Jean-Clément Martin, spécialiste de la Révolution française, est l’auteur de nombreux ouvrages sur le sujet comme « Nouvelle histoire de la Révolution française » ou encore « La Terreur. Vérités et légendes ». Professeur émérite de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, il propose dans cet ouvrage de s’attaquer à plusieurs idées reçues sur un sujet qui n’en manque pas.
Etudier la période : un défi redoutable
Comme Jean-Clément Martin le souligne, pas facile de faire changer les idées sur un thème comme la Révolution française. Pourquoi ? Sans doute parce qu’un certain nombre d’évènements sont incontestables comme la dévastation des églises ou la persécution des nobles. Mais le problème, c’est que ces faits sont associés de suite à une interprétation forte. Ainsi, la mort de Louis XVI signifierait la fin de la royauté. Face à cela, le spécialiste peine à faire évoluer les choses et pourtant, sans cesse, il faut et il doit remettre son ouvrage sur le métier. La Révolution est le moment clé de l’histoire française. Alors face à un tel défi, que peut-on espérer réussir à propos de sa compréhension ? Jean-Clément Martin répond qu’il ambitionne de « gratter un peu les palimpsestes… recouvrant quelques évènements et processus… pour raviver les couleurs, inciter à regarder de près ce qui semble banal qu’on ne le voit qu’à peine ».
Quatre entrées pour tenter de débusquer les idées reçues
Après une introduction qui cerne l’ampleur du travail à mener contre les idées reçues, l’auteur propose une approche en quatre thèmes : « De quelques causes de la Révolution française » « Des acteurs de la Révolution française » « Des condamnations de la Révolution française » et « Les leçons de la Révolution française ». Chaque idée examinée est introduite par une phrase et commentée par une citation. Elle est ensuite abordée en quatre ou cinq pages et fait donc le point sur ce qu’on croit et ce qui est vraiment.
De quelques causes de la Révolution française
L’auteur examine ici quatre idées dont « C’est la faute à Voltaire », manière de s’intéresser au rôle des philosophes des Lumières. Il est en réalité bien difficile d’estimer la contribution des philosophes à un phénomène comme la Révolution. « Voltaire est plutôt un partisan d’un despotisme éclairé, loin de Rousseau ». Il faut aussi rappeler qu’il existe alors une forte opposition aux thèmes des philosophes. « La Révolution est fille de la misère » : ce schéma répété depuis le XIX ème siècle est loin de correspondre à la réalité. En 1709, l’hiver fut catastrophique et n’entraina pas pourtant de révolution. S’il y a une idée importante à retenir, c’est surtout que les inégalités deviennent plus visibles.
Il faut aussi souligner la diversité du territoire. Enfin, sur fond d’enrichissement global, l’écart entre les personnes est de plus en plus vu comme une situation inacceptable. « Le Roi et la Reine sont responsables de la révolution » : on retrouve là l’explication de type psychologique qui réduit les personnes à des stéréotypes. Enfin, la Révolution commença-t-elle avec la prise de la Bastille ? Il faut bien avoir en tête que, lorsque les Républicains de 1880 cherchèrent quel évènement mettre en avant, mieux valait, pour eux, parler du 14 juillet plutôt que du serment du jeu de Paume. Cet évènement donnait trop l’image d’une révolution des élites. On pourrait aussi mettre en avant d’autres dates comme commencement.
Des acteurs de la Révolution française
Cinq idées sont ici examinées dont « Les campagnes ont mené la Contre-Révolution ». Comme le dit l’auteur, cette dernière a généralement quatre visages : « l’aristocrate dégénéré, le prêtre fourbe, la femme crédule et le paysan naïf ». On peut constater qu’en 1789 la quasi totalité des Français est favorable aux réformes mais les déceptions s’accumulent. « La Contre-Révolution a été la rencontre conjoncturelle de sentiments profonds avec des occasions pour les exprimer ou qui ont ainsi créé une qualification contre-révolutionnaire ». Jean-Clément Martin revient ensuite sur le rôle de Robespierre, l’homme censé avoir eu le plus de pouvoirs.
En 1794, Robespierre dispose objectivement d’un pouvoir inférieur à celui que pouvait avoir Mirabeau en 1791. L’auteur développe ensuite le cas du Directoire sur lequel on passe souvent vite. Pourtant cet épisode correspond à un moment où le nouveau régime a un soutien large « même s’il est diffus et peu unifié ». Le Directoire parait à certains trop bourgeois pour qu’on s’y arrête. La question du rôle de Napoléon est aussi abordée avec ce qualificatif de fossoyeur de la Révolution. « Napoléon se situe plutôt dans l’invention pour sortir de la Révolution, donnant au pays des structures destinées à une longue postérité ».
Des condamnations de la Révolution française
Cette partie fait l’objet de six entrées. Peut-on considérer par exemple que la « Révolution française a fait table rase du passé ? ». Parmi les autres points ensuite abordés, il y a celui de savoir si la Révolution a fait naitre le libéralisme ou encore si elle est anti-religieuse. Sur ce dernier point, on rappelle souvent qu’en 1792 les prêtres furent victimes des massacres de septembre à Paris et à Orléans. On retient aussi souvent qu’entre 1794 et 1798, la politique antireligieuse est particulièrement active aussi. Pourtant, derrière cet état des lieux, Jean-Clément Martin invite à envisager la complexité des phénomènes.
En effet, c’est au nom du bonheur « prôné dans l’Evangile que des curés et des évêques s’engagent dans la Révolution, bénissent les drapeaux… ». Retenons que le sacré républicain est entré « en compétition avec le sacré religieux ». Le livre est aussi l’occasion de revenir sur la Terreur. Si l’on ne doit retenir qu’une chose, c’est qu’il n’y eut jamais de « système » politique organisé visant à « terroriser » le pays comme ce qui a pu exister dans l’Allemagne nazie ou la Russie soviétique. Sur un tel sujet, la part de l’idéologie quand on en parle aujourd’hui reste forte.
Les leçons de la Révolution française
La quatrième partie se focalise sur les leçons qu’on pourrait tirer de la Révolution française. Certains considèrent qu’il « reste des Bastille à prendre ». En effet, elle serait restée trop bourgeoise. Ensuite se pose la question de la comparaison avec d’autres révolutions. Doit-on considérer la française comme lae plus grande ? L’auteur ne peut que constater combien l’image d’une France patrie de la révolution reste ancrée dans le grand public alors qu’elle est très discutable. On peut réfléchir enfin pour savoir si la Révolution française marque le début des Temps modernes. Selon les pays elle n’est pas classée pareille. Ainsi, dans les pays voisins, la période contemporaine commence vraiment avec le XX ème siècle.
Jean-Martin Clément propose donc un panorama très complet et très efficace sur cet évènement qu’est la Révolution française. Il souligne en conclusion qu’on peut sans cesse réinterroger cet évènement sous de nouveaux angles. « Les mécanismes de prise de pouvoir, les enjeux de la mémoire et les comparaisons entre phénomènes de violence demeurent d’une actualité brûlante, et continuent de susciter des engagements ».
Jean-Pierre Costille