On aurait pu imaginer que l’histoire de la monarchie française à l’époque moderne, notamment au XVIIe et XVIIIe, avait été largement explorée et qu’il ne restait plus de secrets à découvrir sur la vie publique et même privée des rois de France, Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Avec cet ouvrage qui vient de paraître pour la rentrée 2009, Pascale Mormiche, que les lecteurs du site des clionautes connaissent comme une rédactrice confirmée en histoire moderne, nous démontre magistralement le contraire.
Les trois derniers rois bourbons ont en effet accédé au trône alors qu’ils étaient des enfants. Leur éducation, la formation de ces princes destinés à régner, représentait un enjeu politique majeur. L’auteur ne se limite pas à l’examen de l’éducation des trois derniers rois, les princes dont il est question dans cet ouvrage sont nombreux. On y croise les garçons de la ligne royale destinée au pouvoir, depuis Louis XIII jusqu’à Louis XVIII, ceux qui ont régné mais aussi les autres comme celle du fils de Louis XIV, Mgr le Grand dauphin, ou celle du fils de Louis XVI, mais également les cadets, comme Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, Philippe d’Anjou, le frère de Louis XIV, et les princes d’Orléans, de Conti, de Condé et même les princes légitimés. Ceci représente un effectif de 40 élèves 40 élèves en deux siècles, les profs de l’époque ne pouvaient pas se plaindre de leurs effectifs ! sur deux siècles, recevant l’éducation de leurs précepteurs pendant une durée moyenne de 10 ans.
Ce qui est en jeu ici, c’est la pérennité du pouvoir, et l’on comprend l’importance que l’on accordera à la formation du prince et à son accompagnement vers l’âge adulte et les responsabilités. Pour l’auteur cette éducation princière, élaborée au cours du XVIIe siècle est considéré comme en crise au XVIIIe, pouvait-elle constituer un modèle ? C’est la question qui est posée ?
Pour élaborer une formation, mais cela est vrai à toutes les époques, il convient en tout premier lieu de s’appuyer sur des hommes, en charge de cette mission. Dans la première partie Pascale Mormiche présente l’organisation des équipes, on dirait aujourd’hui pédagogiques, mais également les projets théoriques qui ont évolué dans le temps. En effet, du début du XVIIe au milieu du XVIIIe siècle, on passe d’un projet humaniste, largement inspiré des réflexions des grands noms de la renaissance, à la mise en œuvre d’une formation reprend à son compte le modèle royal absolutiste qui se diffuse à toute l’Europe à partir de la France. Cela n’étonnera personne, mais on commence toujours en France par la mise en place d’une administration. La surintendance de l’éducation est une mission politique, confiée par le pouvoir à une personne présentant toutes les garanties que l’on peut imaginer.
Désignation des équipes pédagogiques, un enjeu politique
De ce point de vue, la charge de surintendant de l’éducation confiée par la régente Anne d’Autriche à Mazarin, pour contribuer à la formation du jeune Louis XIV a servi d’exemple. La surintendance de Louis XV, a été une charge convoitée par les princes au vu du pouvoir que celle-ci pouvait apporter. On retrouve dans cette structure éducative destinée à former un homme de pouvoir, on pourrait presque parler de formation d’un homme d’État, la double structure caractéristique du système éducatif français. Un surintendant de l’éducation, fonction politique, est en charge de l’administration au sens global du terme et de la mise en œuvre de la formation, tandis que le précepteur, à la tête d’une équipe de maîtres, aurait en charge la responsabilité pédagogique.
Cette éducation des princes est, considérée comme un enjeu majeur lors de la délicate transition entre les règnes de Louis XIII et de Louis XIV. À la mort de Louis XIII, la royauté est confrontée à une des plus longues régences de son histoire en raison du très jeune âge du Roi – enfant né en 1638. Dans cette période de remise en cause d’une autorité royale par les princes l’enjeu est essentiel. Pour dire clairement les choses, les candidats sont légion. La sélection des formateurs a commencé du vivant de Louis XIII mais aucune décision n’avait été prise. Il est clair que les opposants à Richelieu ont essayé de revenir en grâce par ce moyen.
