A l’occasion de la première grande exposition temporaire du musée du Quai Branly (du 19 septembre 2006 au 21 janvier 2007), la Réunion des Musées Nationaux publie un somptueux catalogue. Yves LE FUR, commissaire de l’exposition, par ailleurs directeur adjoint du département du patrimoine et des collections du musée du Quai Branly, a voulu montrer les changements caractéristiques dans la manière dont les européens ont regardé, de la Renaissance à nos jours, les sociétés extra-européennes. L’ouvrage comporte les photographies des objets présentés mais aussi des mises au point scientifiques très utiles sur les principaux thèmes développés tout au long de l’exposition.

Le parti pris chronologique (de la Renaissance à nos jours) compliquait la mise en œuvre de l’exposition. Ce n’est vraiment qu’au XXème siècle que l’on s’intéresse à l’Autre. Il n’a été retenu, pour cette exposition, que les continents atteints par voie maritime : Afrique, Amérique et Océanie, les autres étant depuis trop longtemps en contact avec les européens.

Les objets présentés ont été choisis par rapport à leur mode de réception en Europe : cabinets d’arts ou de curiosités, musées de la Marine et d’Histoire Naturelle. L’objectif de l’exposition est d’essayer d’esquisser la mentalité d’une époque, d’établir une histoire du sensible dans ce domaine particulier.

Pour cela, le Musée des Arts Premiers a fait appel de nombreux musées pour montrer cette histoire du regard (Musée de la Renaissance à Ecouen, Etnografisk Samling Nationalmuseet de Copenhague, Bibliothèque Sainte Geneviève, Staatliche Graphische Sammlung de Munich…).

L’exposition, comme le catalogue, s’organise autour de cinq thèmes plus ou moins chronologiques.

1500 – 1760 : Théâtre du monde.
La découverte de l’Autre, pendant cette période, consiste essentiellement dans une recherche du merveilleux. On cherche dans l’Autre la confirmation des légendes. C’est aussi une manière de faire-valoir la culture aristocratique européenne. A la Renaissance, la figure du sauvage se diffuse sur de nombreux supports, en référence à certains passages de la Bible, à partir de récits fabuleux de voyageurs. C’est, à cette même époque, qu’apparaissent des récits et des représentations de cannibalisme. Toutefois, une place à part est faite aux ambassadeurs des terres découvertes. Ils bénéficient d’un traitement raffiné dans leur représentation.
Dans le cadre du mécénat, les cabinets de merveilles se multiplient à la cour des Grands (comme FREDERIC III de Danemark), chez des riches collectionneurs ou bien encore chez les religieux. Les visiteurs, triés sur le volet, qui y pénètrent, peuvent y voir des objets confectionnés dans les terres nouvelles ou élaborés en Europe par des artistes.

1760 – 1800 : Histoire naturelle du monde.
Au XVIIIème siècle, la vision de l’Autre change avec la découverte de l’Océanie et le mythe du Bon Sauvage (vision Rousseauiste). Une véritable frénésie de recensement, d’énumération s’empare des européens et donne naissance à l’Histoire Naturelle. Cet essor accompagne les voyages des Lumières (BOUGAINVILLE, COOK, LA PEROUSE). Les objets rapportés, vendus, peuplent les cabinets des savants. De nombreuses planches botaniques et ethnographiques servent de matériaux à l’Histoire Naturelle.

1800 – 1850 : Le grand herbier du monde.
Le recensement engagé dans la période précédente se poursuit avec une acuité particulière au début du XIXème siècle, alimenté par les expéditions parties à la découverte de nouveaux horizons. Se heurtent alors deux visions de l’Autre : celle des positivistes (qui mettent l’accent sur la scienticité de leur travail) et les artistes (qui donnent une vision fantasmée de la réalité). Cette vision romantique du Nouveau Monde est popularisée, notamment par le biais des papiers peints qui ornent les intérieurs bourgeois européens. Le mythe du Bon Sauvage résiste même si on reconnaît désormais l’influence néfaste qu’il peut subir par le biais de la civilisation apportée par les équipages.

1850 – 1920 : La science des peuples.
Sous l’impulsion de sociétés savantes, anthropologie et ethnologie se constituent en sciences dans le contexte colonial. Les premiers musées d’ethnographie ouvrent. Ils accueillent des bustes anthropologiques moulés, très en vogue dans le cadre des recherches sur les races et la phrénologie. Les « fétiches » africains fascinent l’Europe. On estime que 80% des fétiches du Congo se trouvant dans les collections européennes et américaines ont été collectées entre 1870 et la Première Guerre Mondiale. On voit même dans les pratiques religieuses bretonnes des traces de ce primitivisme (cf. les travaux de GAUGUIN). Les trafics en tout genre se multiplient : tel le crâne de cristal de collection Eugène BOBAN, longtemps considéré comme l’un des chefs d’œuvre aztèque du Musée de l’Homme, est, aujourd’hui, avéré être un faux du XXème siècle.

1900 – 2006 : Mutation esthétique.
Les collections d’artistes, les objets réunis par les collectionneurs viennent participer à la « mode nègre » et influencer l’art moderne (DOUANIER ROUSSEAU, MATISSE, PICASSO). Cette découverte artistique est à replacer dans le contexte de réaction à l’académisme. Les oppositions sont nombreuses dans un contexte de « retour à l’ordre » des années 1930, de la montée des thèses racistes, antisémites et fascistes. Les expositions coloniales ont été un mode de diffusion de l’art et de l’artisanat des peuples colonisés. Les influences réciproques entre les arts primitifs et les arts contemporains sont reconnues depuis les expositions de New York de 1984 (Primitivism in Modern Art) ou de Paris de 1989 (Magiciens de la Terre), mettant en œuvre la notion de Musée Imaginaire de André MALRAUX.

C’est donc un superbe catalogue que s’est offert le Musée du Quai Branly pour ses débuts, forts prometteurs. La visite de l’exposition s’inscrit dans le nouveau programme de première STG que soit dans le chapitre : La construction de la démocratie ou celui intitulé : Diffusion et mutation du modèle industriel. L’entrée par l’histoire des regards est stimulante pour les élèves et peut faire l’objet d’un travail transdisciplinaire avec le professeur de lettres (étude en parallèle de Cannibale de DAENNINCK).

Toutefois, la présence d’une copie de la Vénus de Milo dans le catalogue demeure un mystère. Cette pièce antique n’entre pas dans la définition de l’exposition sur le regard des Européens sur des continents découverts par mer : Afrique, Océanie, Amérique. Le fait que se soit Dumont d’Urville qui ait acheté la statue pour le compte de la France m’apparaît comme le seul lien avec la problématique de l’exposition.

Par ailleurs, une grande partie des photographies anthropologiques exposées n’est pas reproduite dans le catalogue. Il faut, pour cela, acheter un autre volume, édité par Actes Sud.

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