Ancien diplomate, universitaire, avocat, Georges Ayache consacre cet ouvrage à Moshe Dayan (1915-1981), général, stratège et ministre israélien, artisan des succès militaires israéliens lors de la campagne du Sinaï en1956 et de la guerre des Six Jours en1967. Il en souligne les très grandes qualités : assurer la sécurité d’ Israël, engagement auprès de ses soldats, sens de l’initiative stratégique, adaptation à une guerre moderne fondée sur l’emploi des blindés et de l’aviation.

Mais comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage, l’auteur souligne que Dayan, plusieurs fois ministre, n’a pas eu le rôle politique de premier plan auquel il aurait pu prétendre. Grand militaire, peut- être a t-il manqué de la «vision» qui en aurait fait un grand dirigeant politique. L’ouvrage est une biographie classique, d’une lecture agréable, portée par la sympathie critique de l’auteur pour son sujet. Au-delà de la personnalité de Moshe Dayan, l’ouvrage permet d’aborder les enjeux militaires et politiques de la période : naissance d’ Israël en1948, rôle déterminant de David Ben Gourion, dirigeant majeur de l’Exécutif sioniste, puis de l’Etat d’Israël, débats politiques, relations avec les Etats arabes, les grandes puissances et les Palestiniens.

Un enfant de Galilée

Moshe Dayan est né en 1915 dans le kibboutz de Degania en Galilée au sud du lac de Tibériade. C’est un sabra, c’est-à-dire qu’il est né dans le yichouv, le foyer d’établissement des juifs en Eretz Israël en Palestine. Ses parents, sionistes convaincus, avaient émigré quelques années auparavant (l’alya). Ils appartenaient à des familles juives orthodoxes d’Ukraine. Son père appartenait à une famille de notables de la communauté juive (un dayan est un juge du tribunal rabbinique) Sa mère appartenait également à une famille orthodoxe, mais elle connaissait la culture russe (elle avait lu Tolstoï),et par la suite écrivit de nombreux articles dans des revues du mouvement sioniste.

Quelques années plus tard, les parents s’installent dans une colonie agricole dont les terres ont été achetées à de grands propriétaires arabes à Nahalal un mochav (comme le kibboutz, le mochav est une exploitation agricole fondée sur le travail collectif ,mais la propriété de la terre est individuelle), l’idée étant de développer le yichouv par l’agriculture, mais on y trouve aussi l’idée de création du Juif nouveau par le travail de la terre. Les conditions de vie sont difficiles, la mise en valeur de la terre exige un travail acharné. Dayan effectue des études secondaires et universitaires solides.

Très jeune, il fait preuve d’un réel non conformisme. Il fréquente les membres des tribus bédouines et comprend l’importance du nationalisme arabe. Toutefois, dans les années 1920-1930 la situation des Juifs dans la Palestine mandataire est très difficile. Les colons juifs sont victimes d’émeutes antijuives meurtrières en1929 et surtout en1936. Les colons sionistes ont créé une force d’autodéfense la Haganah (« défense « en hébreu).

Moshe Dayan : un homme très tôt engagé dans la protection de sa terre

Les Britanniques ne sont guère favorables au mouvement sioniste pour ménager leurs intérêts avec les populations arabes du Moyen-Orient, mais la violence des émeutes de 1936 conduit les Britanniques à s’appuyer sur la Haganah dont Moshe Dayan fait partie. Il s’initie à une stratégie plus offensive qui vise à organiser des opérations de représailles contre les villages dont sont issus les assassins des colons juifs. Mais à partir de 1939, les Britanniques limitent l’immigration juive et durcissent leur position face au mouvement sioniste et Moshe Dayan et plusieurs membres de la Haganah sont emprisonnés par les Britanniques entre 1939 et 1941.

En 1941 et au début de 1942 la situation des Britanniques au Moyen-Orient est très difficile : l’Afrika Korps menace l’Egypte et les Allemands soutiennent les révoltes arabes. Les Britanniques s’appuient alors à nouveau sur la Haganah pour assurer la défense de la Palestine mandataire, mais aussi pour mener des raids en Syrie, alors mandat français administré par Vichy. Plusieurs futurs dirigeants d’Israël participent à ces missions : Moshe Dayan, libéré en1941, mais aussi Yigal Allon ou le jeune Yitzhak Rabin. C’est au cours d’une opération à la frontière syrienne que Dayan est blessé et perd son œil gauche.

La naissance d’Israël en 1948 marque évidemment un tournant majeur. Le chef de l’Exécutif sioniste David Ben Gourion joue un rôle majeur dans la naissance de l’Etat et dans son organisation militaire. Ben Gourion souhaitait mettre fin aux organisations d’autodéfense, comme la Haganah, plutôt socialisante, à l’intérieur de laquelle se trouvait une branche plusà gauche ,le palmach, mais aussi comme l’Irgoun, une organisation de Droite liée aux sionistes de Droite les « révisionnistes », et créer une armée nationale, Tsahal. Il procéda à la dissolution de ces groupes et se heurta brutalement à la Droite et à lIrgoun, mais son objectif était atteint. Tsahal devint une armée nationale moderne, bien équipée et professionnalisée, élément majeur de la défense d’Israël et ciment de la nation.

