Avec » Diane Arbus – Photographier les invisibles « , Aurélie Wilmet met en lumière la vie intime et le travail de cette femme qui, jusqu’à son dernier jour, aura transgressé les codes établis. Ce très beau roman graphique plonge le lecteur dans la construction parfois douloureuse de l’immense album photographique qu’une partie de la société américaine ne voulait pas voir.
Ce récit biographique suit un découpage chronologique marqué : date et lieu donnent la mesure des errances et des difficultés qu’a vécues l’artiste entre 1938 et 1971.
Toute la première partie de sa vie, Diane Arbus la vit dans une cruelle réalité. Embarquée dans un quotidien de femme mariée dès l’âge de 18 ans, la frustration et parfois l’ennui semblent dominer. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le jeune couple ouvre un studio de photos de mode à New-York, passe ses vacances sur l’île de Martha’s Vineyard.
Le temps passe, l’adultère s’installe et les amis fuient. La fragilité psychologique de Diane apparaît déjà. Toujours à la recherche de l’expression de son talent, c’est le travail qu’elle effectue dans New-York avec la photographe documentaire Lisette Model qui va permettre à Diane Arbus d’affirmer, enfin, sa personnalité.
» Je veux capturer le mal, l’interdit…« .
Les rues de New-York s’ouvrent à elle, les nuits, les bas-fonds où elle plonge seule avec son appareil à la recherche des invisibles, de l’étrangeté, des Freaks. Elle pénètre sous le chapiteau du cirque Barnum, rencontre les prostitués travestis qui rentrent au petit matin, les descentes de police.
En Californie, elle photographie une femme qui se considère comme la sœur de Jésus… Diane Arbus réussit à se faire ouvrir les portes des maisons et des institutions où vivent ceux que la société considère comme des monstres. Le succès semble au rendez-vous lorsque le Musée d’Art Moderne de New-York en 1967 lui offre l’exposition « New Documents« .
Mais rien n’est une ligne droite dans la vie de la photographe. Une maladie chronique ronge sa santé et l’oblige parfois à renoncer, des projets avortent et les critiques sont partagés mais enfin Diane se fait un nom dans le monde de l’art.
Pourtant, la dépression de l’artiste la ronge de plus en plus, aggravée par une vie personnelle qui s’effiloche, par l’argent qui manque toujours. Elle ressent la douleur de ceux qui sont réduits à l’invisibilité sociale : les sujets de ses photographies. Le 26 juillet 1971, Diane Arbus fait le choix de partir en laissant derrière elle une œuvre magistrale et tardivement reconnue.
Parcourir le travail que Diane Arbus a laissé, c’est regarder une autre Amérique bien loin de celle de la prospérité et de l’American Dream. C’est l’humanité de la photographe qui transparaît dans chacun des clichés qu’elle réalise au cours de sa carrière. Le regard qu’elle pose sur tous ces individus est empli d’une bienveillance que nul n’a alors. Aurélie Wilmet donne chair à celle qui ne doit pas être invisible.