Philippe WILMOUTH, président de l’association pour la conservation de la mémoire en Moselle (ASCOMENO), nous brosse un tableau des populations mosellanes expulsées par les Allemands durant le second conflit mondial afin que l’histoire de l’annexion de ce département ne soit plus un sujet tabou.

A la découverte du titre de cet ouvrage, on aurait pu croire, de prime abord, à un récit narrant le sort de soldats mosellans incorporés de force dans la Wehrmacht ou la Waffen-SS. Il faut parcourir les pages suivantes pour s’en prouver du contraire : aucun soldat mosellan n’a participé de près ou de loin au massacre d’Oradour-sur-Glane. Certes, un chapitre aborde ce problème qui a tant déchaîné les passions en France après-guerre pour finalement s’achever, en 1953, sur le non moins catatonique procès de Bordeaux. Alors, quid de cette histoire de Mosellans dans l’enfer d’Oradour-sur-Glane ? Deux minuscules villages mosellans – Charly et ses 184 habitants et Montoy-Flanville, 254 habitants – blottis dans la zone francophone de la Moselle, mais pas très éloignés de la frontière linguistique entre roman et français, vont nous emmener, par le truchement de la défaite française de 1940, jusqu’en Haute-Vienne. Le destin de ces deux communes voient effectivement leur destin basculer Et leur histoire inextricablement liée au drame d’Oradour-sur-Glane, commune distante de 700 km de là. Dès le 17 juin 1940, le drapeau allemand flotte désormais sur Metz, telle une chape de plomb. La défaite de l’armée française a pour conséquence immédiate, outre l’invasion du territoire, l’annexion de fait par le IIIème Reich des deux départements de l’Est : Alsace et Lorraine. C’est donc une revanche sur le passé. Le verdict nazi est sans appel : la frontière de 1871 est rétablie dès juillet 1940. La Moselle est rattachée le 30 novembre 1940 à la Sarre et au Palatinat pour constituer le Gau Westmark. Le village de Charly, à la toponymie trop française est rebaptisé Karlen. Des regroupements communaux sont également effectués dont le but n’est ni plus, ni moins, que la germanisation immédiate et systématique des anciens départements français. Rues et villages se teutonisent. Mais il n’y pas que les pierres et les terres qui changent brutalement d’identité. L’école, fierté de la IIIème République, marche désormais au son des bottes allemandes. Des instituteurs allemands ou autrichiens, arborant vestes brunes et brassards à croix gammée, assènent désormais à leurs nouvelles têtes blondes une vérité écrite pour un Reich qui doit durer mille ans. Cependant, la soif d’expansion inextinguible et incommensurable du IIIème Reich pour un « espace vital » dessinait déjà, en filigrane, une expulsion des populations françaises qui ne disait pas son nom. Pour que ces provinces françaises recouvrent dans leurs veines leur authentique et antique germanité, les autorités allemandes décident d’expulser de ces terres, redevenues allemandes après ce qu’elles considèrent avoir été une « parenthèse de vingt ans », toute ou partie des Français récalcitrants. Philippe WILMOUTH, président de l’association pour la conservation de la mémoire en Moselle (ASCOMENO), nous brosse un tableau de ces populations mosellanes déracinées. Avec son association, il rassemble et collecte toute documentation sur la Moselle durant le second conflit mondial afin que l’histoire de l’annexion de ce département ne soit plus un sujet tabou.