Il est clair là aussi que la montée en puissance de Mazarin a permis au cardinal de nommer ses créatures dès qu’il a été en capacité de le faire. Pour la fonction de précepteurs également les candidats sont nombreux. Une bonne douzaine, issue de l’entourage de Richelieu, se sont précipités dès 1638.
Au final, c’est Hardoin Beaumont de Péréfixe qui est choisi. Il est un proche du cardinal Mazarin. À ce niveau, l’auteur parle d’une stratégie de réseau, puisque les opposants au cardinal, cherchent eux aussi à pousser leurs pions. Mais cette nomination ne se limite pas simplement un des enjeux de pouvoir, Anne d’Autriche et le cardinal choisissent également des théoriciens de l’éducation, mais surtout des penseurs du principe monarchique comme Le Vayer. Ce dernier a pourtant été refusé par la reine mère sous le prétexte qu’ils n’était pas marié. En fait, il était plutôt le représentant du courant «libertin».
Globalement, pour Louis XIV, Mazarin et Anne d’Autriche ont choisi comme précepteur, et sous précepteurs des hommes issus du courant de la Contre-Réforme catholique modérée. La référence au caractère sacré de l’institution monarchique sert de guide aux princes éduqués.
Dans la seconde partie, l’éducation princière au quotidien, Pascale Mormiche étudie très soigneusement les usages et les lieux de l’éducation, les méthodes pédagogiques qui faisaient une part importante, on l’apprend à cette occasion, à l’image et au jeu. Rien par contre sur les TICE. On se demande comment ils faisaient !
On y trouve également une référence à la sanction est notamment aux droits de fouetter. Pour les pédagogues de la période, éduquer, c’est parfois dresser et redresser, y compris le prince colérique. Le droit de fouetter le prince est attribué au gouverneur d’inscription dans leurs brevets.
Le droit de fouetter
En général, cette sanction est appliquée avant l’âge de 10 ans. Certains des princes cités par l’auteur ont eu à subir des corrections sévères. Le Grand Dauphin en 1671 a été publiquement battu par son précepteur, Montausier, partisan de la manière forte.
Globalement les princes reçoivent une éducation soignée, attentive à leurs progrès et à leur évolution.
L’image et le jeu dans l’éducation jouent un rôle important, notamment dans l’apprentissage de l’histoire et du latin. Des livres à figures sont utilisés pour l’apprentissage de la morale. Ils sont très largement utilisés également pour l’histoire. Curieusement, on ne trouve pas de référence à au début l’utilisation des cartes de géographie. Elle viendra ensuite avec l’apprentissage des armes.
Par contre, l’enseignement de l’histoire est clairement destiné à fournir aux jeunes princes des méthodes d’exercice du pouvoir. La référence aux grands personnages de l’Antiquité ne suffit plus, et, dès Richelieu, la recherche des héros nationaux fournissant des exemples édifiants et encouragée. Au début de la Fronde, Louis XIV prend connaissance de différents exemples dynastiques ayant subi une opposition comparable. Dans le lits de justice il est fait explicitement référence à Louis XI.
Au début de la période de formation, le latin occupe l’essentiel du temps. Une collection de textes latins ad usum delphini est même créée pour l’édification du Grand dauphin. En même temps que le latin, le Grand dauphin se livre à quelques exercices de chasse puisqu’aux alentours de 10 ans, il tue un sanglier avant de se lancer dans un exercice de thèmes à partir des métamorphoses d’Ovide. C’est tout de même l’histoire, surtout avec Bossuet, qui est le socle de la formation du Grand dauphin. Ce sont toutefois les historiens latins qui ont la préférence. Par contre, pour ce qui le concerne, Louis XIV tient à ce que le récit historique contemporain devienne un outil de gouvernement, en contrôlant strictement ce que les historiens écrivent de ses campagnes. En 1672, le dauphin âgé de 11 ans rédige le récit de la campagne contemporaine de Hollande que conduit son père. C’est également à cette époque que le droit royal français commence à être utilisé dans l’éducation des princes. Bien entendu, le droit romain est également enseigné.
Dans le chapitre « le prince éloquent est avisé » Pascale Mormiche évoque que les études de rhétorique avec l’apprentissage de l’éloquence est bien entendu l’usage des langues étrangères. Certes à cette époque, le français est la langue dominante des cours européennes, tandis qu’au début du règne de Louis XIV, comme à la fin du règne de Louis XIII, l’espagnol est la langue de l’ennemi.
