Dissident Club est l’autobiographie de Taha Siddiqui, un journaliste d’investigation pakistanais, contraint de fuir son pays à cause de son engagement contre la dictature et le fanatisme, pour la liberté de la presse et pour la liberté en général. Exilé en France depuis 2018 et lauréat du prix Albert Londres, il raconte, dans ce très beau roman graphique, son enfance, la naissance de son engagement, son combat pour la liberté et son exil.

L’histoire commence à Islamabad (Pakistan), le 10 janvier 2018. En route pour l’aéroport, Taha, alors qu’il fume tranquillement un joint dans son taxi, est attaqué par une bande de talibans armés jusqu’aux dents. Après avoir été tabassé, Taha aperçoit, dans le flot de la circulation, un véhicule de l’armée et comprend immédiatement que les soldats ne l’aideront pas. Alors qu’il commence à désespérer, il se rend compte que, miraculeusement, ses ravisseurs n’ont pas verrouillé la portière du 4×4 dans lequel ils sont en train de l’enlever. Taha saute du véhicule et s’enfuit, sous les balles de ses ravisseurs. Suite à cette scène, Taha parle au lecteur et commence de récit de sa vie.

Le long chemin vers l’émancipation et le militantisme

Son histoire commence 36 ans plus tôt, en Arabie Saoudite, où ses parents, alors jeune couple, ont émigré dans le but de trouver du travail. L’enfance de Taha est marquée par la radicalisation progressive de ses parents, et notamment de son père, qui adopte un islam radical, avec la stricte éducation qui en découle pour Taha et ses frères et sœurs. C’est à l’adolescence que Taha commence à remettre en cause les pratiques et les croyances des intégristes sunnites. Le temps qu’il passe au Pakistan, dans la famille de son oncle, lui permet de découvrir un régime où davantage de libertés sont accordées au peuple Ce début de prise de conscience se fait également à l’occasion de sa rencontre avec une camarade de classe, une jeune fille chiite, dont il tombe amoureux. Cet amour impossible le conduit à se questionner, sans pour autant tout remettre en cause.

A mesure que le temps passe et que Taha grandit, progressant facilement dans ses études mais très peu dans l’apprentissage par cœur du Coran, il s’émancipe progressivement, notamment par le biais de diverses rencontres et expériences. Cette émancipation, ainsi que sa volonté de devenir journaliste, est l’objet de nombreuses disputes avec ses parents, avec qui il finit définitivement pas rompre.

Devenu adulte et journaliste, au Pakistan où il fonde une famille, Taha est le spectateur de la radicalisation de son pays d’adoption et à la prise de pouvoir de l’armée. A mesure de la violence devient de plus en plus présente, avec des attentats et des assassinats politiques, Taha, avec ses prises de position fortes, est de plus en plus menacé.

Sa parole dérange le pouvoir religieux, jusqu’à ce qu’il devienne un paria qu’il faut faire taire et qu’il réchappe de peu à sa tentative d’assassinat. Il s’exile alors en France, avec sa famille, et s’installe à Paris. Le récit se conclut sur la création de son bar, le Dissident Club, qu’il décrit comme un lieu « pour les dissidents et les lanceurs d’alertes du monde entier ».

Un récit engagé et poignant

Dissident Club est une superbe découverte. C’est un récit très fort, engagé mais également glaçant. L’espoir de voir évoluer les mentalités semble bien mince, tant l’emprise de l’armée et des intégristes semble puissante. Le combat de Taha pour la liberté de la presse, et pour la liberté en général face à la terreur islamiste, est un message fort et offre une lueur d’espoir face à l’obscurantisme. Pour reprendre les mots de Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters Sans Frontières, « c’est incroyable de voir à quel point le journalisme est une forme d’aboutissement et d’émancipation personnelle pour Taha et ça se ressent dans l’album. »

Le récit est ingénieusement illustré par Hubert Maury, un ancien diplomate ayant vécu au Pakistan. Avec des traits vifs et humoristiques, il aborde un ton plus léger, en accord avec l’humour, omniprésent de Taha Siddiqui, qui rend la lecture des quelques 260 pages de ce roman graphique agréable et captivante.

Si je devais décrire cette autobiographie en quelques mots, je dirais qu’elle est touchante tout en étant hilarante. Ce témoignage très fort en BD permet de découvrir l’histoire récente du Pakistan sous un angle nouveau, ainsi que le combat de l’auteur pour la liberté d’expression, de conscience, de pratique, de culte, d’aimer… Plus qu’un témoignage, c’est une véritable ode à la liberté.

Taha Siddiqui devant le Dissident Club