Virgine Duvat, professeure de géographie à l’Université de La Rochelle, membre du GIEC et Alexandre Magnan spécialiste des questions de vulnérabilité et d’adaptation au changement nous propose une réflexion sur la notion de risque « naturel » à la lumière d’un certain nombre de cas, du Bangladesh à la côte vendéenne, de katrina aux tsunamis de 2004 et 2011. Ils décrivent comment un aléa se transforme en catastrophe, mécanisme et évaluation pour une prise en compte lucide dans un monde confronté au changement climatique qui devrait voir se multiplier les événements extrêmes.
Partant d’un postulat: les catastrophes « naturelles » sont produites par les sociétés, sans nier les aléas les auteurs souhaitent montrer l’importance du contexte politique, économique, social qui transforme un événement climatique ou sismique en catastrophe.

A partir de l’exemple de l’année 2013 les auteurs décomptent de 500 à 1000 catastrophes naturelles dans le monde chaque année: fréquence, diversité, intensité. C’est sur l’étude des vulnérabilités des sociétés que repose cet ouvrage qui choisit des exemples côtiers et insulaires remettant en cause une idée reçue « les pays en développement sont nécessairement plus vulnérables aux aléas naturels que les pays développés », idée qui pour les auteurs repose sur une vision économico-centrée.

A l’origine du danger, les aléas
Présentation des différents aléas climatiques : tempêtes, cyclones, submersion, sécheresse et tectoniques : tsunamis;
Les auteurs décrivent les processus en œuvre et évoquent les conséquences du changement climatique sur ces phénomènes.

Extrême pauvreté et aléas naturels au Bangladesh
Après quelques données factuelles sur le pays l’étude porte sur les très fréquents cyclones qui ravagent le pays associés à une importante et dangereuse érosion côtière ayant pour conséquence une salinisation des sols agricoles : 16 cyclones entre 1877 et 2009. Ce second chapitre montre comment ces catastrophes ont pu néanmoins avoir un effet bénéfique en amenant l’état à mettre en place des mesures pour limiter l’exposition des populations : digues anti érosives, plantation de mangroves, système d’alerte et construction d’abris-anti-cyclone.
La présentation d’un exemple précis : le village de Chukatoli qui cumule grande pauvreté et permanence des aléas permet une bonne compréhension des processus de déstructuration économique et sociale. A partir du témoignage d’un rescapé du cyclone d’avril 1991 les auteurs montrent aussi les effets des mesures préventives prises après ce cyclone et leurs limites. Bien que désormais alertés les habitants n’évacuent pas nécessairement la zone : alertes inutiles non suivies de cyclone, crainte pour leurs biens à la merci des pilleurs, inégalités d’accès aux abris, croyances religieuses.
Au vu de la pression démographique et de l’implantation humaine continue malgré le risque la conclusion pour le Bangladesh est plutôt pessimiste.

La France dans la tempête: la catastrophe « Xynthia »
Catastrophe inédite, imprévisible?
C’est vite dit, les auteurs reprennent l’histoire des tempêtes atlantiques hivernales associées à un fort coefficient de marée. Ils analysent ensuite la « poldérisation » du littoral depuis le Moyen age avec dès le XVIIIe siècle un système de surveillance et d’entretien des digues. Les évolutions plus récentes et en particulier l’urbanisation depuis les années 50 ont considérablement accru la vulnérabilité d’autant que la nouvelle population n’a pas de culture environnementale de cet espace contrairement aux agriculteurs et marins jusqu’ici implantés sur les secteurs les plus hauts.
Les défaillances du contrôle de l’urbanisation sont analysés ce qui conduit à une définition des responsabilités aux différentes phases: système d’alerte, décisions locales, gestion de la crise, état des défenses côtières dans un contexte général de décentralisation.
Les décisions post-crise sont décrites et mesurées : zonage, méthode d’indemnisation avant de conclure par un bilan financier et économique et l’intérêt de développer une culture du risque.

Katrina ou le cauchemar américain
Rappel des données et des conséquences du cyclone Katrina en 2005: une catastrophe prévisible, un contexte géographique à risque, une menace envisagée dès 2001, menace relayée dans la presse sans pourtant de mise en place d’une politique des risques.
La description fine du phénomène est complétée d’un intéressant schéma systémique.
Pour les auteurs si le phénomène a bien été brutal, la gestion de la crise a été catastrophique, une des raisons avancées est la focalisation des esprits sur la menace terroriste depuis 2001 qui a capté les réflexions et les énergies.
Ils tirent aussi les enseignements de katrina : l’existence de digues et le sentiment de sécurité qui en a découlé ont eu un effet négatif sur la prévention. Les auteurs posent la question des inégalités raciales et sociales face à la crise et de l’effet grossissant du traitement dans les médias.