20 juillet 1940, 1.000 personnes, résidant en Moselle, quittent sous la contrainte le département. Puis, de façon inattendue, la grande vague d’expulsion prend un tour plus brutal et s’accélère. Du 16 août au 18 septembre 1940, ce ne sont pas moins de 23.000 Mosellans, ciblés pour leur francophilie et leur germanophobie qui prennent le chemin de l’exil. Les deux petites localités, Charly et Montoy-Flanville, connaissent à leur tour les affres du déracinement par une deuxième grande vague qui déferle le 28 octobre 1940. Avec méthode, la planification de l’expulsion est décidée dans le cadre de la colonisation de la frontière de la Moselle, sorte de cordon sanitaire devant séparer les terres du IIIème Reich des autres pays conquis. La colonisation doit donc être précédée de l’expulsion de 160 à 200 villages, vite baptisée sous le nom « Aktion D ». Les autorités allemandes débutent par un vaste recensement dès le 1er novembre 1940 élaboré par des commissions, les Erfassungskommandos. L’affaire est rondement menée. Le choix sans appel. Après un interrogatoire en règle des familles françaises, il faut se décider : exil en France ou en Pologne, dans des baraquements de fortune. Tous les chefs de famille signent sans barguigner leur aller sans-retour en direction de la France. Le 14 novembre 1940, c’est chose faite. La police de sécurité appuyée par la police en uniforme allemande débarquent dans les villages. Les populations ont deux heures pour déguerpir. Tout juste le temps pour emporter avec soi toute une vie qui se résume à un nouveau diktat des autorités allemandes : 50 kg de bagage maximum. Les maisons et tous les fourniments de leurs anciens propriétaires passent sous contrôle allemand qui y apposent scellés. Propriétés du Reich. La machine de guerre administrative hitlérienne est bien rodée. Des affiches bilingue émanant des différents Gauleiter Responsable régional politique et administratif d’un Gau, subdivision territoriale de l’Allemagne. justifient les expulsions. Sur les bases de la population recensée en 1936, 88 % des habitants de Charly émigre. 40 % seulement, pourrait t’on dire pour sa voisine, Montoy-Flanville. Des bus affrétés en Allemagne embarquent les populations françaises et les dirigent vers la gare de Metz-Sablon.

TRAINS SANS RETOUR

On est frappé par la rapidité avec laquelle l’occupant allemand expulsa les anciennes populations françaises de ces départements. Des trains très vétustes sont acheminés et emportent, pour une destination inconnue, leurs passagers. Après une nuit d’angoisse sans savoir si les Allemands expédiaient les convois vers la France, c’est le soulagement pour ces Mosellans en apercevant au petit matin les noms de communes françaises. Les convois transitent tous par Mâcon, en zone non occupée. Scène poignante, les expulsés sont accueillis en gare par une section de fantassins présentant les armes, drapeaux français déployés et Marseillaise enjouée. Puis les trains se succèdent et repartent en direction de la gare de Lyon-Brotteaux le 16 novembre. Les destinations sont, cette fois-ci, programmées par les autorités françaises. Direction Tulle en Corrèze le 17 novembre avec 64 habitants de Charly et 85 de Montoy-Flanville. Volonté sans doute des autorités d’éparpiller ces populations…vers des zones rurales. Et la propagande vichyste est là pour le rappeler : la terre ne ment t’elle pas ? Le train suivant s’arrête à Limoges. Les Mosellans sont ensuite répartis dans différentes communes du département. En tout et pour tout, 66 trains ont déversé près de 57.655 Mosellans en zone libre en novembre 1940. En septembre 1941, 10.696 Alsaciens-Mosellans réfugiés et expulsés confondus se situent notamment en Haute-Vienne, donc à proximité d’Oradour-sur-Glane.

