offre effectivement un kaléidoscope de la France de la Renaissance. Chacun pourra y puiser des connaissances, ou être plus ou moins sensible à l’un des aspects du triptyque, mais dans tous les cas apprendra quelque chose. Une collection donc à suivre pour ses prochaines parutions.

Jean-Pierre Costille ©