Elisabeth Hamidane et Yann Liotard sont professeurs de lettres dans l’académie grenobloise. C’est sans doute suite à ces moments d’introspection que connaissent la plupart des enseignants sur leurs conditions de travail qu’ils ont décidé de troquer leur masque de fonctionnaire docile contre l’armure du « fonctionerf » en croisade pour dénoncer les dérives toujours diagnostiquées mais hélas jamais soignées de notre système éducatif.
Sous la forme naturelle d’un « dictionerfs », nos collègues passent en revue d’incalculables maux : réduction des postes (« si un mammifère sur dix est menacé en France, chez les fonctionnaires, c’est un sur deux »), baisse du niveau (voir la triste anecdote du brevet 2012 où les enseignants ont été invités à écrire le mot « oie » au tableau, supposé difficile pour la dictée !), évaluationnite et réunionnite aigüe ou encore disparition orchestrée de la mixité scolaire.
Comment ne pas être d’accord avec eux ?
Cette colère bien légitime s’exprime ici avec poésie et humour, des jeux sur la langue très présents, trop présents sur l’ensemble de l’œuvre et qui finalement amènent très rapidement à la saturation.
Prenons un exemple avec l’entrée concernant les principaux responsables de notre malheur, nos ministres successifs : « Ne nous Peillon pas de mots, les profs aimeraient que ce soit juste quelqu’un de Robien, qui sache parler leur Lang, qui Chatel à la tâche avec le respect du service public […] ». Plutôt sympathique dira-t-on mais en réalité assez éprouvant dans la durée puisqu’il faut très souvent relire les phrases presque à voix haute pour en saisir toutes les subtilités (« HiHa » pour évoquer l’interjection et acronyme de l’Inspection Académique »). L’abondance nuisant à la qualité, on relèvera, en de nombreux endroits, des jeux de mots sacrément « capilotractés » : « SEGPA banal », « On SEGPA ce qui se passe », « Photocopiée à moitié pardonnée » et tant d’autres…aïe…
Malgré tout, c’est avec un sourire davantage complice que d’autres pages peuvent être appréhendées et quelques entrées demeurent particulièrement savoureuses : « la cour » dont le va et vient permanent est très logiquement occasionné par le fait que « tout est toujours du mauvais côté – amis, cartable, goûter, toilettes… », la présentation de « l’exposé » qui montre un brillant travail d’élève donné en aparté aux autres élèves sans que l’enseignant en puisse saisir la teneur, le délicieux jeu des « collèges musicaux » où les règles consistent à : « attendre son tour, anéantir l’ambition scolaires des parents, perdre des camarades, justifier des demandes de dérogation, avoir une égalité des chances plus égale que les autres, ruiner le service public ».
A prendre et à laisser donc d’où un bête conseil final qui serait sans doute d’user de cet ouvrage à dose homéopathique, une entrée par jour pour en apprécier pleinement les finesses, la lecture intégrale d’une seule traite risquant sans doute d’amener l’indigestion.
La mise en page est, quant à elle, extrêmement soignée et nous permet de redécouvrir les éditions « La ville brûle » mais surtout de découvrir les belles illustrations rose fluo d’Elena Vieillard qui s’accommodent à merveille du texte bleu encre.