ARRIVÉE A ORADOUR ET CHOC DES CULTURES

Déjà, ce petit village du Limousin n’en était pas à sa première expérience en matière de réfugiés. On se rend compte que, bien avant 1939, des républicains espagnols y résidèrent ; puis des Alsaciens de Schiltigheim (Bas-Rhin), dans la banlieue urbaine de Strasbourg, furent évacués de la zone rouge militaire Zone contraignant les familles, en vertu de danger imminent, à abandonner leurs biens sur place pour n’emporter que de maigres bagages à main. . Puis ce fut au tour de populations hongroises d’origine juives qui viennent à leur tour s’installer à Oradour. En juin 1940, ce sont des réfugiés du Nord et du Pas-de-Calais, de Meurthe-et-Moselle ou encore de la région parisienne. Avec la population locale limousine, c’est le choc des cultures, la cohabitation est difficile car matinée de méfiance. Les autochtones ne comprennent pas la langue des arrivants. Et ces tensions se durcissent nettement avec l’arrivée des Mosellans. Dialectes différents, coutumes et mœurs mais surtout pratiques confessionnelles, sont aux antipodes des habitants du Limousin et viennent heurter les consciences locales. La pratique de l’école confessionnelle notamment met à mal le principe de laïcité. Les expulsés sont, dans leur immense majorité, de confession catholique et pratiquent massivement. Or, sur ces terres limousines d’obédience socialiste, on voit désormais les bancs des églises se remplir. L’école confessionnelle est un particularisme alsacien-mosellan. Les lois de Jules Ferry rendant l’enseignement laïque, la religion n’est plus enseignée dans les écoles publiques en France. Or, après le retour à la France de ces deux départements, en 1919, quatre heures de religion sont maintenues en Alsace-Moselle. Des sœurs congréganistes y enseignent donc dans les écoles publiques. Aussi, les prêtres mosellans expulsés en Limousin s’efforcent-ils de recréer des écoles confessionnelles strictement réservées aux Alsaciens-Mosellans. Ces dernières sont donc prises en charge par les instituteurs mosellans soumis à la loi Falloux de 1850 donnant obligation d’enseigner la religion. Mais les solidarités paysannes transcendent les clivages. Les paysans Mosellans viennent prêter main forte aux Limousins lors des fenaisons, des labours, des récoltes. On s’échange des conseils sur la culture, l’élevage, la façon de soigner les bêtes. D’autres expulsés travaillent dans l’artisanat. On s’entraide et on s’échange, quand la conjoncture le permet, nourriture ou vêtements Malgré tout, on s’aperçoit que, quelque soit les communautés exilées, le besoin de se regrouper entre Mosellans se fait sentir. Le Groupement d’entraide des réfugiés d’Alsace-Lorraine (GREAL) est ainsi créé à Limoges dès la fin de l’année 1940. Des sous-sections, dont celle d’Oradour-sur-Glane, organisent des « Noël d’exil ». Signe du destin, les expulsés accueillent aussi les personnalités en visite à Limoges : le maréchal Pétain, les 19 et 20 juin 1941 notamment. Malgré les événements de l’invasion de la zone libre par la Wehrmacht suite au débarquement des alliés en Afrique du nord le 11 novembre 1942, on espère que le retour « au pays » sera pour bientôt, symbolisé en ce sens par l’hirondelle figurant sur un insigne que porte les expulsés.

10 JUIN 1944 : L’ENFER

Renvoyée partiellement en France en février 1944 après avoir participé à l’invasion de la Yougoslavie et de l’URSS, la division SS Das Reich du général Lammerding s’installe dans la région de Bordeaux. Le 6 juin 1944, les alliés débarquent en Normandie. La Das Reich quitte alors en urgence Montauban en direction de Limoges, détachant des unités de part et d’autre de son axe principal. Les actions de résistance se multiplient pour entraver son chemin vers le front. Devant les embuscades tendues par les maquisards, les exactions de la division SS débutent. Le 9 juin, les résistants FTP attaquent la garnison allemande de Tulle et abattent dans le combat près de 60 soldats allemands. Mais c’était sans compter sur la Das Reich qui, dans sa progression vers la Normandie, reprend la ville. Le général Lammerding souhaite, en guise d’exemple, incendier la cité. Les troupes allemandes appliquent alors les méthodes de guerre utilisées sur le front russe. Les concepts de « brutalisation de la guerre » inventés par l’historien américain d’origine allemande George Mosse ou de « guerre totale » de l’historien britannique John Horne, prennent ici tout leurs sens. Après négociations par le préfet, 99 otages, dont 3 Mosellans sont néanmoins pendus aux réverbères du centre-ville. Cette exaction humiliante a été massivement pratiquée sur le front de l’Est. Toute personne en âge de porter une arme devient de facto un ennemi potentiel. Femmes, enfants, vieillards, il n’y a plus de limite dans les codes de la guerre. Afin de terroriser la population, le général SS Lammerding a donc volontairement utilisé la pratique de la pendaison, tout en ayant à l’esprit que, dans le Code pénal français de l’époque, cette pratique était vue comme particulièrement infamante pour qui recevait une telle exécution car elle n’avait plus court On pourra lire copie de la note rédigée par le général Lammerding à sa hiérarchie et conservée au mémorial d’Oradour-sur-Glane.. On se rend compte donc ici de l’intense politisation des troupes allemandes et, bien entendu, des SS. Les exécutions sommaires n’étant réservées qu’à une catégorie de personnes : « terroristes » ou hors-la-loi qui devaient être traités comme tel. Et la tragédie se répète à une échelle supérieure, le 10 juin 1944, lorsque, après d’autres accrochages avec les maquisards locaux, la Das Reich, toujours dans sa marche vers le front de Normandie, décide de faire un autre exemple en réduisant en cendres le village d’Oradour-sur-Glane. La tuerie, perpétrée dans l’église de ce paisible bourg, symbolise au plus haut point cette violence de guerre sans limite. Au total, 642 personnes dont 246 femmes et 213 enfants sont massacrés. Seuls 52 corps peuvent être identifiés et faire l’objet d’un acte de décès individuel. Parmi les victimes, 11 Alsaciens et 44 Mosellans.

