Jean-Marie Moeglin est agrégé d’histoire, ancien élève de l’École normale supérieure et ancien membre de l’Institut universitaire de France. Il est professeur d’histoire du Moyen Âge à l’université Paris-Sorbonne et directeur d’études à l’École pratique des hautes études.
Stéphane Péquignot est agrégé d’histoire, ancien élève de l’École normale supérieure et ancien membre de la Casa de Velázquez. Il est maître de conférences en histoire du Moyen Âge à l’École pratique des hautes études et chercheur associé à l’Université nouvelle de Lisbonne.
On pourra consulter des fiches biographiques plus détaillées sur les deux auteurs.
http://saprat.ephe.sorbonne.fr/enseignants-chercheurs/stephane-pequignot-64.htm
Jean-Marie Moeglin a centré ses recherches sur l’histoire de l’Allemagne au Moyen Âge, de l’historiographie et de la culture historique au Moyen Âge, les rituels politiques au Moyen Âge, sur culture, pouvoirs et société en Allemagne et en France dans les derniers siècles du Moyen Âge et les transferts culturels entre France et Allemagne au Moyen Âge.
Stéphane Péquignot travaille sur des sujets comparables, mais davantage centrés sur le monde ibérique : diplomaties médiévales, histoire des conceptions et des pratiques de la négociation, parole des rois au Moyen Âge, pouvoirs et sociétés dans la couronne d’Aragon et le royaume de Majorque, historiographie catalane médiévale et contemporaine, « guerre civile catalane » (1462-1472) et conflits d’archives en Espagne.
Ce sont deux spécialistes dont la production scientifique est impressionnante. Parmi leurs derniers travaux, on pourra citer L’Empire et le Royaume : Entre indifférence et fascination (1214-1500), de Jean-Marie Moeglin, chez Septentrion en 2011, ou Les langues de la négociation : Approches historiennes, de Stéphane Péquignot, paru en 2017 aux Presses Universitaires de Rennes.
Un avertissement s’impose au lecteur de cette chronique : ce n’est pas en spécialiste que nous avons abordé ce livre, mais en simple professeur désireux de faire le point des connaissances sur un sujet souvent côtoyé, jamais réellement travaillé. Avouons également que l’expression « relations internationales » a excité notre curiosité tant elle nous paraissait incongrue à pareille époque (mais les auteurs s’en sont magnifiquement expliqué).
Il faut également saluer cette célèbre collection, la Nouvelle Clio, chez nos amis des Presses Universitaires de France. Beaucoup, parmi nous, lui doivent une partie de leur culture et de leur réussite en Histoire. Chaque volume – plus d’une soixantaine au total – est rédigé par les meilleurs spécialistes et fait un point complet en trois parties désormais célèbres (quoique pas toujours dans le même ordre) : l’état des savoirs, questions et débats, bibliographie.
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Ce volume, consacré à la diplomatie et aux « relations internationales » au Moyen-Âge (IXe – XVe siècle), obéit à cette même organisation et présente toutes les caractéristiques de la collection, ce qui en fait un extraordinaire outil d’information, de culture et de recherche. Voyons plutôt.
En introduction, les auteurs expliquent ce paradoxe apparent de « relations internationales » « dans un monde où les Etats-nations n’existent pas », et où les détenteurs d’autorité pouvaient être multiples. Ces détenteurs d’autorité étaient toutefois insérés dans un réseau de relations familiales et/ou juridiques conditionnant leurs rapports « avec les autres puissants ». C’est ainsi que, pendant presque tout le Moyen-Âge, « on ne peut faire une distinction tranchée entre affaires internes au royaume et affaires extérieures au royaume ». La période verra une sélection progressive mais drastique de ces détenteurs d’autorité, qui réduiront peu à peu au seul souverain, à l’intérieur d’un territoire, ancêtre des « Etats-nations » actuels. Mais le Moyen-Âge ne verra pas la fin de ce processus. Notre « histoire des relations internationales » ne va donc que très progressivement « se dégager d’une histoire beaucoup plus large de la résolution des conflits ». Les auteurs insistent sur « le caractère profondément personnel de toute construction étatique au Moyen-Âge », mettant ainsi en relief le rôle d’acteurs malgré tout confrontés à trois limites essentielles à leur jeu : les normes dont ils doivent se prévaloir, les ressources plus ou moins abondantes de leurs territoires, les réalités géopolitiques contre lesquelles vont se fracasser un certain nombre de « rêves », tels l’empire Plantagenêt du XIIe siècle entre autres. Malgré ces différences avec les « relations internationales » d’aujourd’hui, c’est au Moyen-Âge que s’élabore une diplomatie moderne, selon des normes et des usages encore en vigueur.
