Ce livre retrace l’histoire des Eglises réformées de la Rochelle et des campagnes environnantes (l’Aunis) au XVIe siècle. Il s’efforce d’expliquer les raisons du basculement de La Rochelle et de sa région dans la Réforme. L’auteur met en valeur le rôle de la capitale de l’Aunis dans la diffusion du protestantisme dans la région. Il s’agit d’un important travail brassant une documentation très riche.

Le basculement de La Rochelle dans la Réforme a bien entendu suscité un grand nombre d’études depuis les Recherches sur les commencements et les premiers progrès de la Réformation en la ville de La Rochelle du pasteur Philippe Vincent, rédigées dans la première moitié du XVIIe siècle. Parmi les travaux les plus notables, on peut citer ceux de Louis Delmas, Henri Patry, Étienne Trocmé (thèse de théologie de 1950) et surtout les recherches de Judith Meyer et Kevin Robbins. Judith Meyer (Reformation in La Rochelle. Tradition and Change in early modern Europe, 1500-1568, 1996) montre que le succès du protestantisme est politique. L’adhésion au parti huguenot de Condé en janvier 1568 est l’aboutissement d’un processus qui a vu la plupart des élites urbaines se convertir à la nouvelle religion. Kevin Robbins (A City on the Ocean Sea : La Rochelle, 1530-1650. Urban Society, Religion and Politics in the French Atlantic Frontier, 1997) voit dans l’adhésion au calvinisme une libération spirituelle et politique.Cette mise au point historiographique permet à Pascal Rambeaud de souligner l’absence d’étude sérieuse sur le développement du protestantisme dans les campagnes autour de La Rochelle. L’opposition entre la ville protestante et l’Aunis catholique, constatée par Louis Pérouas au XVIIe siècle, est-elle valable au temps de la Réforme ? L’étude du calvinisme dans les campagnes aunisiennes constitue donc un des enjeux majeurs du livre, lequel souhaite poser plus largement la question des origines de la Réforme (p. 22). Le colloque d’Aunis se révèle un espace d’étude pertinent dans la mesure où il correspond à la fois à un cadre politique (le gouvernement d’Aunis, érigé en 1373) et ecclésiastique (le terme de colloque désigne aussi bien une des institutions du système « presbytéro-synodal » protestant, inférieure aux synodes provinciaux et nationaux, qu’une entité géographique plus ou moins bien délimitée).Le premier livre constitue une présentation de la société aunisienne au milieu du XVIe siècle. L’auteur dégage les structures agraires de l’Aunis des années 1550-60 grâce à un dépouillement de 330 actes notariés dans les minutes de 20 notaires aunisiens sur deux périodes quinquennales (1558-62 et 1568-72). Les paysages sont essentiellement constitués de terres à vignes et de marais salants. Les relations entre les propriétaires (de plus en plus de marchands) et les laboureurs sont harmonieuses. A en croire l’auteur, ce type de relations est « à prendre en compte pour comprendre le succès des thèses calviniennes » (p. 61). Les sources notariales (dépouillement de 1377 actes pour les années 1558-62) permettent de présenter les réseaux commerciaux. L’Aunis est bien un des carrefours du Royaume mais on ne peut expliquer le succès de la Réforme par l’ouverture maritime. Pascal Rambeaud s’emploie ici à détruire un mythe encore vivace. Il souligne ainsi l’importance des liens avec la Bretagne et les pays du Sud de l’Europe. Les exportations vers les ports de la Hanse sont très faibles. Aucun document ne permet d’attester une diffusion de la Réforme par les voies maritimes. L’économie et la religion, du moins jusqu’en 1568, sont nettement séparées.

Le deuxième livre aborde la question des origines et de l’établissement de la Réforme en Aunis. Jusqu’à la fin des années 1530, la province est peu sensible aux « nouvelles idées ». Les premiers prédicateurs apparaissent vers 1539. Les tensions s’accumulent dans les années 1540. Les autorités sont sensibles aux thèses évangéliques mais ne souhaitent en aucun cas s’opposer directement au Roi. Elles sont à la fois complices et répressives. Malgré tout, l’Aunis du milieu des années 1550 n’a pas l’image d’un foyer protestant actif. L’Église réformée de La Rochelle est cependant dressée en 1558. La « mise en place des Églises réformées en Aunis » se fait sous l’action de prédicateurs venus de Genève. Certes, Pierre Richer, qui fonde l’Église de La Rochelle au retour d’une expédition au Brésil avec Villegagnon, n’est pas envoyé par la cité du lac Léman mais il se rend en Suisse dès l’été 1559. L’Église de La Rochelle reste tout de même « peu de chose » (p. 205) et n’est pas représentée au premier synode national qui s’ouvre à Paris en mai 1559. Le véritable développement des Églises en Aunis date de la première moitié des années 1560. Alors que la première guerre de Religion touche peu la région, les Églises réformées sont au nombre de six à la fin de l’année 1563 (voir la carte p. 207). Le colloque s’organise autour de La Rochelle, véritable Église-mère. Pascal Rambeaud met également en valeur le rôle du pouvoir municipal rochelais : l’adhésion de l’élite à la Réforme fut très vraisemblablement « contagieuse ». L’atteste la liste des 27 anciens du consistoire de l’Église réformée de La Rochelle en 1561 (pp. 303-304). Enfin, les seigneurs de la région ont également contribué à la diffusion de la Réforme. L’auteur s’efforce de dégager les caractéristiques démographiques et sociales des nouvelles communautés huguenotes. Les sources sont lacunaires puisque seuls subsistent les registres de Baptêmes, Mariages et Réceptions de l’Église de La Rochelle, lesquels comportent il est vrai la mention de nombreux Aunisiens non rochelais. Le succès est finalement rapide (graphiques pp. 243 et 244). La reconstitution des familles protestantes aunisiennes, obtenue par le croisement de sources notariales et des registres paroissiaux, permet à l’auteur de souligner la place des marchands, des artisans et des laboureurs dans les campagnes. Une étude éclairante du parrainage met en valeur le rôle structurant des élites dans la diffusion du calvinisme (p. 273 et suivantes).

