L’auteur s’intéresse depuis longtemps au rôle et à la place des armées dans le fait colonial. Au-delà de l’histoire bataille c’est l’usage de la violence qui est mesuré et questionné à inscrire dans l’histoire et pas seulement dans la mémoire des vaincus. Le propos est de comprendre et non de juger leurs auteurs.
Jacques Frémeaux propose une synthèse, une approche globale en s’appuyant sur des exemples nombreux et variés sans pour autant en faire un récit détaillé. le lecteur qui souhaitera plus de précisions sur tel ou tel conflit devra se reporter à la très volumineuse bibliographie classée par zones géographiques. Le choix de considérer les guerres indiennes aux USA et l’expansion de l’empire russe au même titre que les empires coloniaux britannique, français, allemand… font l’originalité de cet ouvrage.
Un tableau général qui constitue une synthèse intéressante et nouvelle.
Dans un cadre chronologique réfléchi de 1830 à 1914 en cinq parties l’auteur aborde successivement, les aspects physiques et culturelles des guerres coloniales, sur des terrains lointains donc coûteux ; l’organisation des armées : contraintes logistiques, recrutement des officiers, soldats européens et troupes « indigènes, les guerres proprement dites et leur violence et les conséquences sur les opinions publiques occidentales,
Aux origines des conflits : la colonisation
Jacques Frémeaux décrit à grands traits des guerres lointaines rendues possibles par le développement de nouveaux moyens de communication (chemin de fer, télégraphe) dans des milieux hostiles tant sur le plan physique que sur le plan de la distance culturelle. les troupes sont confrontées tantôt à des sociétés peu organisées tantôt à des pouvoirs locaux souverains. Une place est faite au contact avec l’esclavagisme : colonisation, conquête et « droit de civiliser ».
Sans vouloir reprendre les origines économiques et stratégiques de la colonisation il dresse un tableau synthétique des origines des guerres coloniales en s’appuyant sur quelques exemples et analyse les motifs précis de quelques cas: logique territoriale, causes immédiates et défense d’un territoire acquis. Il montre comment est prise la décision entre hommes politiques et groupes de pression.
De nature les guerres coloniales apparaissent comme contraire aux guerres nationales du XIXe siècle quand l’enjeu est d’imposer une souveraineté quand les guerres européennes avaient pour but l’unité d’un peuple, d’une nation. Souvent déclenchées sur un incident local les chefs militaires disposent d’une liberté d’exécution (expédition de Madagascar en 1895) car seul le résultat compte pour les pouvoirs centraux. Dans un premier temps le territoire est contrôlé et administré par l’armée avant l’instauration d’une administration civile dont l’installation n’est pas toujours sans conflit avec les autorités militaires.
Les armées coloniales
Les besoins en hommes ne sont pas à sous-estimé comme en Algérie ou au Caucase. L’auteur propose des évaluations chiffrées des effectifs des troupes aux colonies par rapport à la métropole, les solutions choisies selon les pays et l’éloignement (marine, troupes continentales)
Un chapitre (plutôt illustré par aux troupes britanniques et françaises) est consacré aux officiers et soldats européens (formation des officiers, raisons du choix d’une carrière aux colonies entre aventure, avantages financiers et goût de la guerre, origine géographique et sociale). L’image du mauvais garçon attaché aux troupes coloniales est démenti. Un paragraphe spécifique est consacré aux Cosaques.
Quant aux troupes indigènes, elles sont considérées comme indispensables et comme un moyen de l’œuvre « civilisatrice ». Tour à tour le lecteur est entraîné en Asie, en Asie centrale, en Afrique du Maghreb au Soudan. Une place particulière est faite aux troupes noires mais aussi aux supplétifs indiens aux USA.
Les préjugés sur tel ou tel groupe fait du recrutement une véritable ethnographie en actes mais l’attitude des populations indigènes est elle-même différenciée.
Nature des contrats, réalités de la vie quotidienne, nourriture et place des femmes aux côtés des troupes, brassages ethniques, sans oublier la situation des cadres indigènes autant de sujets où divergent l’appréciation des pouvoirs métropolitains et des responsables locaux.
