Agrégé d’histoire, Stéphane Pannekoucke étudie, depuis sa maîtrise sous la direction de Daniel Roche la famille de Condé au XVIIIème siècle. Cet ouvrage est issu de sa thèse de doctorat, soutenue en 1997. A partir d’un fond exceptionnel d’archives en série constituée – fait suffisamment rare pour être signalé – à Chantilly, il pose la question du rôle du gouverneur dans la France du XVIIIème siècle mais aussi celles de l’exercice du pouvoir dans un pays d’états (la Bourgogne) et de la place de la haute aristocratie dans les rouages de l’Etat monarchique. Les Condé occupent en effet une position prééminente au sommet des rangs et dignités de la Cour. Ce n’est plus cette famille rebelle incarnée par Louis II de Bourbon dit le Grand Condé (étudiée par Katia Béguin dans sa thèse Princes de Condé. Rebelles, courtisans et mécènes dans la France du Grand Siècle, Champvallon, 1999) mais la puissance matérielle de son patrimoine familial continue de lui assurer le prestige du à son rang. Les Condés du XVIIIème ne participent plus au pouvoir royal. La seule charge politique qui leur reste est celle de gouverneur qu’ils exercent de manière continue de 1631 à la Révolution (à quelques exceptions près dues à la Fronde et à une minorité).
La charge de gouverneur
La charge de gouverneur n’est ni un office ni une commission même si elle en partage certains traits. Elle permet surtout aux Condé d’occuper une place dans le système monarchique. Stéphane Pannekoucke en démonte les mécanismes, au carrefour des pouvoirs centraux et locaux.
Par son travail minutieux, « à la croisée de la monographie familiale (les princes de Condé), de l’histoire sociale (la haute aristocratie) et des institutions (charge de gouverneur), il définit la fonction de gouverneur « moins par ce qu’il est d’un point de vue institutionnel que parce qu’il fait dans la province qui lui est confiée : la Bourgogne [i.e. qu’il étudie ] les différentes compétences attribuées par le roi au gouverneur et les moyens mobilisés pour les mettre en œuvre ce qui conduit à s’interroger sur le rôle spécifique de l’Etat moderne par rapport aux agents de la monarchie » (p. 26).
Les limites chronologiques de l’étude sont larges (un siècle de 1710 à la Révolution) et le territoire bien délimité : la Bourgogne, circonscription territoriale originale qui n’est pas une province frontière mais une région de passage, une zone de transition entre le Nord et les provinces méridionales.
L’ouvrage est construit selon deux axes :
- le premier (ch. 1 à 4) est une analyse structurelle de la nature de la charge de gouverneur et de son influence sociale et politique. Trois gouverneurs de succèdent de 1710 à 1789 : Louis Henri de Bourbon (1710-1740) surnommé de « vice-roi » de Bourgogne ; Paul-Hippolyte de Beauvillier, duc de Saint Aignan qui assure à titre intérimaire la charge de 1740 à 1754 et Louis-Joseph de Bourbon (1754-1789) dernier gouverneur de la province. Hommes de Cour, ils appartiennent tous trois à l’entourage immédiat du roi. Ils ne détiennent pas des pouvoirs identiques et leurs compétences tiennent plus à des arbitrages royaux qu’à l’état de leurs finances
- le second axe (ch. 5 à 10) décline les rapports des gouverneurs avec les agents de l’Etat. Stéphane Pannekoucke montre comment le gouverneur met en œuvre les compétences confiées par le roi : il est à la fois comme intermédiaire et comme administrateur.
Il a plusieurs missions énumérées dans les lettres de provisions (qui masquent par ailleurs des réalités variables en fonction des gouverneurs) : politique : représenter le roi dont il reçoit délégation de la puissance monarchique ; de police et de maintien de l’ordre ; militaire.
