S’il est un sujet qui peut prêter à polémique, c’est bien la question de l’immigration en France. Aussi la parution de ce dictionnaire était attendue. L’ambition affichée c’est d’’ être un répertoire rigoureux de mots à enjeux » pour un domaine qui nécessite une approche pluridisciplinaire.
L’ouvrage est structuré en trois parties d’inégale longueur ; tout d’abord des questions sur l’immigration, des temps forts et enfin un dictionnaire à proprement parler. Des renvois sont proposés entre articles du dictionnaire ou depuis les deux premières parties vers la partie dictionnaire.
Le dictionnaire offre plus de 300 pages de définition. Il y a des annexes comme la liste des entrées du dictionnaire, des abréviations et une bibliographie qui reprend chaque partie du livre et chaque entrée du dictionnaire.
Questions sur l’immigration
Cette partie de l’ouvrage comprend quatre questions comme autant d’axes majeurs de réflexion. Existe-t-il une spécificité française en matière d’immigration ? Une citoyenneté sans appartenance nationale est-elle possible en France ? La fin du modèle français d’intégration ? Pourquoi une science de l’immigration est-elle si difficile ? Autant dire que ces quatre axes balaient déjà un certain nombre de questions importantes. Parmi les idées soulevées dans cette trentaine de pages relevons les points suivants. Pendant très longtemps en France l’immigration n’a été pensée que comme « une affaire de présence provisoire, réductible à l’ordre de l’économique et du travail »
Une autre question souligne les nécessaires détours par des approches européennes : il ne s’agit pas d’y trouver des réponses toutes faites mais des éléments de réflexion. Des pays comme la Suède, les Pays-Bas ont un code de la nationalité fondé sur le droit du sang, mais ont pourtant accordé le droit de vote aux étrangers. L’ouvrage propose également de recadrer quelques questions comme celle qui porte sur l’existence d’un modèle français d’intégration. L’auteur pointe en fait qu’il n’y a jamais eu de politique délibérée d’intégration et il est donc bien difficile de faire le constat d’un échec actuel. Il parle même d’une véritable croyance d’ailleurs étrangement partagée par ceux qui y ont toujours cru et ceux qui n’y ont jamais cru ! Le dernier article de cette partie se livre à un florilège de termes utilisés dans la question de l’immigration
Définir encore et toujours
C’est déjà une transition vers un point qui parcourt l’ensemble de l’ouvrage, à savoir le besoin et la nécessité absolue de préciser de quoi on parle. Qu’est-ce qu’un réfugié politique par exemple ? De même les auteurs invitent à ne pas se satisfaire a priori de termes qui semblent évidents comme communautarisme Il faut constater que le terme n’était pas employé en 1989 lors des premières affaires de voile alors qu’il est devenu un tout-venant médiatique ensuite. Ce terme est aussi fortement connoté comme s’il existait un ennemi intérieur. Parmi les autres termes précisément détaillés et expliqués signalons le mot de diaspora.
Ce souci de la définition se double d’une rigueur comme lorsqu’il faut parler des expulsions, en donner les chiffres et surtout les explications. Aucun sujet n’est laissé de côté avec par exemple une entrée « identité nationale ». Citons encore de très synthétiques et pratiques articles sur le racisme, les réfugiés ou encore le bien fondé ou non de statistiques ethniques.
L’immigration a une histoire
En articles, les auteurs retracent l’historique de l’immigration ou du moins la remettent en perspective. C’est l’occasion de rappeler quelques fondamentaux comme le fait que 60 millions de personnes ont embarqué vers les Amériques entre 1820 et 1914 dont 14 millions sur les 14 dernières années. Chicago est passée de 4400 habitants en 1840 à plus de 3,3 millions en 1930. Les articles déroulent donc la chronologie et reviennent par exemple sur la situation au lendemain de la seconde guerre mondiale. Un très bon passage s’intéresse aux lieux de rétention et d’enfermement : il y a plus de 300 lieux « ils n’ont leur place sur aucun atlas… Ils se situent dans les villes ou à leur périphérie ». Une entrée originale du dictionnaire est consacrée aux migrants âgés, car en 2007 la moitié des immigrés de plus de 55 ans originaires du Maghreb ont entre 55 et 65 ans et cela s’explique évidemment par le moment où ils sont arrivés en France. De façon plus légère, un article propose aussi une revue des mots issus de l’immigration : bateul, calculer ou dareuf. Voilà de quoi en savoir plus sur le FCC (français contemporain des cités). Ce sont donc aussi les articles qui complètent cette vision historique de l’immigration.
Bon à savoir … ou à rappeler
Des faits à connaître : un réfugié sur deux provient de six pays seulement : Somalie, Bosnie Herzégovine, Soudan, Irak Burundi et Afghanistan. Contrairement à une opinion répandue les déplacements collectifs de populations s’effectuent dans un premier temps toujours près de leur terre natale. Le taux d’activité des personnes arrivées en France depuis plus de dix ans est supérieur de 7 points à celui des migrants présents depuis trois à dix ans. L’Union européenne compte 30 millions d’étrangers qui sont répartis à 20 % en Allemagne et 16 % en France.
Plusieurs articles peuvent aussi directement intéresser dans le cadre de nos cours. Il y a certes ceux qui précisent les chiffres de référence sur l’immigration qui pourront servir en troisième ou en seconde, mais il y a aussi des éléments comme celui sur la Chine et sa diaspora. L’Asie du sud et de l’est en accueille les trois quarts et 400 000 en France. L’article aborde notamment les stratégies de développement économique de cette diaspora.
Les auteurs reprennent également les travaux de L. Mucchielli sur étrangers et délinquance. Celui-ci rappelle par exemple que, par définition, les étrangers sont soumis à une délinquance administrative qu’ils sont les seuls à pouvoir commettre, comme le délit de faux document d’identité.
Voici donc un ouvrage très complet qui rappelle les grands temps historiques, livre des définitions précises et n’élude pas les polémiques, mais les désamorce par son sens de la précision et de la définition. C’est un outil de travail à posséder et à consulter régulièrement. Une réussite indéniablement.
Jean-Pierre Costille © Clionautes