Le troisième livre débute naturellement sur la grande rupture de 1568 : l’adhésion de La Rochelle au parti huguenot à l’instigation du maire de la ville, François Pontard. En septembre 1568, la ville accueille les princes protestants, Condé, Coligny, Jeanne d’Albret et Henri de Navarre. La Rochelle est alors une véritable capitale huguenote. S’y tient le septième synode national qui voit l’établissement définitif de la Confession de foi. Le siège de la ville par les armées de Charles IX (décembre 1572- juin 1573) n’entame pas la détermination des Rochelais. Pascal Rambeaud ne s’attarde pas sur la trame événementielle à laquelle il a consacré d’autres ouvrages (voir en particulier La Rochelle, fidèle et rebelle, 1999 et ses contributions dans La Rochelle, capitale atlantique, capitale huguenote, 1998). L’auteur poursuit son étude démographique et sociale. Il montre en particulier « l’émergence d’un refuge huguenot à La Rochelle » (p. 366) au cours de la troisième Guerre de Religion (1568-70). C’était déjà l’objet d’un article paru dans French History en 2000. L’auteur estime à 6800 le nombre de réfugiés à La Rochelle, soit près de 40 % de la population. 1160 ont été identifiés à travers les sources notariales et les registres paroissiaux. Il s’agit surtout de Poitevins et de Saintongeais. La Rochelle est également une ville-refuge en 1572-73 lors du siège (1600 réfugiés estimés). Pascal Rambeaud décrit la ferveur religieuse à La Rochelle qui accueille alors 54 ministres. Le refuge se pérennise entre 1573 et 1577. Les années 1568-77 sont également celles de l’affermissement du protestantisme dans les campagnes aunisiennes (carte p. 398). Les activités du colloque d’Aunis ne sont pourtant que très rapidement évoquées ; les sources disponibles ne sont pas véritablement présentées (pp. 412-413). Les derniers chapitres se concentrent sur la période 1578-99. La situation démographique se stabilise même si une nouvelle vague de réfugiés apparaît après 1585. Les institutions réformées sont désormais rodées. Du fait des lacunes des sources (les actes de synodes provinciaux et les procès-verbaux de colloques sont rares), l’auteur présente une courte étude des interventions des députés de la région aux synodes nationaux. Il n’est pas possible non plus d’avoir une véritable idée de la vie religieuse et disciplinaire des Réformés aunisiens au XVIe siècle du fait de l’absence de registres consistoriaux (p. 525). L’auteur conclut sur le recul que représente l’Édit de Nantes pour les Églises réformées de la région.

Comme on peut l’apercevoir, ce livre, construit à partir d’une documentation à la fois très large (en particulier les actes notariés et les papiers de l’Église de la capitale de l’Aunis) et très lacunaire, permet de mieux comprendre l’établissement du calvinisme à partir de l’Église-mère de La Rochelle. L’ouvrage s’appuie sur l’édition de plusieurs pièces justificatives et sur un grand nombre de tableaux, graphiques, cartes ou listes, pour certains renvoyés en annexes à la fin de chacun des trois livres, ce qui rend la lecture parfois difficile. Le cas de l’Aunis peut être confronté à ceux du Limousin ou de la Bretagne (travaux de Michel Cassan et Jean-Yves Carluer). Il reste que les sources disponibles invitent surtout à dégager les caractéristiques de la diffusion du calvinisme en milieu urbain. Une étude comparative de grande ampleur semble désormais possible. Les historiens disposent pour ce faire, outre le beau travail de Pascal Rambeaud, de nombreuses thèses. On peut notamment citer les travaux de Philip Benedict (Rouen), Maryélise Suffern Lamet (Caen), Penny Roberts (Troyes) ou encore Timothy Watson (Lyon).

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