Moshe Dayan participa activement à la guerre de 1948-1949. Il était chargé de la défense de Jérusalem, puis il entreprit des opérations militaires dans le Neguev dont la mise en valeur représentait pour Ben Gourion un élément essentiel du projet sioniste. Moshe Dayan fait preuve d’initiative, de détermination à la tête de ses hommes. Il participe aux négociations de cessez- le -feu à Rhodes.

Le chef de Tsahal

Après la guerre, il poursuit sa formation stratégique. En 1953, il devient chef d’état-major de Tsahal, tout en développant une passion qui ne le quittera pas tout au long de sa vie pour l’archéologie. Dayan modernise l’armée et mène une politique de représailles contre les infiltrations de groupes terroristes soutenus par l’Egypte, qui font de nombreuses victimes israéliennes.

La crise de Suez va permettre à Dayan, alors chef d’état-major, de montrer ses qualités stratégiques. Nasser ferme le détroit de Tiran , ce qui empêche l’accès à la mer Rouge des navires israéliens. Après la nationalisation du canal de Suez par Nasser en juillet 1956, Dayan prépare les opérations israéliennes dans le Sinaï. C’est une opération fondée sur la surprise (largage de parachutistes au cœur du dispositif égyptien) et l’offensive. Lancée le 29 octobre 1956, l’offensive israélienne permet aux Israéliens de s’emparer de Gaza et de la quasi totalité du Sinaï et de s’emparer de Sharm el- Cheikh le 5 novembre.

L’offensive israélienne est relayée par une action militaire franco-anglaise qui suscite la colère de l’URSS et des Etats- Unis. Israël doit évacuer le Sinaï, mais le prestige de l’armée israélienne en sort renforcé Dayan poursuit ensuite l’œuvre de modernisation de l’armée. Ben Gourion avait bien résumé les qualités de Dayan « Vous possédez deux qualités fondamentales contradictoires à première vue :une audace folle tempérée par une profonde intelligence tactique et stratégique Ces qualités ont fait de vous l’un des meilleurs soldats de la défense d’ Israël.

En 1959,il est élu député à la Kneset au sein du parti Mapaï ,le parti de Ben Gourion , socialiste modéré .La jeune génération civile et militaire (Dayan ,Pèrès, Eban) entre en politique Dayan devient ministre de l’Agriculture. Il met en œuvre un programme d’irrigation du Neguev. Dayan démissionne en 1964 et exerce diverses activités, par exemple correspondant de guerre au Vietnam. Il analyse la puissance américaine, mais aussi l’incapacité des E-U à gagner la guerre. « Les Américains ici triomphent de tout sauf de la guerre. »

La guerre des Six Jours

Le début de l’année 1967 est marquée par un regain de tensions ,notamment avec la Syrie qui soutient les infiltrations de fedayin palestiniens à partir de son territoire. D’abord prudent, Nasser adopte une position plus radicale pour réaffirmer son leadership dans le monde arabe. Des accords militaires sont signés avec la Jordanie et l’Irak (il existait déjà un accord avec la Syrie). En mai 1967, Nasser obtient le départ de la force d’interposition de l’Onu dans le Sinaï, interdit à nouveau le détroit de Tiran aux navires israéliens, et mobilise 80000 soldats dans le Sinaï.

L’angoisse d’une guerre généralisée sur plusieurs fronts et surtout l’angoisse de l’anéantissement gagna les Israéliens. Le pouvoir politique était assez prudent par peur d’une condamnation internationale (la France avait décrété un embargo sur les livraisons d’armes) mais un certain nombre de militaires , en particulier Dayan, étaient favorables à une guerre préventive qui briserait la menace égyptienne. Le chef d’étatmajor Yitzhak Rabin avait élaboré les plans d’une guerre préventive fondée sur la destruction de l’aviation ennemie par l’aviation, par l’usage des forces blindées mobiles et rapides et l’emploi des parachutistes.

Le 1er juin Dayan est nommé ministre de la Défense. La guerre se déroule du 5 au 10 juin. Conformément au plan prévu ,l’aviation égyptienne fut anéantie avant d’avoir pu être. utilisée. A la fin de la guerre, Israël contrôlait la totalité du Sinaï, la bande de Gaza, le plateau du Golan, mais aussi la Cisjordanie et Jérusalem Est. La guerre est évidemment d’une grande portée. Elle brise le sentiment d’encerclement et la crainte de l’anéantissementelle permet aux Israéliens de se rendre au Mur occidental du Temple de Jérusalem ,mais elle pose la question des frontières d’ Israël et de l’administration de la population palestinienne. Dayan est chargé de l’administration des territoires occupés.