Le cyclone Luis à Saint-Martin
Un témoignage introduit ce chapitre entre part de la nature et produit d’une histoire chaotique de cette île des Caraïbes. Ce sont ces deux aspects qui expliquent la catastrophe : île bi-nationale,inégal développement des deux parties, flux migratoires, lointaine périphérie mal ou peu administrée, mutation brutale de la partie française à partir de 1986, développement touristique et construction dans les zones basses, marginalisation de certaines populations, faiblesse des contrôles publiques en matière de réglementation de la construction, main d’œuvre non déclarée, soit un ensemble de réalités qui font en septembre 1995 de Saint-Martin un espace à société pauvre, inégalitaire et donc vulnérable.
Le cyclone Luis et ses conséquences ont mis en lumière les défaillances de l’État en matière de prévention, d’alerte et de gestion de la crise. Le rapport vulnérabilité sociale / vulnérabilité face à une catastrophe naturelle est ici clair.
Les auteurs proposent aussi un bilan économique insistant sur le rôle d’une artificialisation de développement touristique du fait de la défiscalisation des investissements et le peu de suivi des décisions de ne pas reconstruire en zone basse.

Déroute au « pays des tsunamis »: le Japon face à la catastrophe de 2011
Un bilan lourd pour l’un des plus important séisme connu sur l’archipel japonais engendrant un tsunami d’autant plus dévastateur que le littoral est plat : 800 km de côte, 400 km2 touchés, 16 000 morts et 3000 disparus chiffres auquels il faut ajouter l’accident de la centrale de Fukushima. La catastrophe se manifeste pat des impacts en cascade, développés dans un impressionnant schéma (p.156) qui font de cette catastrophe un désastre à ramifications multiples (p. 158) : humaines, économiques, environnementale, politique. Elle a démontré à la fois l’efficacité de la culture antisismique japonaise et m^me anti-tsunami qui a sans doute minimiser le bilan humain et une véritable culture du risque naturel. Les auteurs citant le géographe Philippe Pelletier parlent d’une « socio-culture de la coexistence entre l’habitant et le risque  » qui a permis de faire face dans les heures qui ont suivi le tsunami.
Ils en montrent aussi les effets pervers : les habitants se sont conformés aux consignes , n’ont pas pu imaginer un phénomène hors-norme mais la catastrophe est surtout un effondrement du mythe de la sureté nucléaire : déni de la réalité par les responsables de TEPCO, une impréparation réelle, l’absence de communication vers les populations.
L’intensité du phénomène a été accentuée par deux conditions préalables, le relatif isolement rural et une « addiction » des municipalités au nucléaire. Les aléas sont de fait un révélateur des fragilités territoriales. Pour demain les auteurs dénombres cinq enjeux :

  • l’enjeu énergétique
  • l’enjeu territorial – retour des populations évacuées?
  • l’enjeu environnemental – l’évaluation des pollutions radioactives demande du temps
  • l’enjeu social – gestion des traumatismes
  • l’enjeu économique – une évaluation délicate de la catastrophe
    La conclusion du chapitre porte sur les conséquences à l’échelle mondiale qu’il serait intéressant d’analyser.

Après le tsunami de 2004, quelle résilience pour les Maldives?
Dix ans après l’archipel e-t-il pansé ses plaies?
Quelques données sur ces îles éclatées, enclavées et à fleur d’eau, un rappel de l’impact direct du tsunami de 2004 et de ces conséquences économiques introduisent une réflexion sur la résilience. Si les réponses immédiates comme l’évacuation des populations décrite ici ont été efficaces qu’en est-il à moyen terme d’un retour à la normale. le processus de reconstruction a été réelle et assez rapide pour les habitations, moins pour les équipements collectifs (quais, système de collecte des eaux).
Le redressement de l’économie (pêche et tourisme) est en bonne voie notamment grâce à l’aide internationale mais aussi du fait des solidarités sociales.
La prise de conscience politique a accéléré la mise en place d’une politique de réduction des risques renforcée devant la menace d’élévation du niveau des mers dans le contexte du changement climatique. Les auteurs étudient la politique lancée en 2010 sur quatre îles pilotes.

Les États coralliens du Pacifique antre risques passés, actuels et futurs
Ce chapitre propose non pas l’étude d’une catastrophe mais une réflexion prospective à propos d’un espace sous la menace récurrente d’aléas climatiques aggravés par le risque l’élévation du niveau des mers : îles Kiribati, Tuvalu et Marshall.
La description des contraintes environnementales précèdent une analyse des stratégies d’adaptation originales adoptées depuis toujours par les populations mais mises à mal par les évolutions actuelles (concentration sur les îles capitales).
La question de l’avenir est posée: mesures de protection, rôle des instances internationales, projets politiques d’équilibrage des populations (Kiribati). Pour les auteurs la capacité d’adaptation interne est faible, l’aide internationale incontournable.

Des fondements de la vulnérabilité des sociétés aux solutions de demain

  • Il s’agit d’une discussion autour des facteurs de vulnérabilité: physiques, racines socio-économiques et culturelles, action politique. Quatre points forts s’en dégagent : la nécessité du lien homme/environnement
  • quand le phénomène est de très forte intensité on peut parler de vulnérabilité générale
  • le mythe de la sécurité totale
  • la reconstruction nécessaire des solidarités à différentes échelles.