L’ouvrage de Paul Bauer, Deux siècles d’histoire au Père Lachaise, comme son nom ne l’indique pas, est en fait un dictionnaire de plus de 800 pages et de 2650 notices comportant les biographies de tous les défunts du cimetière du Père Lachaise . Ce véritable travail de bénédictin est précédé d’un historique du cimetière qui doit son nom au Révérend Père François de La Chaize d’Aix, jésuite, confesseur de Louis XIV, qui mourut dans ce qui était alors un lieu de repos et de convalescence dénommé Mont-Louis à l’origine.
Pere Lachaise
Pere Lachaise

Si, depuis toujours, on inhumait dans différents petits cimetières de la capitale, l’administration de la ville de Paris, face à l’évolution démographique de la capitale et par souci d’hygiène publique, décida l’élaboration de nécropoles : Montmartre en 1798, le Père Lachaise en 1804 et Montparnasse en 1824. Destiné à l’ensevelissement des trépassés des quartiers de l’est parisien, le Père Lachaise couvrait une superficie de 17 ha au début. Agrandi au fil des ans jusqu’à atteindre 44 ha, il n’a pas cessé de recueillir de plus en plus de défunts. Dominant les quartiers environnants de la capitale, il possède une vue privilégiée qui finit par former une gigantesque scène théâtrale et par attirer de plus en plus de célébrités parisiennes.

Célèbres et anonymes

On peut ainsi rencontrer les grands noms liés à l’histoire, les patronymes des auteurs dont on connaît les livres et ceux des grands esprits dont on connaît les petites phrases, les épitaphes des héros légendaires de l’épopée napoléonienne et celles des humbles fusillés de la Commune, voire les pseudonymes des célébrités récemment décédées que l’on n’a pas pu approcher de leur vivant,…
A partir de l’Empire, l’art funéraire prend de l’essor et les grands de ce monde se doivent de se doter d’une sépulture conforme à leur rang dans le monde des vivants, à l’idée qu’ils se font de leur place dans l’histoire ou à l’illusion du souvenir éternel. Les monuments funéraires sont alors ornés d’armoiries, de symboles, de citations, de portraits, d’épitaphes, d’allégories et l’ensemble finit par former un véritable catalogue de styles architecturaux créés par David d’Angers, Antoine Etex ou Cortot. Le Père Lachaise est devenu au fil du temps également un véritable musée en plein air.
Le célèbre cimetière parisien attire donc, dans ses allées, des milliers de promeneurs et de curieux qui viennent humer le souffle de l’histoire, contempler la grandeur déchue des hommes et leur humilité devant la mort ou simplement profiter d’un moment de détente au milieu d’un jardin romantique.
Malgré une certaine floraison de guides et de recueils photographiques concernant le Père Lachaise, il manquait un véritable ouvrage de fond pour préparer, accompagner ou prolonger la visite. Paul Bauer, généalogiste féru d’histoire militaire, notamment napoléonienne, s’y est attelé. Il lui aura fallu quatre ans d’infinie persévérance pour arriver à ses fins.
Pour apprécier la qualité des biographies, rien de tel que de feuilleter les 700 pages de notices et d’en glaner quelques unes entre Paul Abadie et Félix Ziem.
On s’aperçoit immédiatement de l’importance variable des notices, d’une ligne à plusieurs pages, la moyenne se situant plutôt vers six notices par page.
La place la plus abondante est accordée aux gloires militaires dont les notices sont plus fournies, surtout celles du Premier Empire, étant donné l’intérêt de l’auteur et on ne saurait lui en tenir rigueur ; la plupart des notices sont classiques et développées sur deux à trois colonnes, mais celle de Ney fait cinq pages et celle concernant Grouchy est plus originale par ses abondantes citations et le parti pris de l’auteur.

Savants et militaires

Paul Bauer semble cependant éprouver une passion égale pour les savants du Siècle des Lumières, les acteurs de la Révolution ou les artistes plus ou moins renommés du 18e et des débuts du 19e siècle. Ainsi, bon nombre de biographies conséquentes font voisiner JF Champollion que l’on ne présente plus et A-F Fourcroy membre de l’Académie des sciences et du Comité de salut public, le marquis de Choiseul et le conventionnel Merlin de Thionville, le peintre David et l’idole du théâtre Talma …
Joseph-Ignace Guillotin est-il de sinistre mémoire ? Peu importe car c’est le moment pour l’auteur d’évoquer les victimes célèbres même si elles ne sont pas inhumées au Père Lachaise. Les cendres de Victor Hugo ont-elles été transférées au Panthéon ? Qu’à cela ne tienne, les biographies très complètes de ses parents et de deux de ses enfants compenseront.
Au fil des pages, on s’aperçoit bien vite que l’ouvrage vaut autant pour les biographies des illustres que celles des personnages tombés dans l’oubli. La raison de l’ampleur de la notice ne réside pas seulement dans la notoriété du défunt, mais dans l’attachement à un nom, une qualité ou une fonction et on sent le « nécrosophe » amoureux de son cimetière …
Les époques plus récentes semblent avoir moins éveillé l’intérêt de l’auteur. Si Haussmann, Fulgence Bienvenue, le père du métro parisien, Oscar Wilde ou Mouloudji ont droit à des biographies conséquentes, on en aurait aimé autant pour les Bréguet, l’historien Fernand Braudel, ou Edith Piaf, par exemple, d’autant plus que la documentation ne manque pas. A la décharge de l’auteur, développer toutes les notices lui aurait probablement pris quatre ans de plus !
Cependant, dans l’ouvrage, nul n’est oublié, ni Coutard d’Aulnay, auquel on doit un ouvrage intitulé « Monographie du café » et dont nous ne savons rien d’autre, ni Gustave Charpentier auteur de « Mimi pinson », ni Héloïse et Abélard décédés au 11e siècle, mais dont les noms sont évoqués dans la chapelle vers le centre de la division et il y a même un Anonyme ! L’œuvre de Paul Bauer vaut aussi par ses digressions.
L’ouvrage est agréablement illustré par un porte-folio comportant une trentaine de photographies couleurs et des reproductions de cartes postales anciennes dans le texte. Il comporte deux index croisés des défunts : alphabétique avec lieu d’inhumation, numéros des concessions avec coordonnées nominatives des inhumés ; un plan succinct permet de s’y retrouver.

On regrettera l’absence d’une bibliographie, compréhensible par l’importance du sujet, mais les nombreuses citations utilisées dans les notices biographiques auraient souvent méritées d’être référencées.
Intéressante source de documentation, l’ouvrage a toute sa place dans une bibliothèque historique plutôt que dans un sac à dos lors de la visite pour cause d’un poids respectable de 1,6 kg ! Il peut d’ailleurs servir agréablement de compagnon près d’un écran puisque le célèbre cimetière se visite également de manière virtuelle à l’adresse http://www.pere-lachaise.com/

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