Écrite à quatre mains, A mains nues est une biographie de Suzanne Noël, première femme médecin en chirurgie esthétique.

La couverture de la bande dessinée nous montre une jeune femme, un scalpel entre les mains au-dessus du visage d’un patient recouvert d’un drap blanc. Pas de sourire, pas de larmes, pas de tensions, mais un regard assuré dévoilant une femme bien décidée à réussir le défi de la reconstruction faciale.  Clément Oubrerie a donné vie à Suzanne Noel sous les traits de cette Suzanne aux cheveux bruns, coupés courts comme ce fut la mode après-guerre.  Ces couleurs ont été données par Sandra Desmazières. Leila Slimani a rédigé le scénario.  Cette rencontre entre deux auteurs à succès (voir la géniale collection des Aya de Yopougon de Clément Oubrerie et le prix Goncourt de Leila Slimani pour Chanson douce) est une pure réussite.

 

Un biographie librement inspiré de la vie de Suzanne Noel

Le premier tome de A mains nues, nous raconte la vie de Suzanne Noël, bien que les auteurs informent le lecteur d’avoir pris quelques « libertés avec les faits historiques ».

Paris début du XXe siècle. Suzanne, originaire de Laon, se marie avec Henry Pertat, médecin. Bénéficiant de tout le confort moderne  » l’eau courante, le gaz et l’électricité  » (p. 11) grâce aux revenus de son mari, Suzanne se promène dans Paris, regarde les constructions pour la future exposition universelle, joue aux cartes, prend des cours de peinture. Cependant, cette vie bourgeoise et monotone l’ennuie. Elle décide alors de passer son baccalauréat, qu’elle obtient en 1903, devenant ainsi « la première bachelière de la famille » (p.23).  Puis, elle s’inscrit à la fac de médecine, découvre la vie estudiantine et … André, un autre étudiant de médecine.  En 1908, elle devient externe tout en étant enceinte. Mais, résolue à être médecin, Suzanne compte bien être à la fois, mère, épouse et médecin.  En 1911, elle se sépare de son mari et on continue à suivre la vie trépidante de Suzanne  d’un point de vue professionnel et familial dans la seconde partie de l’ouvrage. C’est à partir de là que les débuts de la chirurgie esthétique se confondent avec la vie de Suzanne, la première guerre mondiale agissant comme un accélérateur dans ce domaine.

Les débuts de la chirurgie réparatrice

La vie de Suzanne Noël peut être lue comme un documentaire sur les débuts de la chirurgie réparatrice. Débutant par ce que l’on n’appelle pas encore un lifting,  Suzanne est une véritable pionnière quand elle effectue sa première opération sur le visage de Sarah Bernhardt qui ne « veut pas renoncer à son art à cause des ravages du temps » (p. 67). Ensuite, c’est en tant qu’interne que Suzanne poursuit ses travaux, qui s’accélèrent avec le déclenchement de la guerre. Elle devient ainsi telle « une artiste » comme lui dit sa fille : Suzanne redonne vie à des visages défigurés par la guerre;  elle réalise, « à mains nues » un « chef d’œuvre » quand elle parvient à refaire le visage d’un soldat.

Une bande dessinée féministe

Au-delà de l’histoire de la chirurgie esthétique, au-delà du cadre historique du début du XXe siècle, cette bande dessinée est également un ouvrage qui défend l’engagement féminin, le travail féminin et la place de la femme dans le monde très masculin de la médecine C’est ainsi que mener de front, des études de médecine, une vie conjugale puis une vie de mère célibataire est de loin quelque chose de facile dans le Paris de la Belle-Epoque.

Suzanne essuyant des remarques misogynes lors d’un dîner mondain

Ainsi, les remarques méprisantes à l’égard de Suzanne proviennent non seulement des connaissances mondaines du  couple, mais également des étudiants en médecine (p.24) et des médecins (p.38 : « Voilà pourquoi les femmes ne devraient pas être médecin, leur corps n’est pas fait pour soulever des malades »).

 

Pour conclure,  cette bande dessinée est très plaisante à lire, parfois même captivante, le second tome est attendu avec impatience !

 

Pour poursuivre sur le thème des gueules cassées,  une émission du Cours de l’histoire sur France Culture a été consacrée à Suzanne Noël  le 13 novembre 2020 : https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/reparer-les-soldats-une-medecin-aupres-des-gueules-cassees

D’autres CR sur la Cliothèque vous présentent des ouvrages portant sur le même thème : un ouvrage de Sophie Delaporte, spécialiste des Gueules cassées ou un ouvrage, plus ancien mais très complet sur le service de santé aux armées   pendant la grande guerre