Deux autres volumes de cette même collection Nouvelle Clio peuvent venir en complément : celui de Bernard Guenée, L’Occident aux XIVe et XVe siècles. Les Etats (6e édition, 1998) et celui de Philippe Contamine, La guerre au Moyen-Âge (6e édition, 2003).
Il ne saurait évidemment être question de donner ici une synthèse d’un ouvrage scientifique très dense de plus de mille pages. C’en serait trahir la richesse. Attelons-nous donc à cette trahison.
PARTIE I. L’état des savoirs
Chapitre I – les acteurs des relations internationales
Les auteurs présentent d’abord les acteurs de cet ordre « dynastico-territorial », depuis la désintégration de l’empire carolingien jusqu’à la Renaissance. Une première partie étudie la dissolution des structures carolingiennes (vers 830 – vers 1030), avec la fin de l’empire, la naissance des royaumes au partage de Verdun et leur stabilisation, avec notamment la fin du monopole dynastique carolingien, qui sera si important pour l’essor capétien. Cette dissolution de l’ordre carolingien permettra l’émergence des principautés et de nouveaux royaumes.
Un deuxième temps analyse l’Europe des rois, des princes et des cités-états (vers 1050 – vers 1350), notamment la grandeur et l’éclipse des pouvoirs universels, puis la consolidation politique des royaumes et ses limites, enfin l’’Europe des princes jusqu’à l’échelle des villes-états.
Un troisième temps met cet ordre dynastico-territorial à l’épreuve (vers 1350-vers 1500) : la poursuite de la construction étatique se fait dans un contexte de rivalités et conflits entre dynasties et états (exemple de la guerre de Cent ans et de la lutte des maisons de France et d’Angleterre).
Chapitre II : Les cadres des échanges
Remarquable chapitre qui analyse le contexte matériel, institutionnel et intellectuel des relations diplomatiques. Les auteurs passent en revue, dans des pages très synthétiques, les voies de transport (routes, voies d’eau, mer), puis les cadres linguistiques des échanges (des passages remarquables sur le paysage linguistique et les langues de travail de la diplomatie médiévale), enfin les pratiques de l’écrit par les pouvoirs (lettres, archives). On ne peut que regretter la brièveté de ce chapitre passionnant (les autres ne le sont pas moins, mais sont plus développés).
Chapitre III – Amitié et relations internationales
Rien à voir avec SOS Amitié ! L’Amicitia est un concept qui vient de l’Antiquité : ce n’est pas seulement un sentiment, mais un lien quasi-juridique, héritier certes du droit romain, mais aussi (surtout) de Cicéron et de Sénèque, repris ensuite par les Pères de l’Eglise. Remarquable (encore !) plongée dans les mentalités médiévales et antiques, qui nous permet de restituer le sens de célèbres amitiés (on pense notamment à Montaigne et La Boétie…). Dès lors, la restauration de cette amicitia devient un enjeu fondamental des rencontres princières et des relations internationales. On reste stupéfait par les pages consacrées à l’organisation des rencontres de princes : le choix du lieu, qui ne doit rien au hasard, les problèmes de logistique et de sécurité, de protocole… Tout cela pour parvenir à prononcer les paroles, accomplir les gestes et les rites créateurs de l’amitié et de l’amour entre princes. Les mariages sont l’un des aboutissements de cette diplomatie princière, créatrice d’un réseau matrimonial à l’échelle de l’Europe chrétienne. Les mariages sont en effet l’union de deux familles et de deux territoires et les stratégies matrimoniales sont complexes. Les pages sur les dots et les contre-dots sont fort riches et particulièrement intéressantes.
Chapitre IV : ambassades et ambassadeurs
Point de diplomatie sans ambassadeur, pense-t-on ! Pourtant les conceptions médiévales ont mis du temps à s’affiner en ce domaine, pour déboucher finalement, notamment en Italie à la fin de la période, sur une conception quasi actuelle. Les auteurs analysent la typologie des hommes choisis pour jouer ce rôle, les caractéristiques des voyages diplomatiques, les rencontres elles-mêmes.
