Compte rendu réalisé par Gaïa Laurent, étudiante en hypokhâgne (2023-2024) au lycée Claude Monet de Paris, dans le cadre d’une initiation à la réflexion et à la recherche en histoire.

 

Présentation

Née en 1928 à Paris, Michelle Perrot est une historienne, professeure émérite d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Diderot, où elle a commencé à enseigner dès 1973, et militante féministe française. Issue d’une famille de la petite bourgeoisie catholique parisienne, elle reçoit une éducation dans un collège catholique de jeunes filles. Ébranlée par le monde en crise après la Deuxième Guerre mondiale, Michelle Perrot, animée d’un puissant désir d’agir et de comprendre, s’inscrit en 1946 à la Sorbonne, où elle étudie jusqu’en 1951, et découvre l’histoire économique et sociale avec Ernest Labrousse, une rencontre qui fut décisive dans sa vie. Souhaitant d’abord travailler sur le féminisme, son professeur l’en dissuade et elle se tourne vers le mouvement ouvrier. Sa thèse, soutenue en 1971, s’intéresse aux grèves ouvrières du XIXe siècle. Elle a donc beaucoup travaillé sur l’histoire du mouvement ouvrier et sur le système carcéral français, ce qui lui a permis de collaborer avec Michel Foucault et d’animer, de 1986 à 1991, un séminaire avec Robert Badinter sur la prison sous la Troisième république. Mais Michelle Perrot a surtout contribué à l’émergence de l’histoire des femmes dont elle est l’une des pionnières en France. Elle débute au printemps 1973 avec un cours sur les femmes intitulé : « Les femmes ont-elles une histoire ? ». Ses travaux se multiplient par la suite. Elle a notamment codirigé avec Georges Duby la première grande synthèse que sont les cinq volumes de l’Histoire des Femmes en Occident, de l’Antiquité à nos jours (Plon, 1991-1992) ou encore Les Femmes ou les silences de l’histoire (Flammarion, 1998). En 2014, Michelle Perrot obtient le prix Simone-de-Beauvoir pour la liberté des femmes.

La même année est publié Des femmes rebelles : Olympe de Gouges, Flora Tristan, George Sand chez Elyzad (maison d’édition franco-tunisienne). Ce projet d’écrire trois portraits de femmes lui est proposé par Leïla Sebbar, écrivaine française. Michelle Perrot réhabilite dans cet ouvrage la mémoire et l’héritage de personnalités longtemps oubliées et qui ont tant contribué à la cause des femmes. Elle décide alors de choisir trois femmes, qu’elle connaît inégalement (Olympe de Gouges étant celle qu’elle connaissait le moins). Michelle Perrot s’est principalement appuyée sur leurs écrits et a eu accès aux textes d’Olivier Blanc qui a écrit une biographie d’Olympe de Gouges et publié ses textes. Ayant déjà lu les livres de Flora Tristan, Michelle Perrot était familière avec cette figure. Elle a découvert George Sand à travers ses correspondances, publiées par Georges Lubin. Cet ouvrage de 224 pages se présente sous la forme de trois portraits, répartis en trois parties distinctes : « Citoyenne Olympe de Gouges (1748-1793) », « Flora Tristan, la voyageuse indignée (1803-1844) » et « George Sand : une femme dans le siècle (1804-1876) ». Précédée d’un prélude qui sert à présenter les trois femmes, chaque grande partie compte donc un portrait, une bibliographie et des textes choisis.

 

Résumé

Michelle Perrot amorce son ouvrage par un prélude dans lequel elle présente brièvement les trois femmes dont elle va parler, qu’elle considère comme des « femmes engagées, libres et rebelles, figures de proue d’un féminisme qu’on ne nommait pas encore ». Tout d’abord, Michelle Perrot insiste sur leur vie dans le temps, qui fut inégale, et leur caractère républicain et leur désir partagé de République. Olympe de Gouges (1748-1793) fut « emportée par la révolution », Flora Tristan (1803-1844) mourut au cours d’un voyage militant et George Sand (1804-1876) a « vécu toutes les révolutions » dont elle a connu l’aboutissement. Michelle Perrot continue en présentant leurs similitudes, comme leur naissance, qui constitue une fracture à l’origine de leur marginalité. Issues de la bâtardise, mariées très jeunes contre leur gré, elles dénoncèrent la violence du mariage et la domination du mari, revendiquant toutes trois le droit au divorce. Ce passage permet à Michelle Perrot de s’attarder sur l’évolution historique de ce droit. Elle les présente ensuite à travers leur beauté et leur image, leurs amours libertines, leur « tendresse maternelle » et leur goût pour le voyage. Michelle Perrot décrit leur attachement à Paris, leur éducation et leur rapport à l’écriture. Elle s’intéresse à leur engagement dans les luttes politiques et sociales, les replaçant dans les révolutions : Olympe tuée par la Révolution qu’elle avait souhaitée, Flora et George, quant à elles, en sont les héritières. Les qualifiant de « féministes sans le mot », Michelle Perrot prend soin de replacer ce combat et le « féminisme » dans son contexte : inventé par Pierre Leroux, il désignait d’abord une maladie et est repris par Hubertine Auclert, première « suffragiste » française.

