Un assassinat oublié ?

Le 29 mars 1988 alors que le régime d’apartheid en Afrique du sud vit ses derniers moments[1], Dulcie September, représentante de l’ANC (African National Congress[2]) en France, est assassinée en plein cœur de Paris. Cet assassinat, à quelques semaines des élections présidentielles françaises alors que nous sommes en période de cohabitation[3], donne lieu à une enquête policière qui n’aboutit pas. Pire, elle s’est soldée par un non-lieu en 1992 et en décembre 2022, le tribunal judiciaire de Paris a débouté la famille de la victime qui avait assigné l’État français pour faute lourde afin de rouvrir l’enquête. Le mystère demeure et les auteurs ainsi que les commanditaires de ce meurtre sont, à ce jour, toujours inconnus. C’est à cette affaire que Benoît Collombat consacre son nouvel ouvrage.

Un journaliste obstiné

Collombat pratique le journalisme d’investigation. Il est l’auteur de nombreuses enquêtes sur la mort de Robert Boulin (ministre du Travail, mort, dans des circonstances troubles, en 1979) ou sur les affaires de Bolloré en Afrique… Il en a publié plusieurs sous forme de romans graphiques : Cher pays de notre enfance : Enquête sur les années de plomb de la Ve République, avec Étienne Davodeau, et Le Choix du chômage. De Pompidou à Macron, enquête sur les racines de la violence économique, avec le dessinateur Damien Cuvillier. Tous deux recensés par La Cliothèque. L’ouvrage ici présenté s’inscrit dans cette veine puisque Grégory Mardon en est le dessinateur. Dans l’ouvrage, B. Collombat affirme qu’il a commencé à enquêter sur cette histoire, il y a plus de dix ans et qu’il a poursuivi ses recherches jusqu’en 2023.

Une enquête minutieuse

Et c’est à l’enquête minutieuse de ce journaliste qu’est consacré le présent ouvrage. Enquête au long cours qui n’est pas sans évoquer le travail de l’historien. B. Collombat se met en scène dans sa recherche. Il interroge ceux qui vivaient dans l’immeuble où elle a été assassinée, des militants français qui soutenaient son combat, des membres de l’ANC, des policiers, des syndicalistes, des hommes politiques français, des journalistes… Mais aussi tout un petit monde qui facilitait les relations économiques, secrètes, entre la France et l’Afrique du sud :  ventes d’armes, de matériel permettant de fabriquer l’arme nucléaire… dont Dulcie September aurait eu connaissance et qui pourrait expliquer son assassinat. Il s’appuie aussi sur des travaux de chercheurs parus avant son livre, sur des archives écrites d’origines diverses, des interviews (toujours sourcées), des extraits de journaux ou de livres… D. September n’en savait-elle pas trop ?  N’aurait-elle pas été sacrifiée à des intérêts économiques jugés supérieurs ? Son isolement au sein de l’ANC l’aurait-il desservi ?

 Un travail d’investigation solide qui rend cet ouvrage dense très utile.

[1] Il sera aboli en juin 1991, quelques mois après la libération de Nelson Mandela en février 1990.

[2] L’ANC, alors interdit, affirmait lutter contre la ségrégation et pour l’établissement d’une société non-raciale et démocratique. Nelson Mandela a été emprisonné à partir de 1961 car il était membre de sa branche militaire.

[3] François Mitterrand est président de la République et Jacques Chirac premier ministre.