RETOUR AU « PAYS »

Malgré la Libérationprogressive du territoire français à partir d’août 1944, les populations mosellanes et alsaciennes doivent patienter encore de longs mois. Le département de la Moselle reste zone de guerre. En attendant de pouvoir rentrer, les expulsés organisent un service funèbre pour les Lorrains massacrés à Oradour. Les rescapés commencent à être entendus par la justice. Début décembre 1944, une fois la ville de Metz libérée, des Mosellans, – des hommes d’abord – , retournent dans leurs différents villages pour se rendre compte des 4 années d’occupation ainsi que des violents combats ayant opposé les troupes allemandes à la 1ère armée française du maréchal de Lattre de Tassigny. Peu à peu, les autorités françaises organisent le retour des expulsés. Début janvier 1945, on réintègre d’abord des « bras », c’est-à-dire des hommes en âge de travailler, pour qu’ils puissent remettre en état l’économie agraire et pastorale du département. Enfin, début mai 1945, c’est le retour tant attendu. Mais l’accueil est plutôt décevant, malgré quelques marseillaises entonnées ici ou là sur le quai des gares. Le département est exsangue. Les Mosellans retrouvent leurs maisons, ou ce qu’il en reste quand elles ne sont pas détruites, vides, souillées, en piteux état.

SOUVENIR ET PROCÉS

Mai 1946, l’heure est à la commémoration, au souvenir au goût de cendre. Le village de Charly décide d’ériger un monument dédié aux victimes mosellanes massacrées à Oradour. Et que le village de Charly soit rebaptisé en « Charly-Oradour ». C’est chose faite le 24 mai 1950 après plusieurs refus du village d’Oradour-sur-Glane. Puis, le devoir de mémoire se met en place, mais tout en s’espaçant. Les autorités françaises associent aux victimes d’Oradour, celles des bombardements et des combats subis à la fin du conflit par le département. On est donc frappé de s’apercevoir de la volonté des autorités françaises de rassembler et de communier, dans cette catastrophe, avec toutes les victimes confondues ayant trouvé la mort durant le conflit mondial. A la Libération, les autorités françaises cherchent activement les participants au massacre d’Oradour. Ce sont les britanniques qui retrouvent les débris de la division Das Reich en Allemagne et transfèrent les survivants à la prévôté française. Après enquête, on recense la présence de 20 Alsaciens. Le 12 janvier 1953 s’ouvre à Bordeaux le procès dit « procès d’Oradour » devant un tribunal militaire. Dans le box des accusés, outre 7 Allemands, 14 Alsaciens. Pendant plus d’un mois, le procès fait la une quasi quotidienne des journaux locaux, Le Lorrain, le Républicain lorrain. La fracture entre les deux sœurs de l’Est est patente. Deux mémoires s’affrontent et la Moselle, qui compte des victimes dans ce drame, réclame justice. Alors que l’Alsace apporte son soutien indéfectible à ses 14 compatriotes, la Moselle garde le silence et parfois, se désolidarise du drame, notamment sur la question critique de l’annexion. Le débat s’exacerbe également à l’Assemblée nationale où s’ouvrent les débats sur la modification de la loi dite de la responsabilité collective du 15 septembre 1948 qui stipule que « lorsqu’un crime de guerre est imputable à l’action collective, tous les individus à cette formation – criminelle – peuvent être considérés comme coauteurs, à moins qu’ils n’apportent la preuve de leur incorporation forcée et de leur non-participation au crime. ». Or, la modification de la loi s’applique « aux procédures en cours », donc impacte le procès. Et le débat de s’envenimer, toujours à l’Assemblée nationale, autour des 30.000 Mosellans incorporés de force, « contraints », et d’autres…volontaires. Le cas des « Malgré-nous » est en effet délicat. Par une ordonnance du 29 août 1942, les Mosellans comme les Lorrains sont devenus Reichdeutscher, citoyen allemand et par conséquent, contraints de se battre dans l’armée allemande. Et les Mosellans comme les Lorrains sont incorporés de force dans la Wehrmacht et la Waffen SS. Une partie des jeunes Mosellans de la classe 1924, mesurant plus de 1,75 cm sont ainsi versés dans les unités SS à compter du 18 octobre 1942, tandis qu’une partie de la classe 1926 rejoint également la SS à partir du 22 février 1944. Des Mosellans se trouvaient donc de fait dans la division SS Das Reich, mais pas dans la compagnie qui sévit à Oradour-sur-Glane. Enfin, dans la nuit du 12 février 1953, le verdict tombe : les Alsaciens reconnus incorporés de force écopent de 5 à 12 ans de travaux forcés ou de 5 à 8 ans de prison. Quant au seul Alsacien engagé volontaire dans la Waffen SS, il est condamné à mort pour trahison. Ce jugement ne semble satisfaire personne. L’Alsace se déchaîne et crie à l’injustice, se déclare solidaire des 130.000 incorporés de force. La Moselle veut tourner la page. Finalement, dans l’urgence, un projet de loi d’amnistie est étudié à l’Assemblée nationale dès le 17 février 1953…soit 5 jours seulement après le verdict du procès ! Le débat achoppe une fois de plus sur les incorporés de force ; de les soustraire au bénéfice de la loi d’amnistie. Finalement, la loi est adoptée le 18 février 1953. La totalité des députés Mosellans, sauf un, votent favorablement. C’est un tollé à Oradour-sur-Glane et dans tout le Limousin. Une mésentente sourde, voire virulente va opposer, durant de nombreuses années les départements du Limousin et Alsacien à se sujet.