Dans la première partie intitulée « Citoyenne Olympe de Gouges (1748-1793) », Michelle Perrot fait le portrait d’une femme « citoyenne ». Elle commence en la présentant sous l’angle de sa « mauvaise réputation ». En effet, Olympe de Gouges fut discréditée de manière plus ou moins virulente et critiquée pour ses prises de position politiques dès 1789 et son engagement pour les droits des femmes. Michelle Perrot fait référence notamment au docteur Alfred Guillois et à son Étude médico-psychologique sur Olympe de Gouges. Considérations générales sur la mentalité des Femmes pendant la Révolution Française (1904), et au terme d’« antiféminisme », miroirs de l’hostilité à l’émancipation des femmes à l’époque et qui a perduré. Elle rappelle également les rôles des femmes dans la Révolution française, comme la marche sur Versailles les 5 et 6 octobre 1789. Dans la partie « Vivre autrement », Michelle Perrot s’intéresse à la situation maritale des femmes dans la société patriarcale du XVIIIe siècle (elle fut mariée contre son gré à vingt ans) et au combat d’Olympe de Gouges de faire valoir une libre recherche de la paternité et la reconnaissance d’enfants nés hors mariage. Elle replace notamment Olympe de Gouges à l’époque des Lumières à laquelle elle participa en soulignant son amitié avec Jean-Jacques Rousseau. La partie suivante, « Écrire », s’intéresse à sa condition d’écrivaine et à son rôle notamment dans le théâtre ; sa pièce Zamore et Mirza rappelle la société esclavagiste du XVIIIe siècle et les combats qui s’y opposent. Ainsi, Michelle Perrot souligne l’absence des femmes dans le milieu littéraire : sur 2 627 pièces du répertoire du Théâtre-Français entre 1680 et 1950, on ne compte que 77 pièces de femmes. Dans la partie « Une femme dans la Révolution », Michelle Perrot en profite pour dépeindre une société mal en point et qui connaît d’importantes tensions sociales. Elle rappelle les événements révolutionnaires et historiques les plus forts, qui marquèrent Olympe de Gouges, comme la prise de la Bastille le 14 juillet 1789, l’abolition des privilèges, la condamnation à mort du roi et de la reine, ce à quoi Olympe de Gouges était opposée. Dans les deux parties suivantes : « L’imprudente Olympe de Gouges », « Femme, réveille-toi », Michelle Perrot rappelle ses dates d’arrestation (20 juillet 1793) et d’exécution (3 novembre) et raconte ses derniers instants de vie. Elle rappelle l’absence des femmes dans la politique et les contestations de quelques hommes, comme Condorcet. Enfin, dans « Une déclaration révolutionnaire », Michelle Perrot présente son texte principal et le plus important, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (14 septembre 1791), dont elle souligne la modernité, et termine en rappelant qu’en 2013, la décision négative à sa panthéonisation a néanmoins su reconnaître « sa place dans l’Histoire ». Ce portrait est suivi d’une bibliographie et d’extraits de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.

Dans le deuxième portrait intitulé « Flora Tristan, la voyageuse indignée (1803-1844) », l’historienne se penche sur cette femme née en 1803 qui vécut sous l’Empire, la Restauration et la monarchie de Juillet. La première partie « Prolétaires exploités et femmes esclaves » permet de faire une sorte de bilan de la condition des femmes. Leurs droits sont réduits par le Code civil et, malgré l’avènement du suffrage universel en 1848, les femmes n’ont toujours pas leur mot à dire. Pour Michelle Perrot, « les révolutions sont des brèches où les femmes s’engouffrent » et elle le montre avec les premiers journaux de femmes comme La Femme libre ou La Femme rebelle. Dans la partie « Les malheurs de Flora », Michelle Perrot s’applique à présenter une femme autodidacte mais prisonnière de sa condition de femme et d’épouse. Battue par son mari (qui en vînt à lui tirer dessus), Flora s’insurge contre la domination masculine et ses combats s’inscrivent dans la continuité de ceux d’Olympe de Gouges. La partie « Faire parler sa douleur » présente une femme qui utilise les lettres et sa douleur personnelle pour se faire porte-parole des femmes ; elle ose parler et s’indigner. Elle se met alors à écrire des récits d’enquête et de voyage, elle excelle au reportage et tient quotidiennement un « tour de France » de 1843 à 1844 pour prêcher l’union ouvrière (elle est l’autrice d’un des premiers projets d’organisation ouvrière). Dans « Une voyageuse consciencieuse », Michelle Perrot raconte le goût de Flora pour les voyages. Elle voyagea au Pérou, du 7 avril au 18 août 1833 et fut une des premières actrices de l’internationalisme. Michelle Perrot montre également l’approche sociale de Flora lors de ses voyages : elle observe attentivement, prend des notes, interroge. Dans « Pérégrinations d’une paria : le premier voyage de Flora », Michelle Perrot s’applique à rappeler la condition patriarcale et esclavagiste au Pérou, contre laquelle Flora se révolte, et la qualifie d’« abolitionniste ». L’accueil fait en France et au Pérou de son œuvre Pérégrinations d’une paria montre le dédain et l’hostilité de l’époque pour les « femmes auteurs ». Les dernières parties « Promenades dans Londres (1840) » et « Le tour de France » s’attardent sur l’esclavage et le prolétariat anglais, ainsi que sur les inégalités qui se creusent. Flora s’intéresse aux classes ouvrières, aux prisons, à la situation des femmes. Elle exhorte notamment les ouvriers à revendiquer leurs droits avant de mourir à Bordeaux le 14 novembre 1844. Ce portrait est suivi d’une bibliographie et d’extraits, notamment de Pérégrinations d’une paria à propos de l’esclavage, de Promenades dans Londres autour des prolétaires anglais, de son Tour de France sur les classes ouvrières.

