En librairie le 17 février 2015
« Cet ouvrage collectif est dédié aux migrants du monde ». Cette belle dédicace introduit ce travail de titans dirigé par Gildas Simon, géographe, ancien professeur à l’Université de Poitiers, fondateur du laboratoire Migrinter migrations internationales, espaces et sociétés et spécialiste de la géographie des migrations. Il a fallu quatre ans pour que ce monument voie le jour. Cette entreprise individuelle s’est transformée en aventure collective grâce à la collaboration de 150 auteurs (des géographes, des historiens, des démographes, des sociologues, des anthropologues, des politologues) sollicités pour leur expertise.
Tous (y compris la Fondation de l’Université de Poitiers) ont œuvré pour que prenne forme cet ouvrage qui reconstitue l’histoire migratoire de quasiment tous les pays du monde, selon une approche inédite, celle d’une analyse croisée de l’émigration et de l’immigration relatives à ces États. L’importance des migrations dans la vie sociale et politique de tous les continents, accompagnée d’une production scientifique foisonnante, nécessitait un ouvrage de synthèse afin de diffuser ces connaissances auprès d’un large public. L’approche retenue fait appel à l’histoire des États afin d’apporter des éléments de compréhension et d’intelligibilité visant à mener le lecteur à faire sa propre analyse et à porter son propre jugement. À rebours des discours assimilant mondialisation et disparition des États, les auteurs veulent croire que l’État est « un acteur toujours pertinent dans la mondialisation » (p. 11) et plus particulièrement lorsque l’on traite de politiques migratoires, y compris dans l’Union Européenne. « Ce domaine constitue toujours l’un des lieux symboliques où la souveraineté nationale résiste le plus fortement au processus même de la communautarisation » (p. 12).
Ce dictionnaire n’en est pas vraiment un. Ici, pas de classement alphabétique mais une organisation des articles selon les continents ou sous-continents, correspondant aux systèmes migratoires régionaux. Chaque chapitre débute par une introduction comportant une carte de localisation des États et des espaces de libre circulation puis se succèdent des entrées par pays. La taille des articles est proportionnelle au poids démographique du pays mais aussi à la richesse de son histoire migratoire. À la fin des articles, un système de renvois permet de poursuivre la lecture. Au fil des pages, apparaissent des concepts tels que le multiculturalisme, l’intégration (dont les définitions sont rapidement rappelées en début d’ouvrage) ne constituant malheureusement pas des entrées à part entière du dictionnaire. Si le nom des auteurs apparaît en fin d’article, aucune mention bibliographique (sur le modèle du Lévy-Lussault) n’y figure et il faudra se reporter à la bibliographie mise en ligne sur le site de l’éditeur pour poursuivre sa lecture. Malgré ces réserves, cet ouvrage sera d’un grand secours aux enseignants du Secondaire ayant à préparer des cours en lien avec des sujets brûlants de l’actualité. Il suffit de penser au chapitre consacré au Moyen-Orient, un des espaces migratoires les plus complexes du monde (combinant migrations de fuite, de travail, de transit, familiales ou bien héliotropisme) mais aussi à la vaste partie consacrée à l’Afrique sub-saharienne. Cette dernière montre à quel point ce continent est intégré aux circulations humaines depuis longtemps entre esclavage et domination. Une diversification des flux, longtemps tournés vers les anciennes métropoles, est en cours vers l’Asie et l’Amérique, sans compter les nombreux conflits internes à l’origine de flux de déplacés et de réfugiés. La complexité des mouvements en œuvre fait qu’il n’existe pas un système migratoire sub-saharien mais plusieurs : celui organisé autour de l’Afrique du Sud, un autre multipolaire en Afrique orientale attiré par la Chine et l’Inde, un troisième organisé autour de pays riches en matières premières, telle que la République démocratique du Congo, le Gabon ou l’Angola et enfin un dernier davantage structuré grâce à la CEDEAO (Communauté des États d’Afrique de l’Ouest). La lecture des articles consacrés à chacun de ces pays, leur combinaison, apparaît comme nécessaire à tout enseignant de classe terminale s’il veut disposer des clés de lecture de notre monde. Elle offrira aussi à nos élèves, des jeunes immigrés ou issus des immigrations mondialisées, l’occasion de connaître plus précisément l’histoire migratoire (spécifique) de leur pays d’origine ou celui de leur famille (histoire souvent laissée dans le non-dit) et peut-être de se l’approprier de manière positive.
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes