Enseignant basé en Colombie-Britannique, Jean-Claude Castex a jusqu’ici eu une production littéraire assez éclectique : aux nouvelles pour enfants de Le gros lot (1988) ont ainsi succédé Les grands dossiers criminels du Canada (1990-1993), puis un recueil de faits divers sanglants, A la limite de l’horreur (2005). Entre-temps, l’auteur, qui a suivi une formation universitaire en histoire à Québec et Vancouver, a publié aux Presses Universitaires de Laval le Dictionnaire des batailles navales franco-anglaises (2004), dont cet ouvrage, qui y fait de nombreuses fois référence, peut être vu comme un prolongement, voire un complément… puisqu’on y voit étonnamment figurer (p.42, 47 et 514) trois combats purement maritimes !

La période historique traitée est néanmoins beaucoup plus restreinte, puisque l’auteur a choisi ici de se consacrer intégralement à un seul des nombreux conflits ayant historiquement opposé la France et l’Angleterre : la Guerre de Sept ans. Cette grande conflagration vit s’affronter, de 1756 (et dès 1754 sur certains théâtres d’opérations) à 1763 deux coalitions assez hétéroclites ; d’un côté, la Prusse, la Grande-Bretagne et quelques petits Etats allemands, de l’autre, l’Autriche, la France, la Russie, la Suède, la Saxe. La rivalité coloniale et maritime entre la Grande-Bretagne et la France devait lui donner une dimension extra-européenne, encore renforcée par l’entrée en guerre tardive (1761) de l’Espagne. Or les péripéties militaires de ce conflit d’importance, à la fois dans son déroulement et dans ses conséquences (puisque le traité de Paris, qui y met fin, entraîne la chute du premier empire colonial français et le triomphe de l’hégémonie anglo-saxonne en Amérique du Nord), n’ont guère fait l’objet d’un traitement actualisé de la part de l’historiographie francophone. Aucune étude récente n’existe en France ; chez nos amis québecois, l’ouvrage de référence sur ce qui est significativement nommé là-bas « la Guerre de conquête » reste celui de G.Frégault, daté de 1955…

Le grand intérêt de l’ouvrage est donc de combler en partie ce vide, puisque, après une brève introduction rappelant le contexte général de la Guerre de Sept Ans, il présente dans l’ordre alphabétique, en 600 pages assez denses, 133 combats terrestres ayant opposé au cours du conflit Français et Anglais flanqués de leurs alliés respectifs. Chaque affrontement est exposé de façon systématique à travers une suite de rubriques récurrentes (date, localisation, contexte, chefs en présence, effectifs engagés, résumé de l’action, conséquences). Sont ainsi brossés une succession de « temps forts » qui rappellent que le conflit franco-anglais de 1754-1763, véritable guerre parallèle aux opérations menées par l’ensemble des belligérants en Allemagne, fut d’ampleur mondiale, voulu comme tel par la Grande-Bretagne, mais sans doute plus disputé que son issue finale ne le laisse présager.

L’ouvrage embrasse l’ensemble des théâtres d’opérations, des Baléares (1 notice), où débutent en avril 1756 les hostilités « officielles » entre les deux États, à la Nouvelle-France (55 notices), objet de 1754 à 1760 d’une entreprise de conquête anglaise qui se heurte d’abord à une belle résistance, en passant par les Antilles (4 notices), les Indes Orientales (38 notices), où, là aussi, le bras de fer indécis engagé à partir de mars 1757 se clôt par la prise de Pondichéry et de Mahé au bénéfice des Anglais quatre ans plus tard, les points d’appui français du Sénégal (2 notices), perdus en 1758, le littoral de France (5 notices), objet la même année, puis en 1759 et 1761 d’une série de raids combinés anglais aux résultats divers, et bien sûr l’Allemagne (23 notices), dont le nord-ouest est, jusqu’en 1762, le cadre d’ affrontements d’envergure engageant plusieurs dizaines de milliers d’hommes, une coalition (où les Britanniques en nombre limité figurent au côté de Prussiens, de Hanovriens, de Hessois et de Brunswickois) étant opposée aux Français qui se verront ainsi détournés des champs de bataille coloniaux.

