« Ce n’est que quand il fait nuit que les étoiles brillent ».
Sir Winston Churchill.

Ancien élève de l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud et professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Orléans, Jean Garrigues a dernièrement consacré un ouvrage aux Hommes providentiels. Parue aux éditions du Seuil, cette étude un peu à l’image de celle de Thomas Carlyle sur les « héros » porte sur les figures providentielles du Panthéon national français, de Bonaparte à de Gaulle en passant notamment par Gambetta ou Clémenceau, Pinay. En effet, à chaque crise majeure, la France a dû son salut à des hommes qui accédèrent ainsi au tout premier plan.

Jean Garrigues divise l’histoire de cette fascination hexagonale en quatre parties. Il y a tout d’abord le temps de César avec Napoléon Bonaparte par exemple, puis le temps du stratège grec antique Périclès, durant lequel la IIIe République s’est affirmée contre les royalistes et les bonapartistes. Ensuite sont venus le temps de Cincinnatus (du nom du héros romain) qui correspond à l’époque de la Grande Guerre et à l’entre-deux-guerres ainsi que, pour finir, le temps de Solon (du nom du célèbre réformateur athénien), où la France doit être reconstruite.

Le discours récurrent est souvent celui du peuple qui a été trahi par ses élites (dans la veine que « la trahison des clercs » de Julien Benda). La décadence est là, mais l’homme providentiel incarne quant à lui rien de moins que l’espérance. Le culte de l’homme providentiel existe aussi grâce aux fidèles. L’homme providentiel, pour tenir son rang dans l’histoire, doit prendre lui-même soin d’élaborer son mythe comme Napoléon et de Gaulle avec leurs écrits. Avec son ouvrage Les chênes qu’on abat, André Malraux contribua à dressa un portait puissant et imaginé du rebelle.

Il y a trois grandes étapes pour parvenir à la construction de l’homme providentiel : celle du recours, celle du passage à l’acte et finalement celle de la postérité. Tout le monde n’y parvient pas, comme par exemple Lamartine, qui fut député à partir de 1833 et qui fit l’objet d’un véritable culte la veille de la Révolution de 1848. Mais la répression, qui suivit, eut pour conséquence sa disgrâce.

Pour le professeur Jean Garrigues, l’homme providentiel traduit la rencontre entre le désir collectif d’un peuple et la prophétie d’un sauveur. Il y a bien une vive, profonde et tenace fascination de la France pour ses grands hommes : par exemple, tout le monde ou presque se réclame de de Gaulle. C’est le cas des membres de l’UMP naturellement, mais aussi des socialistes et de… Marine Le Pen. Depuis 1799, le culte de l’homme providentiel se répète en effet dans notre histoire.

Il est piquant de constater que la qualité d’homme providentiel est accordée à des hommes tout à fait divers que tout oppose, comme Clémenceau et Poincaré. Il existe différents « degrés » dans l’homme providentiel : il peut être modeste, comme c’est parfois le cas lors de crises d’ordre économique. La figure d’Antoine Pinay est de ce type. L’homme providentiel peut également surgir à la faveur d’une crise politique, comme Doumergue contre les ligues en 1934, ou comme de Gaulle avec la décolonisation à partir de 1958.

Est-ce qu’à l’époque actuelle du storytelling l’homme providentiel a un avenir ? Sur cette épineuse question, les avis sont très partagés. Selon Jean Garrigues, si la notion d’homme providentiel perd en intensité, elle gagne néanmoins en extension. Très documenté et très précis, cet ouvrage est vraiment passionnant et offre des perspectives de réflexion tout à fait stimulantes. Est singulièrement intéressante la typologie que l’auteur emploie pour classer les hommes du destin selon qu’ils soient, par exemple, des conquérants, des défenseurs de la patrie ou des reconstructeurs.

Jean-Paul Fourmont