Réunis lors d’une journée d’études en novembre 2005, soit deux ans après l’acte II de la décentralisation mais aussi quelques mois après le non français au référendum sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe, les spécialistes en droit public du Centre de Recherche sur les Pouvoirs dans La Caraïbe (CNRS-Université des Antilles et de la Guyane) dressent un premier bilan de l’Outre-mer français dans le nouveau cadre juridique national.

L’ouvrage publié par L’Harmattan et dirigé par Justin Daniel, professeur de Science Politique à l’Université des Antilles et de la Guyane, est avant tout une réflexion sur le cadre juridique et sa déclinaison dans les collectivités françaises d’Amérique. Pour l’enseignant de Géographie et d’Education Civique, cette approche est extrêmement stimulante dans la mesure où elle ne nous est a priori pas familière et qu’elle s’inscrit dans une démarche multiscalaire qui nous l’est plus. Ainsi, la première partie inscrit les Départements/Régions et Collectivités d’Outre-mer dans le cadre national. La deuxième partie aborde les incidences de la révision constitutionnelle dans le cadre du droit communautaire. Enfin, la troisième partie fait état de la mise en oeuvre du deuxième volet de la décentralisation dans le cadre spécifique de l’Outre-mer français.

Dans son introduction, Justin Daniel met en perspective les lois de décentralisation de 2003 et les débats qui naissent à l’issue de celles-ci dans les collectivités ultramarines françaises. Le nouveau cadre juridique autorise en effet le passage d’un statut à un autre (Département/Région, Collectivité d’Outre-mer). Quel peut être l’avenir statutaire de chacune des collectivités ultramarines françaises ? Quelle sera l’incidence de ces évolutions dans le cadre du droit communautaire ? Dans quelle mesure les nouvelles lois de décentralisation permettront-elles un développement plus efficace de ces collectivités ?

Emmanuel Jos introduit la première partie en abordant les modifications statutaires des collectivités d’Outre-mer. Il rappelle rapidement le contexte historique. Après l’acte I de la décentralisation, la superposition des collectivités a induit un déficit de cohésion dans l’action publique. La loi d’orientation pour l’Outre-mer (2000) permettait d’accroître les responsabilités des populations locales à travers des statuts plus ou moins taillés sur mesure. Le nouveau cadre juridique marque une inflexion par rapport à la LOOM de 2000 même s’il permet le passage d’un statut à un autre. L’apport le plus intéressant de cette contribution réside dans la mise en évidence des faiblesses de la réforme constitutionnelle. La prise en compte des spécificités des collectivités ultramarines (problématiques de l’ultrapériphicité et de l’exiguïté insulaire assumée l’une par l’Union Européenne, et l’autre par les Nations Unies) dans la perspective d’un développement durable est relativement réduite. La possible évolution statutaire échappe à l’échelon local et montre donc un déficit démocratique lors même que le droit français et international reconnaît un droit spécifique à l’autodétermination des « peuple d’outre-mer » ou « peuples coloniaux ». Bernard Castagnede s’attache dans sa contribution à montrer les questions posées lors de la transition d’un statut à un autre, à travers l’exemple de Saint Barthélémy et de la partie française de l’île de Saint-Martin. Il rappelle que l’éloignement excessif avec le centre administratif guadeloupéen mais aussi les particularités culturelles sont en grande partie à l’origine du choix de ces deux communes de devenir des Collectivités d’Outre-mer lors de la consultation du 7 décembre 2003. L’auteur illustre la souplesse qu’offre cette transition en montrant que les statuts envisagés pour chacune des deux nouvelles Collectivités sont adaptés à leur situation, notamment dans le domaine financier. Fred Reno approfondit cet exemple. Il propose notamment une explication politique à la différence des statuts en cours d’élaboration pour les deux nouvelles Collectivités. Sa contribution montre que Saint Barthélémy a pu échapper à la Guadeloupe, se choisir un nouveau centre et obtenir de substantielles dérogations fiscales et douanières dans la mesure où l’unanimité autour de cette évolution préexistait. Moins favorable, par exemple dans l’absence de la reconnaissance de « l’anglais de Saint-Martin », le futur statut de cette Collectivité est en grande partie lié à un contexte politique beaucoup moins consensuel. Patrick Lingibe analyse le cas très particulier de la Guyane à travers les transferts de compétences liées à la décentralisation. Il dresse le bilan des handicaps de la Guyane (échec de la départementalisation, organisation spatiale de type colonial, communes de grandes dimensions souvent sans ressources propres) et les défis auxquels elle est confrontée (croissance démographique, pression migratoire, urbanisation, formation). L’auteur argue que dans un tel contexte, tandis que la péréquation des moyens financiers est inefficace, il serait illusoire de transférer de nouvelles compétences en Guyane. D’autre part, les inégalités spatiales guyanaises rendent également vaines la perspective d’une évolution statutaire.

