Les carnets d’un expert militaire ?
Pour ses analyses l’auteur est bien conscient du filtre de la censure. Il n’hésite d’ailleurs pas à en dénoncer les aberrations, exemples à l’appui, en comparant des séries d’articles de journaux traitant du même sujet. Cependant le contrôle de l’information semble efficace car même lui qui se veut expert semble ignorer que les Français emploient aussi des gaz de combat. Il regrette d’ailleurs que nous n’en utilisions pas, il est partisan de l’emploi des armes les plus radicales. Mais il est intéressant de voir comment son analyse de la situation et des hommes évolue sous l’influence des journaux. Sa vision de l’ennemi témoigne du poids de la propagande et de son passé alsacien. On est surpris par la violence de ses propos à l’égard des Allemands, lui qui enseigne leur langue.
On ressent également la marque du militaire du début du siècle marqué par l’idée de l’offensive. Il ne cesse de regretter la passivité supposée des forces françaises et alliées et espère qu’elles vont enfin attaquer et non seulement défendre. Il s’étonne du nombre de soldats mobilisés dans les services divers ou l’artillerie lourde en qui il ne voit souvent que des embusqués, à ses yeux, seul le fantassin de première ligne semble trouver grâce. Il n’a pas perçu les conséquences de la guerre de masse sur l’évolution de la composition des armées.Un citoyen dans la guerre.
Par sa profession, Auguste Vonderheyden est attentif à ce qui se passe autour de lui. C’est un lecteur assidu des journaux et en particulier Le Journal. Mais c’est aussi un père de famille qui a perdu un fils, officier, tué en 1914, et qui s’interroge sur le devenir du corps de celui-ci. Où repose-t-il derrière les lignes allemandes ? La blessure est profonde et le sort de ce fils amène à poser la question du deuil.
Mais c’est aussi un enseignant et l’on sourit lorsqu’il déplore la baisse de niveau des élèves du début du 20° siècle par rapport à leurs prédécesseurs ou lorsqu’il soupire face à ses piles de copies à corriger. Attaché à ses élèves, il est ému lorsqu’il évoque le sort des plus anciens et s‘interroge sur ce qui attend ceux qu’il forme alors. Il ne pensait pas voir partir les premiers au front et craint pour l’avenir des derniers. On voit combien la durée du conflit est un élément d’incertitude pesant pour tous.
Le destin de tous ces jeunes, comme la mort de son fils, l’amènent à consacrer de nombreuses lignes aux embusqués. Selon lui il y en a partout, il en croise dans les rues, il lit leur nom dans les journaux, il en entend parler par ses relations. Cela permet de percevoir la diversité des situations face à la mobilisation et ses affectations, l’expérience du soldat n’a pas toujours été celle du combattant de première ligne. Selon l’auteur la situation sociale ou les relations ont permis d’éviter la tranchée à certains. Il faut nuancer le propos, il y a aussi le cas de ceux qui devancèrent l’appel pour pouvoir choisir leur arme et éviter l’infanterie. Surtout l’auteur ne semble cependant pas mieux apprécier ceux dont les compétences, dans une guerre industrielle, étaient plus utiles à l’arrière que sur le front (employés des chemins de fer ou ouvriers spécialisés par exemple), pour lui tous sont des embusqués.
Une grande partie des carnets s’étend sur la situation intérieure et internationale. On perçoit la fibre patriotique d’un homme qui voudrait que tous et tout soient mobilisés pour la victoire. Lecteur assidu d’une presse plutôt patriotique, ses critiques n’épargnent personne : journalistes, ministres et députés. Il dénonce des discussions futiles, des procédures désuètes. Il demande de l’action et un pouvoir efficace et fort… Il est ainsi le reflet d’une certaine opinion publique qui refuse tout compromis face à l’ennemi.
A l’international peu d’alliés trouvent grâce à ses yeux. Pour l’auteur, la France, ses hommes, ses ressources, supportent tout le poids de la guerre. Les diplomates semblent incapables de trouver de nouveaux alliés. En 1916 il attend beaucoup de la Roumanie et surtout des Etats-Unis. Quant à ceux qui sont déjà dans le conflit, Russes, Italiens et surtout Britanniques sont l’objet de son courroux. Les Anglais sont accusés de faire faire la guerre aux autres à leur place pour préserver leurs hommes et leur économie afin d’être les grands vainqueurs à la fin du conflit. Les Italiens ne seraient selon l’auteur que bons qu’à implorer du secours alors qu’ils ne font face « qu’aux « Autrichiens. Les Russes sont un peu plus épargnés en raison de l‘offensive Broussilov mais la situation réelle du pays semble ignorée… L’auteur met d’ailleurs en scène les dirigeants de l’époque dans des dialogues imaginaires particulièrement savoureux.En conclusion
Auguste Vonderheyden aime écrire et transmettre et cela se sent dans ses carnets. En les lisant on ressent ses émotions, ses colères, mais aussi sa tristesse d’avoir perdu en fils. On perçoit ses sentiments politiques mais aussi la difficulté qu’a le civil d’avoir réellement des informations sur ce qui se passe en raison de la censure. Certains passages peuvent se prêter à une utilisation pédagogique. C’est par contre dommage que l’ouvrage ne comporte pas de carte et se limite en fait surtout à la période de février à juin 1916 : il n’y a qu’une petite vingtaine de page sur ce qui se passe entre juin et novembre 916 à savoir la bataille de la Somme et la contre-offensive française sur Verdun.
Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau