C’est à l’association internationale des sociologues de langue française que l’on doit l’organisation du colloque « Stratégies d’insertion sociale des jeunes dans un contexte d’incertitudes » à Evora au Portugal. Un drôle de colloque puisque ce n’est pas tant ce thème qui a été traité à cette occasion qu’une réflexion sur la définition de la jeunesse et de sa pertinence à l’étudier qui a été mené. Il faut dire que le sujet, par sa définition complexe, a de quoi faire couler beaucoup d’encre. La tournure des débats de ce colloque a légitimé le titre du volume rassemblant les contributions des participants à cet événement.
La critique des divers regards portés sur la jeunesse
« Depuis le milieu des années 1960, en France, un étrange débat traverse épisodiquement le petit monde des sociologues : il s’agit de savoir si la jeunesse existe comme un groupe social relativement homogène ou s’il n’est « qu’un mot », selon la formule de Pierre Bourdieu (1980). » On en vient même à se demander si l’âge peut être retenu comme un angle de catégorisation pertinent pour comprendre les mécanismes qui structurent notre société. Les autres courants de la sociologie (sociologie de l’éducation initiée par Durkheim, celle des générations de Mannheim, celle de la déviance, celle de la reproduction – des classes sociales –) ont eu tendance à récupérer la jeunesse et à nier le fait qu’elle soit un domaine particulier de la sociologie. Si le texte de Bourdieu (La jeunesse n’est qu’un mot) a souvent été interprété par les médias comme ne pouvant être assimilé à un concept, il apparaît pourtant que Bourdieu fait de la jeunesse un élément essentiel de sa théorie de l’habitus : « ensemble de relations historiques « déposées » au sein des corps individuels sous la forme de schémas mentaux et corporels de perception, d’appréciation et d’action » (Bourdieu et Wacquant, 1992).
La jeunesse se forme en fonction du capital scolaire, culturel, relationnel. Elle est donc diverse. Le terme n’a pas du tout la même signification selon les époques. C’est ce que montrent bien les travaux de Giovanni Lévi et de Jean-Claude Schmitt (Histoire des jeunes en Occident, 1996). L’approche historique permet de constater que certaines périodes sont plus sensibles que d’autres à la question des jeunes. Au Moyen Age, la jeunesse s’éternisait tant que les détenteurs du patrimoine n’étaient pas décédés. « La division des âges est donc une affaire de pouvoir, de partage des pouvoirs et produit un ordre auquel chacun doit se tenir à sa place. » (p. 31) Le projet moral élaboré par les adultes pour les jeunes se heurte aux revendications juvéniles. Les rituels de la vie marque l’emprise des adultes sur cet âge intermédiaire. Les thématiques déployées autour de la jeunesse touche le plus souvent : l’emploi, les risques courus par les jeunes.
L’analyse et la critique des concepts qui servent à parler de la jeunesse
Les notions de transmission, de socialisation, d’intégration et d’insertion sont au centre des préoccupations sur les jeunes. Le texte de Marc Molgat montre que l’insertion part du principe que c’est aux jeunes d’agir afin de s’insérer alors que dans le cas de l’intégration, leur action ne suffit pas. Il faut que les autres acceptent de les intégrer. C’est ce que montre Christine Jaminon avec l’exemple belge où le système économique ne permet pas aux jeunes de s’insérer même si le système éducatif (article de Marc Lavallée) fait tout pour leur en donner les clés en étant un lieu de socialisation à la vie en groupe. Dans le cas des enfants d’immigrés (seconde génération), Myriam Simard estime qu’il faut appliquer une approche multifactorielle afin d’étudier leur insertion.
Où mettre l’accent dans les études sur la jeunesse ?
Les jeunes, en tant que classe d’âge à part, doivent être examinés (cf. Laurence Roulleau-Berger) par les « compétences de l’expérience » qu’ils développent. José Rose estime que le concept de stratégie n’est pas approprié pour étudier les jeunes et leur attitude face à l’emploi. Il tend à voir davantage les jeunes comme des sujets que comme des acteurs. La notion de « médiation » lui semble plus appropriée pour rendre compte des arbitrages qu’ils font entre école, famille, amis. Pour Jean-François Guillaume, l’attention portée sur la notion d’identité et sa construction pour étudier les jeunes tend à gommer le contexte social qui influe sur une trajectoire personnelle.
La place des cultures jeunes dans les changements sociaux de certains pays
Cette partie porte sur les nouveaux espaces inventés par les jeunes. En Afrique, la baisse du taux de mortalité, en accroissant le nombre de jeunes, modifie les rites traditionnels qui faisaient passer l’adolescent à l’âge adulte. L’école face à l’affluence n’arrive pas à remplir son rôle. Plusieurs textes affirment l’existence d’une culture jeune qui se manifeste par la prise de possession d’espaces intermédiaires qui ne relèvent ni de la vie privée ni des institutions publiques. Que ce soit en Afrique, au Brésil ou en Europe de l’Est, les jeunes investissent des espaces afin de s’exprimer : la rue est le théâtre d’une culture jeune sur tous les continents.
« La jeunesse est comme la famille, l’enfance, la vieillesse, la santé, la maladie…, un état ou une condition que chacun aura connu, expérimenté ou traversé. » Ce n’est pas pour autant que la définir soit une évidence. « La jeunesse n’est pas qu’un mot. (…) Les jeunes existent : on peut les rencontrer ! » Avec la crise de l’emploi salarié et ses conséquences sur l’entrée des jeunes sur le marché du travail se joue une « lutte des places » intense qui touche plus particulièrement les jeunes. Malgré tout, la transmission d’un capital culturel, économique et social par la famille demeure centrale. Les Héritiers (au sens de Bourdieu) ont plus de chance de se caser que les autres ! Jeunes, peut être mais dans un contexte social à ne pas négliger même s’il n’est pas toujours décisif. Faire de la sociologie de la jeunesse demande de prendre en compte non seulement le fonctionnement des sociétés et leurs modalités de reproduction et de « dénouer l’entrelacs des pratiques et des représentations qui en constituent les dimensions structurelles ».
Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes