Rodina, une page singulière de la résistance ?

               Un titre intrigant, une couverture colorée où posent des femmes avec un armement hétéroclite. Mais de quoi s’agit-il ? L’auteur, un bédéaste réputé, donne la réponse : « Rodina », patrie en russe, est le nom du « seul et unique détachement exclusivement féminin de la Résistance française »[1]. Il était composé de 37 femmes, russes et biélorusses, évadées, en mai 1944, grâce à l’action d’un détachement FTP-MOI, du camp d’Errouville en Meurthe-et-Moselle. Cette bande dessinée s’inscrit donc dans le sillage d’autres travaux qui souligne la diversité de celles et ceux qui ont résisté à l’occupation allemande ou ont combattu dans les Forces françaises libres[2]. Diversité reconnue par beaucoup dont le président de la République, qui a décidé d’honorer la mémoire de Missak Manouchian, résistant d’origine arménienne et communiste fusillé au Mont-Valérien, en le faisant entrer au Panthéon aux côtés de sa femme Mélinée. Mais diversité oubliée par certains de nos jours.

Une région marquée par l’histoire

               La bande dessinée permet de saisir la singularité de cette région. Région frontière très proche du Luxembourg, de la Belgique mais aussi de la Sarre. Région confrontée aux risques d’invasion, marquée par le risque de guerre et donc la présence de forts de la ligne Maginot, de casernes. Région minière et où se développa la sidérurgie dont le démantèlement, à partir de la fin des années 1970, est évoqué par une vignette. Région où vivaient nombre d’immigrés italiens recrutés pour travailler dans les mines ou les usines et qui constituent une part importante des membres de la FTP-MOI. Région de grandes luttes sociales et dans laquelle le Parti communiste possédait de solides assises.

De l’histoire à la bande dessinée

L’auteur indique sa méthode de travail dans les pages 58 à 62. Il présente les travaux scientifiques sur lesquels il s’est appuyé pour bâtir le scénario de cette fiction. Parmi lesquels une conférence sur l’ancien camp de Thil (près de Longwy), « Ancien camp de Thil, une mise au point scientifique », du Musée national de la Résistance, (du 13 septembre 2022)[3].

Baru affirme qu’il s’est inspiré de l’histoire, telle que ces travaux permettent de la percevoir, et qu’il considère comme « héroïque ». Toutefois, il rappelle que l’image « romantique » de la résistance le « hante » depuis qu’il est « gamin ». D’où des libertés avec le réel qui ne sont pas sans rappeler une fameuse réplique sur les liens entre réalité et légende[4].

Des femmes et des hommes malgré tout

               Un des centres d’intérêt de cette bande dessinée c’est que malgré l’étonnant parcours des combattants des FTP-MOI qui ont permis leur évasion et des femmes qui ont créé ce groupe de résistantes, non-mixte, l’auteur ne décrit pas des héros purs et désincarnés. Ils restent des hommes et des femmes avec leurs défauts, leur part de grandeur et leurs faiblesses. Ainsi le goût prononcé pour l’alcool de certains, le mauvais caractère d’une grand-mère d’origine italienne, ou l’attachement obtus au Parti sont évoqués…

Un passé oublié ?

               Cette histoire nous est présentée à travers les yeux de deux jeunes hommes, nés bien après les événements : Téo et Sergio, l’un intéressé par cette histoire et l’autre que ce passé ressassé par sa famille ennuie au départ. Au fil de nombreux flash-backs, l’histoire refait surface. Et, le camp de Thil, les mines et les combats des résistants et des résistantes se rappellent à eux.

Une bande dessinée dense et intéressante sur un épisode très peu connu de la Seconde Guerre mondiale pour laquelle cependant nombre d’élèves devront être accompagnés.

 

 

[1] Damned dirait le contemporain, des « wokes » qui s’ignoraient !

[2] On peut penser au film de Frank Cassenti, L’Affiche rouge (1976), à celui de Robert Guédiguian, L’Armée du crime (2009), au livre d’Eveline et Yvan Bres, Un maquis d’antifascistes allemands en France (1942-1944) qui date de 1987, à la bande dessinée de Paco Roca, La Nueve (2014) qui présente les Républicains espagnols qui combattirent sous les ordres du général Leclerc et furent les premiers à entrer dans Paris.

[3] L’auteur cite parmi d’autres études un article de René Barchi dans Le réveil des combattants, n° 856, de 2019, que nous n’avons pu consulter.

[4] L’homme qui tua Liberty Valance de John Ford, 1962.