Isabelle Vestris aborde dans sa contribution les incidences des réformes de 2003 sur les rapports des collectivités ultramarines françaises avec l’Union Européenne. Elle montre que les évolutions statutaires internes à la France ne sont pas source de conflits avec le droit communautaire. Par conséquent, la latitude laissée à chaque collectivité d’adopter le statut européen le plus propice à son développement demeure la problématique centrale. Ce sont les différentes implications qu’offrent les statuts de Région Ultrapériphériques (RUP) et de Pays et Territoires d’Outre-mer (PTOM) que s’attache à nous détailler Laurianne Mounier. Intégrés à l’UE, les RUP suivent le droit communautaire mais il peut être adapté en fonction de leurs spécificités territoriales. Ils bénéficient des aides structurelles. A l’inverse, les PTOM ont un statut d’association et l’application du droit communautaire est partielle. Les aides financières possibles sont beaucoup plus réduites. A travers l’exemple de l’exploitation des ressources halieutiques, elle montre que la véritable problématique des collectivités ultramarines françaises n’est pas le choix entre l’un ou l’autre des statuts internes mais plutôt de celui entre le statut de PTOM et celui de RUP. Emmanuel Jos procède à une évaluation critique des statuts européens. Après un rappel historique et un point juridique sur ces statuts, il critique l’application et l’interprétation restrictives des textes qui tiennent comptent des spécificités des territoires ultramarins. Il propose des perspectives de réformes (évolution des statuts, démocratisation des procédures de choix entre les deux statuts, inscription dans un « développement humain, solidaire et durable », notamment dans le programme des Nations-Unies sur les SDIS ou Petits Etats Insulaires en Développement ) et préconise de poursuivre la plupart des orientations du Traité établissant une Constitution pour l’Europe. De son côté, Danielle Perrot s’appuie sur différentes étapes de la construction européenne pour montrer qu’une évolution des collectivités d’outre-mer en matière juridique à l’échelle européenne n’est pas exclue à condition d’un consensus politique suffisant.

Bertrand François-Lubin fait le point sur les différentes formes de coopération intercommunale en Martinique. Deux idées principales ressortent de sa contribution. En premier lieu, les communes détournent parfois l’intercommunalité de projet pour assumer des tâches qu’elles ne peuvent pas ou plus financer. D’autre part, la couverture intégrale du territoire martiniquais par des structures de coopération aboutit à une concurrence entre ces organismes … et au besoin de créer des organismes de coopération, souvent sous la forme de syndicat mixte (phénomène de surinstitutionnalisation). Jacqueline Bruant-Querbel s’interroge sur la pertinence de communauté d’agglomération dans le cadre martiniquais. Après un point juridique sur la communauté d’agglomération, elle s’attache à montrer que l’exiguïté du territoire provoque une multiplication voire une saturation des institutions compétentes et que cette saturation est source de retard dans la prise de décision. Elle souligne également que ce retard renforce la méfiance d’une population qui s’interroge déjà sur le déficit de démocratie représentative dans les structures intercommunales. Roger Cantacuzene et Justin Daniel, à travers le cas très concret du transfert des routes nationales, illustrent la diversité d’évolution possible des différentes collectivités en fonction de leur contexte propre, souvent de division ou de coopération politique. Ainsi, en Guadeloupe, la Région et le Département ont mutualisé leurs moyens tandis qu’en Martinique le gestion des routes nationales est de la seule compétence de la Région. En Guyane, une faible part du réseau national incombe au Département, le reste reste à la charge de l’Etat. Alain Laguerre s’attache à mettre en évidence, dans le cadre de l’expérimentation des Schémas Régionaux de Développement Economique, la confusion des rôles, d’autant plus préjudiciable que les Régions d’Outre-mer sont monodépartementales, et l’absence d’une réelle contractualisation avec l’Etat. Pierre-Yves Chicot développe enfin l’idée que la décentralisation marque le passage d’un Etat-providence à un nouveau modèle de protection sociale, à deux niveaux (Etat et collectivités territoriales). La Région y jouerait un rôle croissant en complémentarité avec le Département. En effet, la compétence de développement économique et social qui lui est dévolue lui permet d’agir en amont et de développer une logique de prévention sociale par le développement économique. Pour intéressant que soit cet éclairage sur la politique sociale de la Région, il est cependant complètement déconnecté de la problématique de l’Outre-mer français.

Essentiellement rédigé par des spécialistes du droit public, cet ouvrage s’adresse avant tout au même public. De ce fait, l’enseignant de Géographie et d’Education Civique sera surpris par la quasi absence de documents, notamment de cartes. Cependant, de larges extraits des constitutions françaises, de lois mais aussi des traités européens sont largement commentés. Paradoxalement, c’est la découverte de ce point de vue qui ne m’est pas familier qui m’a le plus intéressé.

Dans le cadre du temps imparti par les programmes pour l’étude de l’aménagement territorial ou de l’Outre-mer français, notamment en classe de 4e, il nous semble difficile d’aborder les questions développées dans cet ouvrage en cours de Géographie. Une étude de cas des îles Saint-Martin et Saint-Barthélémy pourrait cependant permettre de montrer la complexité de l’Outre-mer français, dans ses dimensions institutionnelles et culturelles par exemple, dans le cadre d’un Itinéraire de Découverte.

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