Après la sortie en 2018, aux éditions autrement, de l’ouvrage une carte par jour, Franck Tétart récidive avec une drôle de planète, en 99 cartes pour voir le monde autrement. On peut trouver cet exercice jubilatoire, avec toute une série de clin d’œil sur des cartes fantastiques, comme celle de Game of thrones ou encore le pays d’Oz. On découvrira la cartographie des hauteurs de talons dans les chaussures féminines, avec une hauteur moyenne de 5,2 cm pour l’ensemble des États-Unis. Le classement par État semble significatif, et il semblerait que dans les états du Bible Belt, là où se trouvent les électeurs de Trump, le talon a tendance à se rabaisser. De là à dire que les électeurs ne volent pas très haut, il n’y a qu’un pas, celui que l’on évitera de rendre faux si l’on est perchée, comme en Floride, au-dessus de 7,4 cm.
En dehors de ces sympathiques représentations, avec quelques exercices du style la Belgique vue par… réduite au rang de RDA française, par Éric Zemmour, on passe quand même un excellent moment à parcourir cette réflexion introductive sur les différentes projections, de Mercator à Peeters en passant par Fuller, pour s’intéresser à certaines visions du monde. Si la carte de l’Australie « tête en bas » est bien connue, la nouvelle projection polaire chinoise pose question. La Chine est bien au centre de l’hémisphère nord, mais les deux pôles sont très clairement représentés, comme une sorte de mer intérieure entre la cote russe et canadienne, pour le pôle Nord est comme une île pour le continent antarctique. Soyons clairs, c’est une île à conquérir et une mer intérieure à explorer.
Les amateurs et connaisseurs du vignoble, particulièrement nombreux chez les Clionautes sont évidemment séduits par la carte de la page 35 qui présente avec le procédé graphique d’un plan du métro les différents vignobles. Effectivement c’est tout à fait utile, car cela permet de situer l’axe qui relie les clos de Bourgogne au côtes-du-Rhône, du chambertin aux costières de Nîmes. Cette carte représente tout de même seulement les appellations d’origine contrôlée, ce qui permet de disposer d’une vision assez simple d’un phénomène extrêmement complexe.
L’auteur s’est visiblement amusé à chercher la représentation insolite, celle qui fait inévitablement sourire.
On peut y trouver aussi une certaine dose de provocation lorsque l’on présente avec le plus grand sérieux une représentation cartographique de la longueur du pénis comme nouvel indicateur économique qui fait face sur la page suivante à la représentation des femmes dans les parlements entre 2000 et 2019. Franc Tétart prend des risques par les temps qui courent !
La classe apporte également de précieuses indications sur la surface réelle des états ou des continents. Par le jeu des superpositions on s’aperçoit que l’archipel polynésien est aussi grand que l’Europe, que l’Australie recouvre également le vieux continent tandis que l’on pourrait caser la quasi-totalité des pays d’Europe, hors la Russie, sur le continent africain.
Cet outil de géographe se livre aussi à l’uchronie . Et on se retrouve avec une carte inédite, celle de l’Europe si Bonaparte avait gagné à Waterloo le 18 juin 1815. L’empire français aurait dominé l’Europe, rejetant sur les marges nordiques les îles britanniques et les pays scandinaves, à l’exception de la Suède de Bernadotte évidemment. Notre voisin le plus proche serait une sorte de conseil de l’Allemagne, version moderne de la confédération germanique, englobant la Rhénanie, la Prusse, l’Autriche et la bohème.
On apprend également que les Portugais, après le congrès de Berlin de 1885 avait envisagé de relier leur de possession en Afrique australe, l’Angola et le Mozambique. Les Britanniques imposent le retrait portugais par un ultimatum en 1890, et il faudra attendre la révolution des œillets en 1974 pour que les des colonies accèdent à leur indépendance, ainsi que le cap Vert et la Guinée-Bissau.
Cet exercice est évidemment particulièrement plaisant, comme la reconstruction du Saint empire imaginé par le président Roosevelt concernant l’avenir de l’Allemagne, proposition rejetée par Churchill et Staline en 1945 à Yalta. (Mais pourquoi avoir écrit que cette conférence aurait eu lieu en 1944 ?)
Au passage on découvre « un tabou de l’histoire de France » avec les résultats du « référendum qui n’a jamais eu lieu » sur la consultation des Alsaciens mosellans à propos de leur retour dans le giron français en 19I9. Il semblerait qu’une large majorité d’électeurs se serait prononcée en faveur du maintien en Allemagne.
Si l’on connaît le projet exprimé par Churchill lors du discours de Zurich en 1946 sur « les États-Unis d’Europe », on connaît moins celui d’un groupe d’intellectuels réunis autour du prince héritier François-Ferdinand en 1906, quelques années avant l’attentat de Sarajevo. Soucieux de rétablir un équilibre entre les différentes nationalités qui composent l’empire Autriche-Hongrie, un certain Popovici avait imaginé une fédération de grande Autriche comportant 14 états. La Bosnie-Herzégovine n’en faisait toutefois pas partie puisqu’elle avait été annexée par l’Autriche en 1908.
L’inventivité de nos contemporains semble sans limite, comme ce projet d’un député normand Jacques Guillaume Thouret qui avaient proposé un découpage de la France en départements de superficie égale qui tiendrait dans des carrés d’environ 72 km de côté. La partition en départements instituée par la loi du 26 février 1790 et les 83 départements d’alors, reposait essentiellement sur une cohérence entre les distances, les bassins des cours d’eau, et la volonté de faire disparaître les anciennes provinces d’ancien régime. C’est donc à un beau voyage jubilatoire que nous convie l’auteur, qui semble s’être beaucoup amusé, même si l’on a envie de conclure de façon très sérieuse.
Le Moyen-Orient selon Ralph Peters serait divisé en entités religieuses et linguistiques, amputant la Turquie du Kurdistan, l’Irak serait divisé entre un État chiite arabe et un État sunnite, tandis que la grande Jordanie engloberait la Palestine jusqu’aux limites des zones de la Mecque et de Médine. L’Afghanistan intégrerait les terres tribales du Pakistan tandis que le Balouchistan aurait une façade maritime sur l’océan Indien. Il n’est pas sûr qu’un tel découpage n’engendrerait pas des conflits aussi meurtriers que ceux que l’on connaît dans cette région depuis plus d’un siècle !