D’une lecture très aisée, cet ouvrage est un récit poignant du drame vécu par la population mosellane. On y découvre l’ombre de l’histoire, celle des sentiers non battus, reclus dans un coin de mémoire que l’on souhaite voir s’effacer au plus vite. Trop de mauvais souvenirs : l’invasion du territoire par les Allemands, puis l’expulsion et l’annexion ; le rattachement au IIIème Reich, enfin la naturalisation forcée et son corollaire inévitable avec l’enrôlement de force de près de 130.000 jeunes Alsaciens-Lorrains. Bien entendu, ce livre soulève plus de questions qu’il n’en résout. Les hypothèses d’explication sont aujourd’hui connues. Première piste, la perte de l’Alsace-Lorraine en 1871 et la prégnance d’un nationalisme européen au zénith de sa gloire en 1914. Ensuite, l’annexion de provinces perdues par l’Allemagne en 1919, vu comme un simple retour des choses, une simple parenthèse depuis le « diktat » du traité de Versailles ; la transgression des codes de la guerre, avec une brutalisation du conflit, ne distinguant plus les ennemis des populations civiles, femmes, enfants, vieillards ; les exactions systématiques perpétrées sur le front de l’Est par les troupes allemandes – y compris par la Wehrmacht depuis les dernières études publiées Les crimes de la Wehrmacht, Wolfram Wette, Éditions Perrin 2009 Collection Pour l’Histoire. – et réitérées en France – pensons à la récente ouverture d’une enquête pour crime de guerre par un magistrat allemand Ulrich MAASS. Massacre perpétré par le 17ème bataillon SS basé à Châtellerault en représailles aux tirs de résistants sur une voiture allemande. 124 civils y trouvèrent la mort. lors du massacre de la population de Maillé, en Indre-et-Loire, en août 1944 – enfin, l’enrôlement de force acheva la mise en coupe réglée de l’Alsace et la Lorraine. La liste pourrait être encore longue mais c’est ce qui nous a frappé en parcourant l’ouvrage. Outre le fait des conditions de vie des expulsés en Haute-Vienne et du choc culturel provoqué notamment par l’école confessionnelle ou bien la pratique assidue de la religion catholique, c’est la volonté de l’occupant de démanteler systématiquement le versant culturel et psychologique des populations annexées. Enfin, on ne peut occulter, à la lecture de cet ouvrage, la question de la mémoire ou du devoir de mémoire. Commémorer ? Mais comment ? Faut-il légiférer pour ajouter aux lois mémorielles existantes une autre date dans notre calendrier alors que les derniers témoins de ce drame disparaissent ? Quel doit être le rôle de l’historien ? Vaste débat. Ou bien faut-il tourner définitivement cette page douloureuse, de ce passé qui ne passe pas ?

Bertrand Lamon