Le centre Pompidou de Metz a ouvert ses portes en mai 2010. Charlie Zanello y a travaillé pendant six années, occupant différentes fonctions à la librairie. Il en a évidemment profité pour visiter les collections, les expositions, permanentes ou temporaires, et donc croiser une grande diversité de personnages. Ce sont les situations créées par ces rencontres avec les objets exposés et les gens qu’il restitue aujourd’hui dans cet album. Ce qui frappe d’abord, c’est un style qui rappelle celui d’artistes comme Wolinski, mais avec un plus grand souci des détails qui environnent les personnages que Charlie Zanello dessine. L’esprit évoque les Fluide Glacial : de fait, l’auteur y travaille depuis 2012.
L’album se découpe en plusieurs pages, qui reposent sur une situation donnée, avec parfois une planche unique. Le tout suit un fil vaguement chronologique, puisqu’on part de l’« Embauche » de l’auteur jusqu’à son « Dernier jour ». Si l’on veut être encore plus précis, ces situations sont encadrées par deux dessins : le premier montre le centre conçu par Shigeru Ban, encore en construction ; le dernier le montre achevé, avec un Charlie Zanello qui s’en éloigne en tenant son vélo par le guidon. En réalité, la chronologie importe globalement peu dans la succession des planches, hormis pour certaines situations.
Charlie Zanello se met en scène dans ce cadre, observe et s’observe depuis son poste à la librairie, en mettant l’accent sur ce qu’il a de cocasse. On le voit avec son alter ego Rémi, allant saluer l’architecte d’un retentissant « ô soto gari » que les judokas apprécieront. Tout est à l’avenant, et repose sur le décalage entre la gravité qu’inspirent les lieux et ses propres préoccupations : aller chercher des catalogues dans la réserve, discuter avec les autres employés, participer à des visites des expositions en avant-avant-première (réservée au personnel du centre), le menu pour son repas du soir, etc. On croise alors Daniel Buren dans un ascenseur, un visiteur visiblement perturbé par la présence d’une pyramide qu’il pense hantée, les groupes en zombies, etc. Imaginons un Tati ou un Gaston Lagaffe au centre Pompidou : on les a avec cet album.
Mais au-delà de ces anecdotes et des incongruités, Charlie Zanelli montre l’ennui et son désœuvrement (ce qui n’est pas forcément pour lui déplaire). Il montre également comment, en l’espace de six ans, le personnel a été renouvelé et comment le souci de rentabilité de l’institution culturelle est devenu la grande priorité. Le centre Pompidou n’est plus là comme moyen de diffuser la culture hors de Paris, mais pour rapporter de l’argent. Chaque entité (la médiation culturelle ; la librairie ; la sécurité…) est livrée à une société privée particulière. Or, le bail de six ans accordée à la librairie arrive à échéance, ce qui remet en cause l’emploi de son personnel. Hormis les murs, c’est la question de la continuité du service culturel qui est posé, comme le montrent très bien les dernières planches (« Dernier jour »), avec le départ solitaire de Charlie Zanello, dans l’indifférence générale.
En nous proposant ce Dedans le centre Pompidou-Metz, l’auteur permet plusieurs niveaux de lecture, ce qui fait de l’ouvrage quelque chose de beaucoup plus complexe qu’il y paraît à première vue. On pourra aborder l’album sous un angle purement humoristique (et il y aura largement de quoi faire…). On pourra le reprendre pour percevoir l’évolution du centre, ou son fonctionnement. Et évidemment, quoi de mieux comme poste d’observation que d’accompagner Charlie Zanello ? Et en cheminant avec lui, on prendra plaisir à regarder certaines des œuvres exposées (dessinées en couleurs, alors que le reste de l’album est en bistre et en traits noirs), dont la liste figure en fin d’ouvrage. La déambulation dans le cul-de-sac présentant les moulages de gueules cassées (p. 37) ou la confrontation d’un groupe scolaire avec la Tabula de Hantaï (p. 23 à 26) valent le détour.
Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes