11 novembre 1918, 8 mai 1945… Les commémorations sont très présentes dans notre calendrier. Le travail collectif chroniqué ici est mené principalement à l’échelle d’une grande région. Il propose une approche du phénomène de la commémoration qui pourra fournir un appui précieux au professeur qui enseigne la spécialité HGGSP en terminale autour du thème « Identifier, protéger et valoriser le patrimoine : enjeux géopolitiques » 

Commémorer 

Commémorer, c’est en effet « rappeler par une cérémonie le souvenir d’une personne ou d’un évènement ». L’acte de commémorer pose également la question du rapport à un passé collectif. Contrairement à ce que l’on pense parfois, ce n’est pas une spécificité française comme le prouve une institution comme l’Unesco. L’introduction se termine avec une carte des sites mentionnés dans l’ouvrage.  L’angle géographique est pleinement pertinent car, à l’évidence, on ne commémore pas tout avec la même intensité sur le territoire français. L’ouvrage est conçu en trois parties qui se terminent toutes par des portfolios richement illustrés. Pour en découvrir quelques pages c’est ici. 

Commémorer en majesté ? 

La première contribution de Gilles Vergnon s’intéresse aux « hautes autorités dans les hauts-lieux à travers l’exemple du Vercors en 2013-2014 ». Il pointe la surreprésentation des commémorations autour des maquis à l’échelle de l’Auvergne Rhône-Alpes parlant de ceux-ci comme d’une métonymie de la Résistance. Se donnant de la profondeur historique, Gilles Vergnon montre que Jacques Chirac ou François Mitterrand n’ont pas commémoré les mêmes choses. S’il peut sembler logique que François Hollande se rapproche dans ses pratiques de François Mitterrand, il faut tout de même remarquer que les discours de François Hollande sont plus précis même si dans tous les cas il s’agit d’exalter l’unité nationale. Le message qu’on cherche à faire passer est que l’unité se fonde sur les diversités. L’auteur évoque les différents groupes qui participent aux commémorations, qu’il s’agisse d’associations ou de groupes de reconstitution. Progressivement, on note une intégration toujours plus importante de spectacle vivant dans la commémoration des hauts faits de la Seconde Guerre mondiale. 

Le deuxième article se focalise sur la commémoration du génocide arménien à Valence et distingue plusieurs temps. Il montre une revendication politique portée par une symbolique religieuse chrétienne, du moins dans un premier temps. Avant 1965, le recueillement se fait dans des espaces clos. A partir de cette date, et jusqu’en 1991, l’expression revendicative gagne l’espace public. A partir de 1991, les choses changent avec l’indépendance de l’Arménie. La diaspora n’est en fait plus automatiquement le conservatoire de l’arménité. 

Le livre propose ensuite plusieurs portfolios : un sur la cérémonie d’Oyonnax en 2013, un autre sur la journée du souvenir de la section des maquis de l’Oisans et un sur les cérémonies commémoratives en Ardèche de 1944 à 1985. Il faut préciser que chacun d’eux est accompagné d’un rapide commentaire très utile.

Commémorer dans la gêne ou dans l’oubli

Six contributions forment cette deuxième partie. La première est consacrée à la question de la commémoration de Gergovie et d’Alesia. Blaise Pichon rappelle d’abord qu’il a fallu établir avec certitude la localisation de ces deux évènements. Au passage, il précise que leur localisation avait été connue jusqu’au Moyen Age avant d’être remise en cause récemment. Ces deux faits sont intégrés au roman national et concernent Vercingétorix, personnage historique redécouvert au XIX ème siècle, notamment sous l’action de Napoléon III. Gergovie fut au départ une commémoration qui a surtout occupé les Auvergnats avant d’être récupérée par le régime de Vichy. Alésia, tout comme Gergovie, a été commémoré au nom de l’unité de la nation «  dans des périodes où des tensions très fortes traversaient le corps civique français ». Les historiens ont travaillé et on peut affirmer aujourd’hui que ces deux évènements ne s’inscrivaient pas dans un contexte d’unité des Gaulois, bien au contraire. 

