Recueil publiant 5 témoignages sur la campagne de Russie conservés aux Archives de la Défense.
La commémoration éditoriale du bicentenaire de la campagne de Russie est riche en synthèses marquantes, signées notamment par Jacques-Olivier Boudon, Marie-Pierre Rey et Dominic Lieven. Un certain nombre de mémoires et souvenirs de militaires engagés dans cette équipée sont également republiés pour la circonstance (Adrien de Mailly, le duc de Fezensac, le sergent Réguinot). Le présent recueil contribue lui aussi à ce rendez-vous en puisant dans les richesses documentaires du Service Historique de la Défense. Confié à l’expertise de deux éditeurs scientifiques spécialistes de la période, il présente l’intérêt de réunir cinq témoignages issus des archives militaires, dont quatre étaient restés jusqu’alors entièrement inédits, ce qui constitue en soi un apport bibliographique précieux. Ils permettent de revivre la campagne de 1812 à travers des points de vue «à hauteur d’homme», selon la formule judicieuse du chef du Service historique de la Défense dans sa préface à ce volume.

Cinq témoins de 1812

La variété de cet ensemble composite nourrit une utile complémentarité. Les profils des auteurs et leur expérience personnelle de la guerre sont très variables. Seulement deux de ces cinq textes émanent de combattants de première ligne. Leur nature et leur format sont également différents : lettres, carnets de souvenirs, extraits de mémoires.

Le premier témoignage est constitué d’un lot de douze lettres adressées à son père par un officier de cuirassiers, le capitaine Auguste Mosneron-Dupin. Elles portent principalement sur la concentration et les préparatifs des troupes de la Grande Armée en Allemagne. Seules les trois dernières se rapportent à la campagne puis la retraite de Russie proprement dites.

Le soldat obstiné

Le deuxième document, déjà inséré dans une revue en 1939, est donc le seul à avoir fait l’objet d’une publication antérieure. Il s’agit du cahier laissé par le brigadier du train des équipages Nicolas Nottat. Militaire d’une arme non combattante, il fait la route aller jusqu’à Moscou en acheminant un convoi de vivres. Son sort durant la débâcle évoque celui d’un mémorialiste renommé de la retraite de Russie, le sergent Adrien Bourgogne. Les pieds gelés, capturé, évadé, marchant isolément, repris, réévadé, Nottat parvient à rallier ses drapeaux en juin 1813 après un périple erratique de plusieurs mois. Rédigé dans le langage d’un homme du peuple, ce récit de l’odyssée d’un humble habité par une forte détermination est véritablement attachant.

Le topographe

Le troisième auteur est un officier topographe, le capitaine Jean Eymard (précisons, pour compléter la notice biographique donnée en présentation de son manuscrit, qu’il est décédé à Paris le 30 janvier 1851). Ce texte court, rédigé sous la forme d’un journal de marche, consigne les étapes de son itinéraire en Russie en les enrichissant d’annotations personnelles. Ces commentaires s’étoffent et prennent un caractère saisissant pendant les terribles péripéties de la retraite. Le témoignage qui s’en dégage marque le lecteur par la force de son ressenti.

Le colonel d’état-major

Le quatrième texte est le plus volumineux. Il s’agit d’un important extrait des mémoires, tardifs mais élaborés avec scrupule, du général Joseph Puniet de Montfort, récemment déposés au SHD. Colonel en 1812, Montfort exerce des responsabilités supérieures durant la Campagne de Russie, d’abord comme directeur du parc général du génie puis en qualité de chef de l’état-major général de son arme à la Grande Armée. Organisateur de haut niveau au sein d’une arme savante, Montfort est rarement proche du feu de l’action et lui même en convient avec franchise. Membre du cercle des décideurs, il côtoie régulièrement Napoléon, sans avoir d’ailleurs grand chose à en dire. Prolixe et bien écrit, son parcours de Paris à Moscou, puis de Moscou à Magdebourg, est surtout riche en détails sur son existence quotidienne et en éléments sur l’organisation et l’emploi du génie. Il y croque aussi avec pittoresque les personnalités de plusieurs de ses amis et subordonnés.

Le cavalier captif

Le dernier auteur retenu est Auguste-Henry Devina. Futur capitaine de gendarmerie, il était adjudant de chasseurs à cheval en 1812. Ce sous-officier de cavalerie légère présente l’originalité d’avoir été fait prisonnier de guerre par les cosaques près de Moscou à la fin de septembre 1812 En compagnie du lieutenant René-Benjamin Belin de Chantemêle (1781-1851) qui, bien qu’évoqué plusieurs fois par son camarade, n’apparaît pas dans les notices biographiques finales., donc avant même le début de la retraite de Russie. Pris en bonne santé physique et avant la survenue du grand froid hivernal, Devina n’en subit pas moins les épreuves d’une pénible déportation vers la lointaine province d’Astrakhan. La relation qu’il fait de sa capture et de sa captivité est marquée par les mauvais traitements et la forte animosité du peuple russe envers l’envahisseur, même une fois vaincu.

Un travail d’édition attentif

Le travail d’édition effectué à l’appui de ces témoignages est solide. Une introduction présente les fonds privés du SHD, dont proviennent les documents publiés, et donne une synthèse précise de la campagne de 1812. Une orientation bibliographique répertorie la plupart des témoignages publiés sur la campagne de Russie. Une série de notices biographiques sur les personnages cités par les textes, trois cartes et un index complètent l’appareil critique mis au service des écrits de ces cinq rescapés de la plus tragique des guerres napoléoniennes. Leur entrée tardive dans la phalange des mémorialistes du premier Empire démontre qu’il subsiste encore des sources inédites à découvrir sur cette épopée. Et confirme que la vigueur de leur parole est portée par l’intensité de leur vécu.

© Guillaume Lévêque