La langue française recèle d’innombrables expressions construites autour du vocabulaire culinaire et gastronomique. Les ustensiles, les produits alimentaires sont convoqués pour décrire des situations, des postures, des attitudes, des sentiments. On a du bol ! S’aurait pu coûter bonbon ! Sans en faire tout un fromage ou un flan ! Tout y passe de la cruche au vieux croûton, en passant par la nouille ! Pas de quoi rester en carafe ! Ainsi « à la louche », 1 500 images, dictons et proverbes sont passés à la moulinette dans cet ouvrage exhaustif… qui ne restera pas sur l’estomac et donnera du grain à moudre. Pour l’entrée « Pain », l’auteur propose plus d’une soixantaine d’expressions commentées. C’est du pain béni !
La maquette éditoriale, les polices de caractère et la mise en page, rappellent des ouvrages anciens sur cette thématique gourmande.

Le ton est léger, voire canaille, à l’image de la première occurrence de ce dictionnaire, « abricot », qui s’ouvre par l’expression « avoir l’abricot en folie »… On n’y va donc pas par le dos de la cuillère !
Les expressions populaires issues de la cuisine et de la table offrent un langage fleuri : prendre une gamelle, un beignet, une patate, un marron, une pêche, flanquer une tarte, avoir la banane, se fendre la poire, avoir le melon, avoir la dalle, pédaler dans la choucroute, ramener sa fraise, l’avoir dans l’os, aller se faire cuire un œuf, allonger la sauce, se prendre le chou, être boudiné, en compote, fuir de la cafetière, mettre son grain de sel, être sur le gril, travailler du chou, écrire une tartine, raconter des salades, mettre la main à la pâte, jeter de l’huile sur le feu, être soupe au lait, être dans la panade, avoir du pain sur la planche, faire mariner, se jeter un verre derrière la cravate, raisonner comme une huître…

Les nuances et évolutions sémantiques sont mises en lumière. Par exemple, le baratin désigne au XIXe siècle un portefeuille volé. Aujourd’hui il renvoie à un flot de paroles trompeuses. La tartine de mensonges l’emporte sur l’action de battre la crème pour la transformer en beurre (« baratter »).
Du latin bibere, boire, la « bibine » désigne une taverne bon marché au XVIIIe siècle. Le sens évolue pour caractériser une boisson alcoolisée de mauvaise qualité.
Le « bof » qualifie initialement un profiteur durant l’Occupation, qui tire « les marrons du feu ». Le « Beurre-Œufs-Fromages » qui faisait son beurre aux dépens d’autrui est devenu un ringard (qu’on écrit aussi « beauf » de l’abréviation « beau-frère »).
Autre exemple, on passe de l’expression de « la goutte qui fait répandre le verre » employée par Madame de Sévigné, à « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ». Jadis on aurait dit « boire le vin de l’étrier » (au moment de monter à cheval pour partir en voyage), désormais on parlera d’un « dernier verre pour la route ».
Les expressions illustrent souvent des réalités. On « ira comme les écrevisses » quand une affaire n’avance pas, car ces crustacés ont la capacité de marcher à reculons. Parfois il faut remonter dans le temps pour saisir le sens de certaines formules. Rabelais écrivait : « Élus, choisis et triés comme beaux pois sur le volet ». « Trier sur le volet » fait allusion à un voile utilisé au Moyen-Age pour trier les graines en les faisant sauter au vent. Cette toile devient par la suite un tamis, puis une sorte d’assiette de bois.
Au Moyen-Age, le voyageur breton arrivant à l’auberge demandait « Bara ! Gwin ! », autrement dit du pain et du vin. « Baragouiner », c’est d’abord s’exprimer dans une langue étrangère, aujourd’hui c’est parler de façon incompréhensible ou bafouiller.

Des expressions témoignent de l’organisation du service à table à travers les âges. Au XVIIe siècle, « entre la poire et le fromage » est un moment qui annonce bientôt la fin du repas et favorise les discussions. « Mettre les petits plats dans les grands » naît avec l’apparition du service à la russe durant la période napoléonienne.
Chez les élites qui redoutaient le poison, on dressait la table « à couvert », autrement dit en sûreté afin de protéger les plats et les boissons.
Les sources d’explication peuvent être multiples et se croiser. « Se remplir la lampe » se rapporte à la lampe à huile qu’on alimente en liquide pour fonctionner, mais aussi au verbe « lamper » (boire d’un trait), et au mot « lampas » qui chez La Fontaine est synonyme de « gorge » ou « gosier ».
Le comédien se camoufle derrière un maquillage pour ne pas être reconnu. Le chat de La Fontaine dans « Le chat et le vieux rat » s’enfarine. Ces dissimulations qui trompent, renvoient à l’expression « rouler dans la farine ».
Les manières de table sont aussi à l’honneur. On évitera de « manger avec la fourchette du père Adam » (c’est-à-dire avec ses doigts). Les métaphores sont abondantes. Beaumarchais dans Le Mariage de Figaro popularise la forme « manger à deux râteliers », qui deviendra par la suite « manger à tous les râteliers ».
Le mot « mie » vient du latin mica qui signifie « parcelle », donc un fragment, une petite chose. Le diminutif de « mie » est « mi-ette » au féminin et donne « mi-oche » au masculin.

L’anecdote historique trouve sa place dans l’ouvrage. « Saoul comme la bourrique à Robespierre » fait référence à un voyage du Jacobin à Ermenonville sur la tombe de Jean-Jacques Rousseau en 1792, où les paysans donnent à l’animal du pain trempé dans le vin durant une pause. Le « repas de Lucullus » et le « festin de Balthazar » sont d’autres exemples développés dans ce recueil.

Cerise sur le gâteau, les citations « gratinées » qui précèdent quelques entrées sont savoureuses :
« Si vous êtes venu boire pour oublier, soyez gentil, payez avant de boire » (Jean-Charles, humoriste et écrivain français, 1922-2003) ;
« Qu’est-ce que vous regardez ? C’est la carte routière ? Non ! C’est la carte des vins. C’est pour éviter les bouchons ! » (Raymond Devos) ;
« Il n’y a jamais qu’une cruche pour se faire l’écho d’une gourde » (Jean Pierre Deprez) ;
« Ce qu’on est arrivé à faire avec le téléphone « sans fil », est-ce qu’on va le réussir un jour avec les haricots ? » (Philippe Geluck, dessinateur) ;
« L’indigestion a été inventée par le bon Dieu pour faire la morale aux estomacs » (Victor Hugo) ;
« Souriez, car vos dents ne sont pas seulement faites pour manger ou pour mordre » (Man Ray) ;
« Plus un citron est pressé, plus il se dépêche » (Pierre Dac) ;
« Un livre de cuisine, ce n’est pas un livre de dépenses mais un livre de recettes (Sacha Guitry) ;
« Dans certains pays la faim va de pair avec le régime » (Gaëtan Faucer) ;
« La seule arme qui m’intéresse est le tire-bouchon » (Jean Carmet).

Le sujet de ce livre se prête à des notes d’humour de l’auteur. A l’évocation du terme utilisé pour désigner un plaquage brutal au rugby (« arrêt-buffet »), Stéphane Gillet est inspiré par la remarque suivante : « Quoi de plus naturel pour une armoire à glace qu’un arrêt buffet ? ». On appréciera le subtil lien avec l’estomac et le lieu de restauration d’antan de la gare.

Notons toutefois que le lecteur peut en quelques cas rester sur sa faim. A l’expression « presser l’orange et jeter l’écorce », il est dommage qu’aucune notice soit proposée. En effet, il aurait été judicieux de faire référence au célèbre propos de Frédéric II de Prusse à l’égard de Voltaire. La lettre écrite à sa nièce, Madame Denis, le 18 décembre 1752, fait état de la blessure du philosophe et de son amitié rompue : « Je vois bien qu’on a pressé l’orange ; il faut penser à sauver l’écorce… ».

Au final, la mayonnaise prend, il y en a pour tous les goûts… des « tablettes de chocolat » à la « brioche »… « à boire et à manger », « du lard ou du cochon », « des vertes et des pas mûres », de la « gauche caviar » à la « droite jambon-beurre »…
Un ouvrage savoureux, aux petits oignons, qui nous rappelle comment nos expressions gourmandes sont omniprésentes. A tout moment, on pourra picorer çà et là dans ce dictionnaire « sans en perdre une miette », « dos au feu, ventre à table », comme on grignote un « petit beurre » Lu (crée en 1886), dont ses 52 petites dents représentent le nombre de semaines, les quatre coins du biscuit les quatre saisons, et les 24 petits trous les 24 heures de la journée.