Robert Belot s’intéresse lui à la « politisation de la commémoration de la grande guerre dans le Stéphanois industriel ». Il souligne qu’il faut nuancer l’idée d’un consensus dominant et unanime lors de l’entrée en mémoire de la Première Guerre mondiale. Il montre que dans ce cas la mémoire n’a pas été un acteur de résilience et de réconciliation. Au contraire, elle a plutôt tendance à réactiver des fractures sociales et idéologiques. Ces tensions s’expliquent notamment par le fait que le Stéphanois a produit des armes alors que la tradition politique est plutôt marquée par une idéologie syndicaliste et révolutionnaire pacifiste. 

Philippe Hanus consacre un article aux soldats bourbaki. La guerre franco-prussienne de 1870 est ensevelie sous les mémoires des deux guerres mondiales à l’exception des habitants des régions directement impactées par le conflit. Audrey Mallet revient sur l’ « impossible commémoration du vote du 10 juillet 1940 à Vichy ». Elle propose de distinguer deux périodes : avant et après 1980. Que dire sur cette date qui peut être vue comme un jour de honte avec le vote des pleins pouvoirs à Pétain ou comme un jour de gloire avec le fait que 80 députés aient refusé de plier ? On préfère donc commémorer des évènements plus consensuels. Pascal Guyon s’intéresse à la commémoration des bombardements de 1944 en Drôme Ardèche, bombardement nettement moins connus que ceux de Normandie, et Abderhmen Moumen réfléchit à la façon  de commémorer l’arrivée des Harkis en France à travers deux exemples récents. Deux portfolios accompagnent cette partie.

 La commémoration par ses acteurs

La troisième partie commence par s’interroger sur la rencontre de Laffey en 2015 comme exemple d’une «  commémoration d’en bas ». Il s’agit de célébrer le ralliement à Napoléon de retour de l’ile d’Elbe d’un régiment aux ordres du roi. La commémoration a été un succès malgré la faible implication des élus. L’activité des associations fut essentielle et cette réussite doit aussi interroger ce phénomène que l’on voit à l’oeuvre de recréation du passé. 

Corinne Porte revient elle sur la Grande collecte, opération lancée à l’occasion de la commémoration de la Première Guerre mondiale. Elle évoque d’abord des chiffres nationaux soulignant que 20 000 personnes se sont déplacées dans les services d’archives pour apporter quelque chose et que plus de 320 000 documents ont été numérisés. La correspondance de guerre formait une grande partie des apports et parmi les lettres, celles de Victoria et Félicien Arcis. A partir de 1916, les lettres sont d’abord écrites par Victoria qui laisse systématiquement le deuxième volet libre afin que Félicien puisse lui répondre. Comme on possède par ailleurs ses carnets intimes de guerre on s’aperçoit qu’il sélectionne l’information qu’il donne à sa femme, évitant d’évoquer les aspects les plus durs. En tout cas, tous ces documents participeront à l’écriture d’une autre histoire , « celle d’individus qui ont fait l’histoire dans le silence ». 

D’autres contributions évoquent les « transfigurations des commémorations relatives aux sauvetages des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale en Auvergne » ou «  La politique mémorielle du lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand ». Les portfolios reviennent sur la reconstitution de l’épopée napoléonienne à Laffrey mais aussi sur les reconstitutions faites sur la vie au maquis dans le Vercors. 

En conclusion, Anne Hertzog insiste sur les recompositions du phénomène de la commémoration. Elle remarque d’ailleurs que le même terme désigne à la fois ses manifestations les plus officielles, avec les présidents de la République, que des pratiques aussi diverses que les reconstitutions historiques pratiquées par des associations. Elle souligne également « que ces commémorations traduisent également des demandes de reconnaissance qui se manifestent à différentes échelles ». Elle poursuit en disant que « la géographie des commémorations contemporaines s’articule ainsi à la croisée de la géographie des conflits et des dynamiques sociales et spatiales dans lesquelles s’inscrivent les pratiques mémoriellles ». Elle rappelle enfin que le contexte récent est parfois celui  d’une «  dé-commémoration » comme le montrent des demandes de déboulonnage de statues. Tout ceci témoigne à la fois de l’actualité du sujet et de nouvelles perspectives stimulantes de recherche. 

 Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.