Préface du général d’armée François Lecointre, chef d’état-major des armées.

Voici un ouvrage que l’ensemble des bureaux opérations instruction (BOI) devrait mettre à disposition de tous leurs personnels. De l’engagé volontaire dans l’armée de terre, aux sous-officiers qui préparent les concours, mais également du professeur d’histoire qui a une responsabilité particulière dans le domaine de l’enseignement de la défense, tous peuvent tirer profit, à des degrés divers, de la lecture de ce dictionnaire.

De 1963 à nos jours, ce sont près de 170 opérations et missions de combat, ou de maintien de la paix, qui ont été assurées par nos soldats.

Avec la suspension du service militaire obligatoire en 1997, le lien entre l’engagement des soldats, professionnels le plus souvent, mais parfois volontaires du contingent, et les missions de combat, a été largement distendu. Qui se souvient de l’opération Bonite, Épervier, Licorne, Pamir ?. On parle évidemment beaucoup plus des dernières qui sont régulièrement rappelées sur les chaînes d’information en continu, comme Barkhane et Chammal. Il faut fréquenter, comme l’auteur de ces lignes, les popotes régimentaires pour y voir quelques souvenirs de ces épisodes qui participent de l’histoire des unités qui y ont participé. On y voit aussi le souvenir des soldats tombés en opération, et leur nom est parfois associé à un lieu qui perpétue leur sacrifice.

Si cet ouvrage est coédité avec le ministère des armées, il ne faut pas le considérer comme une forme de « bourrage de crâne militariste », ce que certains de nos contemporains, et même certains professeurs d’histoire, hélas ! ont tendance à croire trop souvent. Pour ces femmes et ces hommes qui ont choisi de servir, avec pour certains d’entre eux, la mort, au bout de leur engagement, cet ouvrage représente assurément, pour reprendre la formule du général Lecointre, une sorte d’hommage. Mais pour le professeur d’histoire, qui sera aussi, avec les enseignements de spécialité, professeur de géopolitique, et n’oublions surtout pas, de sciences politiques, ce dictionnaire a vocation à devenir un véritable outil de travail.

L’un des premiers articles de ce dictionnaire est consacré à l’Afrique centrale, fief historique des OPEX. À peine deux ans après la fin de la guerre d’Algérie commence la longue série des opérations extérieures. Dans ce contexte où la plupart des pays de l’ancienne union française ont accédé à l’indépendance les armées françaises interviennent pour stabiliser des gouvernements qui viennent de se mettre en place et qui sont le plus souvent confronté à des révoltes de certains de leurs militaires.

C’est en février 1964 que le Gabon avec Libreville devient le point d’appui le plus important de la France. C’est toujours le cas aujourd’hui.

La première grande opération militaire a lieu dans le contexte particulier du Tchad avec l’opposition du front de libération nationale, (FROLINAT) contre le gouvernement en place. Plusieurs interventions ont lieu mais passent plutôt inaperçues, notamment en 1968 et surtout en 1969, avec l’opération Limousin.

Officiellement les troupes françaises servent d’appui aux soldats loyalistes du gouvernement tchadien, mais dans la pratique sont directement engagés. Il s’agit en réalité d’une confrontation indirecte avec la Libye du colonel Kadhafi, qui regarde avec intérêt la bande d’Aouzou, un territoire contesté entre les deux pays, depuis la période de la colonisation italienne.

Les armées françaises sont régulièrement engagées jusqu’à la victoire du FROLINAT en 1979, mais opérations qui suivent sont davantage coordonnées avec les « services », (SDECE). Pendant cette période, du Tchad au Zaïre, différentes opérations ont lieu avec le saut opérationnel sur Kolwezi en 1978, ce qui permet de sauver le président Mobutu. À partir de Kinshasa, et pour lutter contre le pouvoir communiste installé en Angola, à la faveur de la révolution des œillets au Portugal, différentes opérations sont menées en toute discrétion. Plusieurs opérations s’inscrivent dans cette logique, comme l’élimination, en République Centrafricaine de l’empereur Bokassa, pourtant ami de la France, en 1979. (Barracuda). Ce sont les unités parachutistes de la légion étrangère, le deuxième régiment étranger, basé à Calvi, les troupes de marine, les premiers, troisième et huitième RPIMa qui sont les plus souvent engagés dans ce qui relève bien d’un imbroglio systématique. L’opération Épervier est lancée en 1986 pour sauver le régime tchadien, avec une association de troupes aéroportées au sol, des blindés légers, et bien entendu l’aviation. Depuis cette date, et après avoir renversé l’ancien chef rebelle, Hissène Habré, le président Idriss Déby a pu consolider son pouvoir.

