A.J. Mbem, philosophe camerounais, spécialiste de littérature comparée nous propose ici un essai résolument positif sur les relations Afrique/Europe, une réflexion sur les rapports anciens et récents entre les deux continents. Un livre utile, notamment pour les enseignants qui ont un public métissé, qui contredit le “choc des civilisations” et puise dans le passé des raisons d’espérer en un avenir commun à l’heure de la mondialisation. Sans nier les heurts, les épreuves et les pages noires de notre histoire commune l’auteur met en avant délibérément les relations positives.
L’Egypte pharaonique parce qu’elle se trouvait à la charnière de deux mondes a été un lieu d’échanges et de brassages des biens, des idées, des populations, elle a accueilli des grands noms de la Grèce comme Pythagore ou Platon mais aussi des peuples du Sud, elle a ainsi laissé des traces tant dans les cultures européennes qu’africaines. L’auteur compare en particulier l’aïdos au griot, le rapport au divin, l’agora et l’arbre à palabres. Dans sa recherche de convergences entre cultures africaines et européennes il montre aussi des similitudes dans le rapport à la mort, les pratiques rituelles en interrogeant les influences noires dans le judaïsme (de la reine de Saba aux Falachas d’Ethiopie) et dans le christianisme antique (monachisme, St Augustin). Dénonçant la confusion entre Islam et “arabité”, il montre le rôle de passeur de savoirs du monde musulman médiéval d’Averroès à la Sicile normande ou à la ville de Tombouctou, et propose ainsi une piste d’ouverture pour le programme de seconde. L’évocation de la traite et de la colonisation débouche sur des intellectuels emblématiques d’un croisement culturel: Dumas, Césaire, Senghor ou Joséphine Baker et l’influence de la culture noire sur les arts européens de Cendrars aux surréalistes.
L’auteur propose ensuite son analyse sans concessions des rapports France / Afrique depuis la décolonisation: exploitation économique, assimilation culturelle et domination politique, rapports dominés par une vision européocentrée. Aujourd’hui les banlieues sont le lieu de construction d’un nouvel humanisme métissé pour un nouveau vivre ensemble.
Le troisième chapitre invite à une réflexion sur la naissance d’une communauté politique, sur la nation. Rejetant l’idée d’une origine commune, il montre que la communauté est une construction volontaire en s’appuyant sur l’exemple de la construction européenne. Il plaide pour un dépassement des nationalismes nés du XIX ème siècle en Europe ou de la décolonisation en Afrique et pour un rejet des préjugés réciproques (nationalistes ou ethnicistes). Il fonde l’élaboration un nouveau modus vivendi par delà une histoire parfois chaotique entre Afrique et Europe sur l’expression de Senghor: “rendez-vous du donner et du recevoir”. La définition d’un co-développement dans un monde ouvert pose la question des migrations vers l’Europe mais aussi intra-africaines.
Le dernier chapitre est une lecture de m’actualité: refus d’une perception trop “homogène” de la présence noire en France, lecture des programmes des candidats à l’élection présidentielle (UMP, UDF, PS) et la confrontation au réel. L’auteur conclut sur le rôle fondamental des diasporas africaines dans le co-développement au-delà des transferts d’argent.
L’Afrique comme l’Europe d’aujourd’hui sont le produit de la rencontre antre les deux continents, avec des influences réciproques dans les domaines de la pensée comme de l’art. “Il y a urgence à concevoir le politique en Europe et en Afrique dans l’horizon durable d’un nouveau projet de civilisation entre ces deux entités que l’Histoire rapproche à pas de géants. Au-delà de l’angoisse de l’urgence existe un espoir que renforcent les jalons d’une commune qui se met en place entre Européens et Africains, des jalons que le métissage ethnique et culturel accélère depuis l’ouverture des autoroutes de l’information et de la communication et l’explosion des migrations.”
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