Le dernier portrait est celui de « George Sand : une femme dans le siècle (1804-1876) », pour lequel Michelle Perrot souligne la longévité. Elle est la plus jeune et la plus connue des trois. Dans « Le sens de l’Histoire », Michelle Perrot souligne le rapport de Sand avec l’Histoire et rapporte que pour elle « tout est histoire ». Ses œuvres sont traversées par l’histoire et font écho à l’actualité, que ce soit par rapport aux femmes ou au monde ouvrier. Michelle Perrot rappelle ici les « tumultes » du siècle auxquels Sand est accrochée (républicaine en 1830, socialiste en 1848, elle a connu l’Empire, la Commune et l’avènement de la IIIe République). Dans « Paradoxes sandiens », Michelle Perrot rapporte les nombreuses difficultés à l’établissement de la démocratie et rappelle que le droit de vote n’est accordé aux femmes qu’en 1944. George Sand protesta contre le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte mais ne s’exila pas. Néanmoins, elle ne revendiqua pas le droit de vote pour les femmes en 1848. Selon elle, le manque d’instruction était « le plus grand crime des hommes envers les femmes ». George Sand a lutté notamment contre l’inégalité dans l’éducation. Dans « Les chemins de la République », Michelle Perrot retrace le chemin politique de George Sand en la reliant aux principaux événements. Elle salue avec enthousiasme les Trois Glorieuses (1830), participe avec conviction à la Révolution de 1848 et assiste impuissante à l’établissement du Second Empire. Elle résiste au pouvoir en place et s’affirme par l’écriture. Dans « Une femme libre » et « La rage d’écrire », Michelle Perrot s’intéresse à sa vie d’artiste libre et à son amour pour l’écriture. Elle eut de nombreux amants, des passions dévorantes et redoutait les ennuis du mariage ; elle se préférait indépendante dans sa vie et dans son travail (qui se comprend notamment par le choix d’un pseudonyme masculin). Ce portrait est suivi d’une bibliographie et d’extraits biographiques de George Sand.

 

Appréciations

Des femmes rebelles est une œuvre qui a un intérêt historique particulier puisque Michelle Perrot expose ici le portrait de trois femmes de lettres qui ont participé, chacune à leur époque, à écrire l’Histoire, et plus précisément l’histoire des femmes. Les portraits sont riches de références historiques, ce qui inscrit ces trois femmes dans leur temps : Olympe de Gouges a activement participé à la Révolution française, Flora Tristan et George Sand, ayant vécu sous le Ier Empire, ont respectivement participé aux révolutions de 1830 et 1848. La lecture de cette œuvre est particulièrement agréable, notamment par l’écriture fluide et simple de l’historienne. Le prélude permet une approche commune à travers les différences et les points communs de ces trois figures pionnières, qui sert de brève présentation. Ce prélude permet également de replacer ces femmes dans un contexte historique précis, rappelant leur rapport aux révolutions et leur désir partagé qu’était l’avènement de la République. Cette présentation permet également d’introduire la matière historique traitée : l’histoire des femmes, à travers l’histoire personnelle de ces trois femmes. De plus, ces portraits sont enrichis d’extraits choisis par l’historienne elle-même, ce qui montre le travail fourni quant à la recherche et au choix de ces textes. Par exemple, la  Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est à la fois une source et un texte à matière historique, qui rappelle la condition des femmes lors de la Révolution française. Il aurait toutefois été intéressant d’avoir un extrait d’Indiana, une des principales œuvres de George Sand sur la condition des femmes. Cette œuvre est ainsi un apport considérable dans l’histoire du féminisme et dans les travaux d’histoire de Michelle Perrot. La présence de bibliographies à la fin de chaque portrait montre la démarche scientifique et pertinente de la part de l’autrice qui tient à partager ses sources et permettre aux lecteurs d’enrichir leurs connaissances. En effet, en tant qu’historienne, Michelle Perrot se doit de travailler avec des sources et œuvres, ce qui se retrouve notamment avec sa lecture de biographies contemporaines faites par des hommes. Il faut souligner que, dans une conférence donnée à l’Agora des savoirs (2015), elle remercie Olivier Blanc et Georges Lubin pour les biographies qu’ils ont écrites, et insiste sur le fait que ce sont des hommes qui ont écrit sur des femmes, qui ont été oubliées dans l’histoire.