Le tableau est probablement exhaustif (à ceci près qu’y manquent curieusement les combats consécutifs à la tentative française de reprise de Terre-Neuve à l’été 1762) ; il présente en outre l’intérêt de revenir sur des épisodes méconnus, telles les actions de guérilla menées en Acadie contre la politique d’expulsion de la population francophone mise en ouvre par les Britanniques (le « Grand Dérangement »), la guerre dite « de Pontiac » (mai-novembre 1763), véritable soulèvement des Indiens francophiles des Grands Lacs contre les vainqueurs de leurs alliés, ou encore la prise de la ville irlandaise de Carrickfergus par les troupes de l’ex-corsaire François Thurot (février 1760).

L’accumulation de données factuelles et iconographiques est impressionnante, et la narration de certaines batailles est poussée assez loin ; d’évidence, J.-C. Castex s’est livré à un gros travail de recherche, dont il avoue lui-même y avoir consacré plusieurs décennies. La bibliographie mélange les sources d’époque aux travaux historiques… pas toujours parmi les plus récents sur le sujet (même si nous avons vu le caractère tout relatif de cette notion) : concernant la Guerre de Conquête par exemple, aucune mention n’est faite de l’ouvrage de Frégault déjà cité ou de la dernière synthèse anglophone, le Crucible of war de F.Anderson (2000).
C’est sans doute, entre autres, ce qui explique certaines des limites de l’ouvrage dans le fond et dans la forme. On constate en effet certaines petites erreurs factuelles, qui peuvent s’expliquer par des simples « coquilles » (exemple : les « 15000 » Anglais supposés marcher sur Niagara en 1759 n’étaient au grand maximum que 3000, renforcés par quelques centaines d’Indiens), mais pas toujours (ainsi, le titre d’ « Empereur d’Autriche » dont il est question à plusieurs reprises dans la présentation de la Guerre de Sept Ans qui introduit l’ouvrage n’existe réellement qu’à partir du début du XIXe, adopté à titre de compensation par François 1er dépossédé du St-Empire Romain Germanique par Napoléon…).

Plus généralement, certaines appréciations de l’auteur peuvent manquer de recul ; spécialement celles concernant la Nouvelle-France à laquelle, d’évidence, il s’est particulièrement intéressé. Le fait que, natif d’Oran, il ait lui-même quitté l’Algérie en 1962 n’y est d’ailleurs peut-être pas étranger. Sa vision de la fatalité démographique de la chute de la colonie (p.XV et 469), du cynisme et de la légèreté ayant prévalu, du côté français, vis-à-vis du Canada, en ce qui concerne sa colonisation ou son abandon lors de la signature du Traité de Paris, le portrait brossé de certains protagonistes (il n’est en général pas tendre pour les Anglais, pour Louis XV)… gagneraient à être nuancés. Pareillement, on peut discuter l’emploi un peu rapide d’expressions anachroniques (« pieds-noirs » à propos des Français du Canada, « maquisards » appliqués aux résistants d’Acadie), et déplorer la pauvreté de la rubrique « Contexte » de certaines notices (particulièrement parmi celles consacrées à l’Allemagne et aux Indes Orientales), qui n’aide guère à replacer les événements dans une globalité. Quant aux illustrations, si beaucoup sont excellentes voire exceptionnelles (nombreuses cartes de situation, de batailles, de lieux…), d’autres sont parfois mal placées (exemple : p.74, 411… ), ou carrément incongrues (tels ces lanciers de l’Empire tirés du dictionnaire Larousse figurant p.539).

De part sa forme et les réserves soulevées ci-dessus, et malgré sa présence aux PUL, le Dictionnaire des batailles terrestres franco-anglaises de la Guerre de Sept Ans n’est donc pas l’analyse scientifique et exhaustive définitive sur le sujet. L’auteur le reconnaît d’ailleurs implicitement en destinant prioritairement son ouvrage à « satisfaire aux besoins de rêve et d’évasion de ceux que passionnent les hauts faits des soldats canadiens, français et anglais durant la guerre de Sept Ans » (p.IX). Il intéressera donc prioritairement les passionnés de la période. Il n’en reste pas moins une somme de travail et d’informations impressionnante et respectable qui pourra utilement servir de base pour un travail ultérieur.

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