La position de Dayan était complexe, plutôt centriste et partagée par de nombreux Israéliens. Pour des raisons historiques et religieuses (la rive occidentale du Jourdain, la Judée et la Samarie était le cœur de l’Israël historique) et pour des raisons de sécurité (à ses yeux, le Jourdain devait être la frontière entre Israël et la Jordanie), il était hostile à une restitution de la Cisjordanie et de Gaza. Moshe Dayan était favorable à l’annexion et à la colonisation de la Judée – Samarie et de la bande de Gaza et au contrôle de Sharm el Sheikh dans le Sinaï .

Il savait que le contrôle des territoires, surtout en Cisjordanie, serait très difficile et s’accompagnerait d’une forte répression, mais il envisageait à terme une confédération israélo-arabe qui écarterait la perspective d’un Etat binational. Dayan pensait qu’il fallait laisser aux populations arabes le maximum d’autonomie, s’appuyer sur les élites municipales tout en affirmant qu’Israël devait conserver le monopole de la sécurité. Il laisse les autorités musulmanes contrôler les Lieux saints musulmans (les deux mosquées situées sur la colline du Temple). A Hébron (que les Juifs avaient fui après les massacres de 1929), siège du tombeau des Patriarches, il assure la coexistence religieuse Il favorise le développement économique, les liens avec la Jordanie. En revanche, il se montre très dur face à terroristes ( expulsions , habitations détruites). En politique extérieure, il renforce les liens avec les Etats-Unis.

Le traumatisme de la guerre du Kippour

Les Egyptiens et les Syriens songent à prendre leur revanche sur la défaite de 1967. Ils modernisent leur armée et disposent d’une importante aide soviétique en conseillers, mais aussi en missiles anti – chars et antiaériens. Sans ignorer totalement les risque de guerre, les dirigeants israéliens sous-estiment le danger. Ministre de la Défense dans le gouvernement de Golda Meir, Dayan s’oppose à une guerre préventive qui priverait Israël du soutien des Etats-Unis. Le 6 octobre 1973, jour de Yom Kippour ,les troupes égyptiennes franchissent le canal de Suez, tandis que les troupes syriennes menacent le plateau du Golan, position clé pour la défense de la Galilée , où se déroulent des combats acharnés et meurtriers. Pendant une dizaine de jours, Israël se trouve dans une situation très difficile, surtout dans le Sinaï. La situation se retourne à partir du 15 octobre.

Les Etats-Unis organisent un très important pont aérien qui approvisionne Israël en armement. Le 15 octobre, à la tête d’une division blindée, Ariel Sharon franchit le canal de Suez, et par une manœuvre audacieuse parvient à prendre à revers l’armée égyptienne. Sur le front nord, les Israéliens lancent une offensive dans la plaine syrienne. Un cessez- le -feu est signé le 24 octobre. Israël est parvenue à redresser la situation mais le bilan est très lourd (3000 morts, 8000 blessés), et pendant quelques jours, l’angoisse de la disparition est réapparue.

Surtout, Golda Meir et Moshe Dayan sont très fortement critiqués pour l’impréparation du pays face à la guerre. Dayan est détesté par les familles qui ont perdu un de leurs enfants à la guerre, même si la Commission d’enquête ne retient pas sa responsabilité. Il démissionne de son poste ministériel à la fin de 1973. Golda Meir se retire de la vie politique en 1974. Cette période marque la crise du sionisme socialiste au pouvoir depuis 1948 et l’ascension de la Droite.

 

Moshe Dayan : l’architecte de la paix avec l’Egypte

En 1977, le Likoud (parti de Droite) remporte les élections et Dayan accepte de devenir le ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Menahem Begin Son objectif est de réaliser la paix avec l’Egypte. De son côté, le président égyptien Sadate souhaite lui aussi faire la paix avec Israël. Dayan participe à des négociations secrètes au Maroc. Finalement, le président Sadate se rend à Jérusalem le 19 novembre 1977, ce qui conduit à la signature des Accords de Camp David en 1978, puis à la signature du traité de paix israélo-égyptien le 26 mars 1979.

Comme le soulignait Henry Kissinger : » La guerre était le métier de Dayan ,la paix fut son obsession. L’ Histoire se souviendra de lui comme le principal architecte du traité de paix avec l’ Egypte. » Sadate avait fixé trois conditions au traité de paix : le retrait israélien du Sinaï, des discussions sur le statut de Jérusalem et l’autonomie des Palestiniens. Israël restitue le Sinaï à l’Egypte, mais les discussions sur le statut de Jérusalem et sur l’autonomie des territoires palestiniens n’aboutissent pas, le gouvernement et Dayan étant hostiles à un retrait de la Cisjordanie et sous-estimant le développement du nationalisme palestinien.Dayan démissionne de son poste ministériel en 1979.

Très malade, il meurt le 16 octobre 1981. Il laisse ainsi le souvenir d’un militaire d’exception, à la fois par son attachement à la défense d Israël, son volontarisme et ses capacités stratégiques. Mais pour l’auteur, sa carrière politique n’a pas été à la hauteur de la popularité acquise après la guerre des Six Jours.