Les gouverneurs de Bourgogne ne résident que très rarement dans leur gouvernement (les Condé ne viennent à Dijon que trois semaines tous les trois ans pour l’ouverture de la session des états). Stéphane Pannekoucke montre qu’ils s’appuient alors sur des réseaux d’agents et de familles liées par des relations de fidélité et de dépendance.
L’efficacité des réseaux est due à une stricte répartition des tâches, des réseaux actifs de renseignements et des pratiques administratives modernes.
Le gouverneur et les différents agents
L’historien contribue à combler de nombreuses lacunes et à remettre en cause de nombreux préjugés, largement entretenus par la République naissante au cours du XIXème, quant à la fonction et au rôle des gouverneurs.
- Les gouverneurs conservent des compétences larges qui limitent celles des intendants et des commissaires. Leur fonction n’est donc pas simplement honorifique. Loin d’être écartés de l’exercice du pouvoir pour être remplacés par les commissaires royaux, ils sont un agent de la construction de l’Etat moderne. Le vieil antagonisme gouverneur-intendant est ainsi largement remis en cause par l’historien au profit d’une collaboration souvent confiante.
Il en est de même pour les relations avec le Parlement. Seul un Condé pouvait influer sur ses décisions au point que Louis Henri de Bourbon est surnommé le « vice roi » en Bourgogne.
Les « hommes du gouverneur » font un travail considérable pour mettre en œuvre les compétences de celui-ci sur les municipalités ou les maréchaussées. Les Condés réussissent à imposer leur mainmise et peser sur les nominations aux charges municipales et sur la composition des administrations municipales. Choisis sur la base de leurs compétences et de leur moralité, les officiers et magistrats sont soumis à un véritable système de procédures de contrôle (récompenses et sanctions). Les gouverneurs assurent également la protection de ces magistrats dont les attributions peuvent être contestées par les commissaires ou officiers seigneuriaux.
Pour la maréchaussée, le particularisme bourguignon réside dans le statut des charges d’officiers puisque le gouverneur en dispose et en délivre les provisions jusqu’en 1773.
Le gouverneur, rouage central de l’Etat moderne
Loin d’être un obstacle à l’affirmation de l’autorité royale ou un frein à la centralisation, le gouverneur entretient une vaste clientèle et est un relais essentiel du roi notamment dans la lutte contre les mouvements contestataires. Bien que premier responsable de l’ordre public en Bourgogne, le gouverneur n’intervient que très rarement dans la police ordinaire qui incombe aux magistrats municipaux et aux commissaires royaux. Mais quand surviennent des évènements graves ou des troubles importants comme la crise frumentaire de 1775 il joue un rôle central. Cet ouvrage participe ainsi à la réflexion entreprise depuis une vingtaine d’années sur la construction de l’Etat moderne. Il montre comment le roi ne fonde pas son pouvoir sur un mouvement centrifuge de concentration des pouvoirs entre ses seules mains et de centralisation des institutions mais plutôt qu’il recherche la coopération et la collaboration des institutions et élites locales. Les Condé sont bien les premiers représentants du roi en Bourgogne. Dans les faits, il est clair que cette grande famille aristocratique usurpe des attributions comme la nomination des magistrats municipaux mais avec l’accord tacite de la monarchie qui y voit un moyen efficace de prévenir les conflits.
Les Condé jouissent d’un pouvoir exceptionnel qui fait d’eux les gouverneurs les plus puissants du royaume. Ils peuvent être considérés comme de véritables administrateurs.
Convaincant, Stéphane Pannekoucke argumente avec une clarté rare et un sens louable de la pédagogie (au sens noble du terme). Il réussit la gageure de rendre accessible les arcanes souvent confus de l’administration monarchique. L’ouvrage est complété par une série d’annexes utiles (ex. structure des revenus fixes du gouvernement de Bourgogne, dépenses pour la tenue des états de 1769, commandants de Bourgogne au XVIIIème siècle). Un beau travail.
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