Sans doute qu’après plus de 30 ans, bien des choses ont pu changer sur l’île de beauté, mais il semble bien à lire les résultats de cette enquête ethnologique, et pas forcément historique, que les fondamentaux restent les mêmes. L’étude qui est faite est bien celle de ces sociétés villageoises, très compartimentées, où l’on retrouve cette notion fondamentale qui est celle de l’organisation des clans, et de l’institution successorale. Le dernier article est également consacré au régime traditionnel de la protection, celui qui explique sans doute des fidélités qui vont très au-delà des choix politiques. Si l’on devait espérer une mise à jour de cet ouvrage, il faudrait sans doute rajouter un chapitre sur les systèmes mafieux, dont il est évident qu’ils ont pu pénétrer les milieux nationalistes corses, qui ont du mal à se différencier, pour certains d’entre eux, de la criminalité organisée. Mais ici aussi, la diaspora corse a pu entretenir des liens très opaque avec ce que l’on appelait traditionnellement le milieu. En novembre 2011 l’auteur reconnaît qu’il a eu à cette époque-là une certaine empathie pour ceux qui s’opposaient à la spéculation foncière dont la Corse était victime. Mais dans le même temps, il considérait que la riposte politique élaborée dans les milieux indépendantistes relevait d’un nationalisme susceptible de faire des dégâts. Soyons clairs, le nationalisme corse s’inscrit dans une conception ethnique, même si l’on a pu évoquer la référence à la race ou à la souche pour se référer à une lignée familiale. Mais cela n’a rien à voir évidemment avec un « sang corse » qui serait différencié de celui des autres habitants de l’île.
Gestion des troupeaux
Dans le premier des articles, l’auteur évoque les ressources du milieu la gestion du troupeau et l’évolution sociale de ce milieu un gros pastoral qui a connu à partir de la fin de la seconde guerre mondiale une forme d’intégration avec une modernisation de l’élevage.
Le second article, paru dans la revue études rurales, de 1979, présente l’organisation familiale dans un village de la Corse traditionnelle. À partir de l’étude de différents villages de montagne, l’auteur montre comment les règles de propriété, notamment ceux des châtaigneraies et des pâturages sont spécifiques. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, en remontant demander registres paroissiaux, et sur les chiffres du premier recensement de 1846, la famille corse n’est pas forcément celle que l’on pourrait croire, à savoir la famille élargie, où la famille domestique. Curieusement, c’est plutôt la famille nucléaire qui semble s’imposer très précocement. Pourtant, des liens très complexes existent et relèvent en même temps d’une organisation spécifique, à partir de l’utilisation en commun de différents espaces, qu’ils soient destinés au stockage, à l’habitation, ou au troupeau.
Le principe de l’institution successorale comme organisation et comme représentation permet de comprendre comment s’est organisée la politique de dévolution foncière, avec un système de retard de l’agent mariage qui a permis d’imprimer au mouvement de circulation patrimoniale un rythme calqué sur celui du cycle de développement domestique. C’est une façon d’éviter le morcellement du patrimoine familial, au moins tant que le chef de famille, le padrone, est toujours vivant. Ici très clairement, ce chef de famille peut se retrouver à la tête d’un ensemble économique qui peut regrouper une quarantaine d’individus, entre ses fils, petit-fils, et alliés.
Le système des clans
Le troisième des articles qui retenu notre attention a été publié encore une fois dans la revue études rurales de 1986. (Numéro 101-102). Il traite du système des clans, que l’auteur définit comme former par quatre éléments historiquement inséparables en Corse, qui forment un système mais qui sont logiquement distincts. Le bipartisme, l’affiliation obligée, l’organisation en clientèle et l’exercice partisans du pouvoir. Aucun d’entre eux n’est spécifiquement corse. Et on peut en retrouver les différents éléments sur l’ensemble de l’espace méditerranéen. Toutefois, ce peut-être encore ce que la combinaison de tous ces éléments a été la plus achevée. Les clans jouent un rôle intermédiaire entre l’État et la société, une sorte de médiation qui peut s’opérer et qui permet « lubrifier les rouages ». Cela passe par l’obtention de quelques faveurs, un accès à des emplois, le règlement de quelques difficultés administratives et une certaine indulgence au niveau du traitement de la fiscalité.
De ce point de vue, cette étude est tout à fait enrichissante. Elle permet de comprendre le mode de fonctionnement de cette société, et sans doute trouver des éléments d’explication dans les échecs successifs des différents gouvernements depuis 30 ans à apporter une solution à ce que l’on a coutume d’appeler « le problème corse ». La situation est sans doute plus complexe aujourd’hui qu’il y a 30 ans. L’interférence de la criminalité transnationale, l’insertion de celle-ci dans la mondialisation, les facilités de communication, amènent à relativiser cette spécificité insulaire. Et dans le même temps, parce que le sentiment d’appartenance a pu être dévoyé par un nationalisme ethnique brutal, et parfois sanglant, l’empathie que l’on a pu avoir pour la cause nationaliste corse apparaît comme tout à fait marginale.
Bruno Modica