Chapitre V : Traités et relations internationales au Moyen Âge
Ces ambassades débouchent parfois (sinon c’est un échec) sur la conclusion d’un traité. Sa préparation, sa forme, sa ratification, son annonce publique font l’objet de formes particulièrement normées. Les pages sur les garanties sont spécialement éclairantes d’une période héritière de traditions antiques, voire barbares, mais en même temps d’une période laboratoire, qui a inventé les questions et la plupart des réponses de la diplomatie actuelle des traités. Les auteurs terminent par une typologie très riche des différents types de traité (trêves et traités de paix, traités d’alliance, traités politiques entre inégaux, traités commerciaux).
PARTIE II. Questions et débat
Cette deuxième partie – habituelle à la collection Nouvelle Clio – permet, une fois l’état des savoirs réalisé, de faire le point sur les pistes actuelles de la recherche. C’est dire son caractère très précieux pour les enseignants et étudiants.
Plus courte (un peu plus de 150 pages), cette partie débute par un essai d’historiographie (occidentale, précisent les auteurs) comparée, qui permet de rappeler les acquis des historiographes nationales concurrentes, mais aussi de présenter le renouveau de la recherche dans ce domaine.
Un deuxième chapitre – absolument passionnant : de quoi susciter des vocations chez de jeunes chercheurs en herbe – aborde l’information sur l’étranger, avec notamment la circulation de l’information (des pages sur la cryptographie médiévale) et sur l’espionnage.
Un troisième chapitre aborde les questions de la négociation et de l’arbitrage comme mode de résolution des conflits internationaux, une résolution qui se caractérise souvent par la recherche d’un droit qui permette de restaurer l’équité. D’où la question posée dans l’ultime chapitre de cette partie : existe-t-il un droit international ? Chimère, au sens du droit international contemporain, le droit international du Moyen-Âge reste redevable d’une culture commune qui proposait – plus qu’elle n’imposait – des normes que chaque puissant était plus ou moins libre d’observer… ou pas.
Partie III. Bibliographie
Un monument : presque 320 pages d’ouvrages répertoriés. Un total de 2946 références en de multiples langues ! Il s’agit évidemment de la partie la plus aride de l’ouvrage… et pourtant ! On se surprend à flâner dans ces pages, retrouvant ça et là les références des notes de bas de page insérées dans les deux premières partie de l’ouvrage, dénichant quelques études originales ou inattendues. Cette bibliographie constitue un instrument de travail essentiel et à jour sur le sujet. N’importe quel étudiant ou chercheur en comprendra aisément l’intérêt.
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Que dire face à un tel monument de culture et d’érudition ?
Peut-être peut-on souligner d’abord l’extraordinaire connaissance de leur sujet par les deux auteurs. Chaque idée est illustrée d’exemples nombreux et variés, qui exigent parfois un peu de connaissances propres pour être bien saisis, mais qui sont tous éclairants. On ressort de ces 1112 pages avec un sentiment d’admiration sans borne pour l’immense culture de deux professeurs, enseignants et chercheurs, qui portent haut la tradition de l’excellence intellectuelle de nos écoles et universités.
On saluera aussi l’organisation précise, implacable, des idées, qui s’enchaînent les unes aux autres sans jamais tomber dans le catalogue ou le plan à tiroirs que l’on trouve dans beaucoup d’autres ouvrages écrits un peu vite. Tous les aspects des différentes questions abordées sont passés en revue sans faillir. Rien que pour cela, il faudrait conseiller la lecture du Moeglin/Péquignot à tous les étudiants en Histoire, spécialement à ceux tentés par la recherche en Histoire médiévale, bien sûr, mais pas seulement. Histoire de leur montrer ce qu’est une pensée méthodique et organisée, appuyée sur une culture dont on a déjà dit l’immensité.
Ce livre nous rappelle aussi à quel point il est important de ne pas abandonner l’étude du latin : les auteurs en font un usage constant, non par quelque snobisme, mais parce que les concepts de ces hommes du Moyen-Âge sont directement ou indirectement dérivés de la langue et de la civilisation latines, et qu’ils les expriment – pour les lettrés en tout cas – dans cette langue. La connaissance du latin permet une réflexion, au fil des pages, sur le sens des mots et donc des idées utilisés. En témoigne l’exemple cité plus haut de ce mot si riche, amicitia…
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Pour toutes ces raisons – et beaucoup d’autres encore – le livre de Jean-Marie Moegler et Stéphane Péquignot mérite une place de choix dans votre bibliothèque. Le lecteur n’en sort pas seulement plus savant, plus cultivé, plus au fait de ce Moyen-Âge occidental, mais plus intelligent, mieux formé à une méthode intellectuelle qui est celle de la meilleure recherche française.
Christophe CLAVEL
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