La description des types de bataillons, du nombre des soldats métropolitains et indigènes montre des armées efficaces. L’auteur recherche les éléments de cohésion: discipline de fer, esprit de corps, commandement. Quelques pages sont consacrées à de courtes biographies de « grands chefs » classés par générations.
Organisation
C’est toute l’organisation des différents corps d’armes qui est passée en revue, missions et armement. Au-delà des tâches purement militaires le génie est utilisé à la construction des infrastructures comme le chemin de fer transcaspien, d’autres troupes contribuent à la connaissance des contrées où elles séjournent ou combattent : relevés topographiques (Anglais en Himalaya, Français au Tonkin), renseignements opérationnels ou ethnographiques ( bureau arabe en Algérie; John Grégory Bourke spécialiste des coutumes des Indiens apaches, navajo et hopi).
L’acheminement des troupes est coûteux: le transport maritime constitue à la fois un poids budgétaire et un frein à la mise en place du corps expéditionnaire. la reconnaissance des voies d’eau intérieures est d’autant plus utile que les pistes sont souvent difficiles pour une troupe nombreuse et lourdement armée. Pour montrer la complexité de ces opérations l’auteur s’appuie sur l’exemple de la campagne dite de la rivière Rouge (Canada 1870). Le chemin de fer est d’autant plus intéressant qu’il sera ensuite utilisé pour le développement et la mise en valeur (quelques exemples en Inde et en Russie). Reste que le premier moyen de transport est l’homme; soldat ou porteur indigène, animaux quand c’est possible.
L’effort logistique, le ravitaillement des troupes en campagne sont traités avec minutie. Quelques campagnes illustrent le propos: Wolseley à Kumasi (pays Ashanti, 1873), expédition russe de Géok-Tépé (1880), l’avancée anglaise au Soudan, manœuvres stratégiques russes au Tukestan et britanniques en Afghanistan.
La guerre
La description de l’adversaire, des guerriers plus ou moins organisés mais qui opposent une réelle résistance, met en évidence la diversité des situations, l’origine de leur armement et la farouche volonté de s’opposer à la domination étrangère. Dans certains cas ce sont de véritables armées (Siks du royaume de Lahore, Zoulous, femmes guerrières du royaume d’Abomey, empire toucouleur) qui s’opposent à l’avancée des troupes coloniales, redoutées et redoutables (sentiment d’indépendance, fanatisme religieux) mais néanmoins vaincus.
Si la guérilla est souvent utilisée les succès sont souvent de courte durée.
A partir de ces constat l’auteur tente une caractérisation des conflits coloniaux dont le premier point est la dissymétrie des forces en présence. Les grandes opérations évoquées à grands traits montrent des affrontements, des assauts, quelques grandes batailles et la défense de garnisons attaquées.
La pacification et le contrôle des marches frontières sont illustrés par les cas français en Afrique et en Asie, des russes en Asie, des Anglais au Pamir.
Le contrôle des territoires mobilise à la fois l’action militaire et l’action politique en vue d’une colonisation : guerre des Boers ; action de la France au Maghreb de Bugeaud à Galliéni, au Tonkin ; occupation lâche des russes en Asie centrale, occupation des grandes plaines américaines.
Les réalisations sont observées dans le respect des coutumes, l’équilibre financier de la colonie, l’implantation des populations pour contrôler le pays.
Le rapport entre guerre coloniale et grande guerre et la réflexion sur quelques défaites complète cette partie : Kaboul 1842, Lombok (Bali), Little Big horn, Isandlwana (Transvaal), Adoua (Erythrée). Peu exploitées par les indigènes elles ont entraîné de violentes ripostes.
Le poids de la guerre
Cette dernière partie revient sur l’adaptation nécessaire des troupes aux réalités du terrain mais aussi sur le poids financier et les pertes des guerres coloniales.
Le chapitre « l’incroyable férocité de la conquête » est un temps fort de l’ouvrage. sans prendre parti l’auteur décrit une réalité destructrice sur le plan humain (pertes, déplacement de population), culturel (usage démesuré de la violence dans chaque camp).
L’image de ces guerres dans l’opinion publique a façonné une perception du monde entre vaincus et vainqueurs qui s’est exprimée tant dans la littérature, la peinture que dans la presse.