À partir des années 90, le processus de démocratisation qui suscite beaucoup d’espoir conduit à ce que les cartes géopolitiques en Afrique centrale soient rebattues. La France multiplie les opérations militaires dans la zone, sous mandat des Nations unies. L’effacement de la menace soviétique, l’effondrement des régimes « marxistes » où leur aggiornamento plutôt, ne signifie pas pour autant la stabilité dans la région. En 1994, le génocide au Rwanda se déroule malgré l’opération Turquoise qui a fait visiblement couler beaucoup d’encre, et dont il conviendra un jour d’essayer d’écrire l’histoire exhaustive, sans pour autant subir les pressions diverses de Paul Kagamé, le Tutsi qui préside aujourd’hui aux destinées du pays.

Les opérations extérieures ont visiblement changé de nature. La république de Centrafrique où il suffisait d’envoyer une ou deux sections de parachutistes pour régler un problème de gouvernance, est emblématique de cette évolution. Les tentatives de déploiement de forces internationales d’origine africaine, européennes, sous mandat des Nations unies, ne permettent pas à la France de se désengager de ce qui est véritablement son point d’appui central.

L’opération Sangaris en 2013 s’inscrit dans le contexte de la guerre civile qui éclate dans le pays un an auparavant et qui oppose deux factions principales, les ex Seleca et les milices anti Balaka. Malgré la stabilisation, la tenue d’élections, la situation est d’ailleurs loin d’être stabilisée, tandis que l’armée française qui a réduit sa présence en Centrafrique se voit engagée aujourd’hui dans l’opération Barkhane, sur une zone sahélienne particulièrement étendue. On appréciera la conclusion de cet article qui montre la redéfinition géopolitique actuellement en cours.

La période 1960–1990 voyait une sorte d’installation verticale de la présence française, du Tchad au Gabon, en passant par le Centrafrique. Aujourd’hui c’est plutôt une présence horizontale sur la bande sahélienne qui se dessine en coopération avec le G5 Sahel, mais également une présence maritime dans le golfe de Guinée, l’opération Corymbe. C’est toutefois le Gabon et Libreville qui servent de point d’appui à cette présence qui est à la fois maritime mais également terrestre. Les forces prépositionnées, l’expérience du terrain forgée par des décennies d’intervention, donnent à la France et à son armée une responsabilité particulière pour essayer d’assurer la stabilité dans la région.

On appréciera dans cet ouvrage avec une certaine ironie sans doute la chronologie des opérations extérieures de l’armée française qui se trouve à la fin du dictionnaire. La première dans cette série qui occupe cinq pages n’a pas de nom, elle commence le 1er juin 1959, se termine le 28 mars 1963, elle n’a pas de cadre défini, ni national, ni multinational, ni onusien, et elle se déroule au Cameroun. Elle ne semble pas apparaître dans ce dictionnaire, certainement parce qu’elle n’a pas de nom évidemment, mais surtout parce que beaucoup reste à écrire à ce propos. En réalité, pendant la guerre d’Algérie, entre 1955 et 1957, des personnels des « services », les services action très probablement, ont mené une véritable guerre contre les indépendantistes, avec le cortège d’exactions que ce type de conflit peut générer. En pleine période « d’événements en Algérie », ce qui se passait au Cameroun n’intéressait absolument personne. Il faudra attendre la parution d’un ouvrage en 2016, «La guerre du Cameroun. L’invention de la Françafrique», par Thomas Deltombe, pour en apprendre un peu plus.

Pour autant, l’histoire de ces opérations s’inscrit, au-delà de ce que l’on appelle, avec un mépris non justifié  « l’histoire bataille », mais bien dans une réflexion sur la géopolitique des territoires où ces dernières ont pu avoir lieu. Depuis la fin de la guerre d’Algérie plus de 250 000 militaires français, de carrière, appelés volontaires, réserviste opérationnel ont servi dans des opérations extérieures. 700 d’entre eux ont payé de leur vie leur engagement, 6000 d’entre eux en portent ou en ont porté les marques dans leur chair mais aussi leurs esprits.

Pour reprendre la conclusion de François Pernot, il faut être très clair. La France sera amenée à continuer à intervenir en opérations extérieures. Il en va du rang qu’elle occupe dans le monde mais également de sa responsabilité et des valeurs qui la portent. Et cela est d’autant plus vrai en Afrique que les puissances qui se manifestent aujourd’hui, comme la Russie assez récemment, où la Chine, ne s’embarrassent plus de grands principes. Il s’agit de reprendre ce que disait en son temps Lénine quand il abordait la question coloniale : « qui tient l’Afrique, tient l’Europe ». Le soldat français en patrouille aujourd’hui dans la zone sahélienne ne remplit pas seulement son devoir à l’égard de son pays. Il est aussi le gardien de notre modèle démocratique, et pourquoi pas de celui que les peuples d’Afrique pourraient faire leur, s’ils en décident ainsi.