Sous le règne de Louis XIV par contre, est bien entendu avec le mariage de l’infante d’Espagne, l’espagnol revient à la mode. Par contre sous le règne de Louis XV,il disparaît au profit de l’Italien. C’est également sous son règne que l’usage de l’anglais commence à se développer, mais ce sont surtout les princes de la famille d’Orléans qui en bénéficient.
Les études théoriques ne sont pas négligées pour autant.
Des maths, déjà !
L’apprentissage des mathématiques est inséparable de l’art militaire. Sous Louis XIII déjà, avec des mathématiciens italiens, on se préoccupe tout apprentissage de la géométrie. Le mathématicien François Blondel soutenu par Colbert propose d’ailleurs une meilleure formation des militaires en rapport avec les progrès de l’artillerie et de la balistique. François Blondel a été le précepteur des Conti, avant de passer au service du Grand dauphin.
C’est également dans ce chapitre que Pascale Mormiche traite de cartographie et de plans-reliefs. Gaston d’Orléans apprend la géographie avec un cabinet tapissé de cartes. Le plan, parfois en relief devient un outil de réflexion stratégique. C’est sous le règne de Louis XIII cas été commencée la collection. En 1668, Louvois ordonne la réalisation de plans-reliefs d’une douzaine de places fortes dans les Flandres espagnoles. Cette collection de plans est également utilisée pour l’instruction du jeune Louis XV. Avec le développement de la guerre de mouvement, ces plans-reliefs encombrants sont peu à peu négligés.
L’exercice physique, commence en même temps que l’instruction militaire à partir de 13 ans. On peut trouver au musée de la Marine à Paris des maquettes au 1/16e qui permettaient de montrer aux princes les règles des manoeuvres navales. Si sous Louis XIV et Louis XV, les exercices physiques pour les princes avaient de l’importance, il semblerait que pour le futur Louis XVI, ils aient été négligés. Les princes de Bourgogne pratiquaient le jogging, même si cet exercice s’appelait autrement, avant d’être initiés à l’art équestre et à l’escrime comme tous les princes du sang. La chasse mais également les jeux de guerre dans des fortins miniatures sont d’excellents moyens de préparer ces jeunes princes à tenir leur rang sur le champ de bataille. Dans le cas de Louis XIV, le baptême du feu a été précoce puisqu’il a 16 ans lorsqu’il est présent au siège de Stenay en 1654.
On trouve également une très intéressante question posée dans ce chapitre, « le roi de France peut-il être un marin ? ». Au XVIIe siècle il semblerait que la marine soit un moyen de « caser » les princes légitimés. Par contre sous le règne de Louis XV sous l’influence du comte de Maurepas et de quelques autres, l’intérêt pour la marine va croissant. C’est d’ailleurs à cette époque, et seulement celle-ci, que la royale a pu tenir son rang face a la redoutable Navy.
Pour son dernier chapitre, Pascale Mormiche évoque simultanément les savoirs traditionnels à finalité pratique, avec notamment la connaissance des blasons, et les savoirs nouveaux, comme la géographie et les sciences naturelles, surtout à la fin du XVIIIe. Enfin, l’éducation artistique, fait du prince un mécène mais également celui qui conduit une politique artistique au service de l’État.
Pascale Mormiche nous fait faire un beau voyage. On se glisse avec bonheur dans les cabinets des cartes des princes, on joue avec eux à la guerre, et l’on mouille sa chemise en tirant l’escrime. Il manque à cette éducation qui ne doit rien au hasard une dimension importante du métier de roi, celui de l’éducation aux femmes. À ce propos, dans cet ouvrage est bien question d’éducation des princes, mais en aucun cas de princesses. Pour en revenir à l’art de séduire et plus si affinité, il semblerait que les chambrières et quelques dames de cour complaisantes aient permis à ces jeunes gens de découvrir les jeux amoureux. Mais il semblerait que les traités théoriques n’aient pas été nécessaires, tant il est vrai, que dans ce domaine, rien ne vaut une bonne pratique.
Bruno Modica