Dans un espace nordique dont la dimension stratégique pourrait redevenir essentielle, que peuvent faire une poignée de petits pays très développés, mais aux moyens somme toute limités et aux politiques militaires contrastées pour lutter contre des menaces diverses qui pèsent sur la sécurité ?

Publiée par les éditions Choiseul, diffusée par la Documentation française la jeune revue Nordiques est consacrée au Norden, cet espace européen rassemblant pays scandinaves et nordiques. Le dossier de ce numéro 19 rassemble des interventions et des interviews de chercheurs, mais aussi de cadres et de responsables militaires ou politiques.

Les pays nordiques entre alliance régionale, UE et OTAN

L’effondrement du bloc de l’est et les élargissements de l’UE et de l’Otan qui ont suivi ont poussé les pays nordiques et riverains de la Baltique a revoir leur relations extérieures en matière de sécurité et de défense.

La première possibilité, explorée par Lars Wedin (CEREM) Centre de Recherche de l’Ecole Militaire de Paris est un renforcement des liens militaires entre pays nordiques. La coopération militaire, qui a existé de façon ponctuelle sur un plan technique pendant la guerre froide, s’est essentiellement exprimée depuis la fin de celle-ci dans le domaine des opérations de maintien de la paix, coordonnées par un organisme spécifique, le Nordcaps. Mais en 2008 les chefs d’Eat-major de Suède, de Finlande et de Norvège ont proposé ce que l’auteur appelle une « alliance tacite »: une surveillance en commun des espaces aériens et maritimes. Les politiques, notamment suédois et norvégiens ont également prôné une « coopération renforcée » et avancé une possible solidarité régionale en cas d’agression.

Cette coopération régionale n’exclut toutefois pas les liens croissants avec l’OTAN d’une part et l’UE dans le cadre de la PESD Politique Européenne de Sécurité et de Défense d’autre part. Le dossier montre différents types de situations: les membres anciens de l’OTAN comme la Norvège, les anciens pays de l’Est qui sont devenus membres de l’OTAN comme l’Estonie, mais aussi les pays « non alignés », en tout cas non membres du pacte Atlantique comme la Suède et la Finlande (dont on rappelle ici les relations un peu forcées avec l’URSS après 1945). Or dans le domaine des interventions extérieures, la coopération avec l’Otan ou l’implication dans la PESD peut être poussée très loin.

Le cas de La Suède

La Suède illustre bien cette nouvelle donne; même si la Norvège et l’Estonie font l’objet d’articles spécifiques, ce pays est au cœur du dossier et y occupe le plus grand nombre de pages. La Suède se situe à un tournant de l’histoire de sa politique de défense. La ligne suivie pendant la guerre froide qui consistait à ne pas s’aligner sur l’un des blocs et donc à construire une défense autonome, coûteuse, n’est plus tenable. Kjell Engelbrekt (Stockholm) évoque les alternatives possibles après l’abandon de ce « non-alignement », ce qui lui permet de passer en revue les différents partenariats de défense dans lesquels la Suède est plus ou moins engagée: avec l’Otan, dans le cadre de la PESC et avec les voisins nordiques. L’équilibre entre ces différents engagements dépendra selon l’auteur d’un facteur externe: le renforcement ou l’affaiblissement du rôle de l’Otan en Europe. Les articles de Sophie Enos-Attali (IEP Paris) et de Laure Borgmano-Loup (représentation française à l’OTAN), également consacrés à la Finlande, soulignent par ailleurs le dynamisme et l’importance de l’implication du pays nordique dans la PESD et avec l’Otan: il n’hésite pas à apporter des moyens et matériels dans les opérations extérieures; ainsi 750 suédois sont engagés en Afghanistan et au Kosovo dans le cadre du Partenariat pour la Paix qui lie l’OTAN aux pays non-membres. Mais la Suède oeuvre également au rapprochement entre l’UE et OTAN tout en souhaitant maintenir une dimension nordique à la politique de défense européenne.
Vincent Boulanin (EHESS) analyse la coupure du cordon ombilical entre l’équipement de l’armée et la puissante industrie militaire suédoise: cet héritage de la guerre froide ne s’accommode guère d’une volonté de faire des économies sur le budget de la défense et d’orienter celle-ci vers les opérations de maintien de la paix à l’extérieur. Pour le premier ministre libéral, l’abandon du « made in Sweden » irait de pair avec la dérégulation du marché de l’armement en Europe. Mais l’effroi des industriels de défense suédois face à la perte d’un marché captif n’est guère apaisé par la perspective d’une réorientation vers l’exportation.

Quels adversaires ? Quelles menaces ?

Tous les pays nordiques ne se satisfont pas d’une réduction de l’effort de défense qui serait compensé par la coopération entre pays nordiques ou la protection par un ensemble plus vaste comme l’OTAN ou l’UE. Ainsi, la Norvège augmente-t-elle son Budget de défense pour renforcer ses capacités de surveillance des cotes Atlantique et Arctique. Un vide stratégique de ce coté, au moment où la fonte de la banquise accroît les appétits et les risques sur l’environnement serait vite rempli par d’autres puissances, russe, mais aussi Canadienne qui manoeuvrent dans la région. Par N. Svartifoss, attaché de l’ambassade norvégienne en France lie ainsi dans l’entretien qu’il accorde à Nordiques la protection du milieu et la défense plus strictement militaire.

Le retour d’une certaine guerre froide, rarement abordé de front dans le dossier, pose le retour d’une Russie offensive comme un enjeu important, voire préoccupant pour le Nord. Pour autant, les responsables interrogés lors des entretiens se refusent à présenter la Russie comme un ennemi, préférant l’insérer dans un tissu de coopération. Toutefois l’Estonie a bien été victime d’une attaque cybernétique paralysant son système internet en 2007, et l’attaque venait du territoire russe.

En dehors du dossier, d’autres dimensions géopolitiques sont évoquées: les îles Feroé pourraient bientôt obtenir leur indépendance du Danemark tout comme le Groenland sur le Groenland, voir le N°18 de la revue); Thomas Lapp (Tartu) rappelle l’histoire coloniale Danoise et l’évolution de ce territoire vers une très grande autonomie et montre les avantages de la perspective d’une séparation définitive à la fois pour le Royaume pour l’archipel. Enfin, l’entretien avec Gunnar Lund, ambassadeur de Suède en France, permet de comprendre la vision de la Suède sur la construction européenne à l’occasion de la présiedence suédoise de l’UE, notamment sur les élargissements et la question turque.

On le voit, les questions abordées ne concernent pas seulement les espaces nordiques mais permettent d’alimenter l’éducation à la défense, avec notamment la question de l’équilibre entre les interventions extérieures et la défense du territoire, celle du cadre de la défense des pays entre Europe, Otan. Cette lecture peut également se révéler utile pour les cours sur l’Europe. On regrettera peut-être l’absence de cartes mais on appréciera en revanche les entretiens dont les questions encadrent bien les propos et dont certains extraits pourront donc constituer des documents intéressants en classe.

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