Un duo de géographes s’intéressant au concept de l’habiter dans les espaces touristiques 

A mi-chemin entre les démarches sociologiques et géographiques, un duo d’auteurs est à la manœuvre de cet essai. Thomas Daum et Eudes Girard sont agrégés de géographie. Ensemble, ils ont déjà publié aux éditions Codex en 2010 « la géographie n’est plus ce que vous croyez ».

Les auteurs commencent par l’anecdote de la tombe de l’écrivain François-René de Chateaubriand. Il repose depuis le XIXe siècle à Saint-Malo avec une stèle anonyme. En 1848, Saint-Malo n’était pas une destination touristique de premier plan. Désormais, la ville est décrite comme un « espace insulaire envahi par les foules » à la page 7 (un million en 2016). Les touristes ne s’intéresse pas toujours à cette tombe et stèle anonyme. Les auteurs en déduisent que « le tourisme de masse porte en lui un discours profane qui désacralise les lieux » (page 8).

 

L’ouvrage se structure autour des différentes composantes de « l’habiter » : imaginer, accéder, se loger, visiter, se restaurer, rencontrer, culpabiliser (assez déroutant et dont la cohérence n’est pas toujours très claire), se souvenir et penser.

En 2017, 800 millions de touristes parcourent le monde. Cette donnée statistique est mesurée selon les enregistrements dans les aéroports de chaque État. Siégeant à Madrid et dépendant de l’ONU, l’OMT (Organisation Mondiale du Tourisme) compile les relevés et publie des rapports annuels. Elle estime à 83 millions de touristes visitant la France en 2016 (1ère destination mondiale en nombre). Les auteurs rappellent qu’il est nécessaire de rester critique sur cette donnée : les États-Unis sont devant en valeur et la Chine serait la première destination mondiale en nombre d’individus en incorporant Hong Kong et Macao. A l’échelle nationale, 98% des touristes en Inde sont des Indiens. Des différences sont très marquées à l’échelle régionale : les nationaux sont ultra-majoritaires à Shimla (grâce à l’accessibilité de la ville) alors que les Occidentaux en quête d’authenticité sont très nombreux dans la vallée de Padum dans le Jammu-et-Cachemire.

La géographie culturelle n’est pas oubliée. L’imaginaire du voyageur et du touriste se construit autour d’un triptyque : « la ruelle européenne », « la plage de sable » et « la jungle tropicale ». Ces aménités sont partagées par les destinations en vogue : la Croatie, l’Espagne, la Thaïlande. Depuis le début des années 2000, les agences de voyages sont concurrencées par les nouveaux usages des NTIC. Elles modifient l’organisation de l’ensemble du secteur avec des réservations sur-mesures de logements ou de transports (Booking, Kayak). De nouveaux acteurs de l’e-tourisme apparaissent dans un marché à maturité (Airbnb). Les guides touristiques résistent et se maintiennent : le guide du Routard représente 25% du marché (face aux guides Géo, Lonely Planet, Petit Futé…). Une anecdote : : le Guide Hachette de la fin du XIXème siècle pour l’Abyssinie « encourage les futurs voyageurs à se munir d’instruments de mesure scientifique pour partager des relevés géographiques à transmettre à l’éditeur ». Le voyageur du XIXème siècle, très souvent aisé, est aussi un explorateur-géographe.

Brésil, Russie, Italie… L’analyse du site touristique du Clos Lucé à Amboise (37) éclaire les stratégies et cibles du marketing pour développer un imaginaire touristique. 15% du chiffre d’affaire est dépensé pour la publicité à destination des marchés étrangers (documentaires patrimoniaux, traductions, films…). Le Clos Lucé est devenu « un pôle touristique qui a changé d’échelle, adapté à la mondialisation » (page 31). Les lieux peuvent changer de nom pour des objectifs promotionnels. C’est le cas de la gare de Blois à 15 km du château en 2014 : elle devient la gare de « Blois-Chambord » pour une meilleure identification du site et donc l’espérance de nuitée supplémentaire. Le décalage entre la vision des guides (« figés dans le temps » autour de la notion de terroir et de caractéristiques immuables) et la réalité géographique (à partir des mutations spatiales notamment architecturales et des systèmes productifs entraînant la modification des paysages) est précisément décrit et analysé de façon convaincante grâce à des exemples bien choisis (Venise, Pays d’Auge en Normandie, village espagnol). De nombreux exemples en France seront utiles pour les candidats devant préparer une question sur la géographie de la France.

Analysant le voyageur comme un individu lancé dans une quête d’exotisme et d’authenticité, les auteurs réussissent leur pari. Le style, proche des exigences journalistiques tout en restant à la fois accessible et pointu, alterne entre des analyses de fond sur les mutations de ce secteur et des exemples variés (notamment la France) développés sur deux pages.

Un essai pour mieux comprendre les nouveautés de la recherche pour enseigner la géographie du tourisme et afin de préparer les concours.

Pour aller plus loin :

  • Présentation de l’éditeur -> Lien

Antoine BARONNET @ Clionautes