Les éditions Bréal publient un opus sur un thème particulièrement intéressant : les quartiers fermés. Cet ouvrage est le fruit d’une enquête collective menée, essentiellement en Amérique et en Afrique, par des géographes, des anthropologues, des sociologues et des urbanistes. Guénola CAPRON, professeur de géographie à l’université de Toulouse, a dirigé ce travail. Elle s’intéresse aux transformations de l’espace public urbain en Amérique latine et est actuellement détachée auprès du ministère des Affaires étrangères et rattachée au Centre d’études mexicaines et centraaméricaines à Mexico.
Le propos de l’ouvrage tourne autour de trois notions centrales : enclave, fragmentation et ségrégation.

Alors que le discours des politiques en France insiste de plus en plus sur l’idée de mixité sociale, on constate que de plus en plus de gens, à travers le monde, font le choix de vivre dans un espace fermé, isolé.
La ville apparaît alors comme une addition d’enclaves : la fragmentation et la ségrégation l’emportent. Ce phénomène s’explique en partie par l’insécurité ressentie par les habitants. Sans tomber dans le discours catastrophique développé par Mike DAVIS (City of quartz : Los Angeles. 1992) ou par BLAKELY et SNYDER (Fortress America, gated communities in the US. 1997) qui emploient la métaphore guerrière pour décrire le phénomène, force est de constater que deux types d’enclaves dominent la ville : celle des gagnants (les gated communities), celle des perdants (les bidonvilles). Dans le dernier cas, l’enclavement est alors subi.

Le volume que font paraître les éditions Bréal s’attache essentiellement au premier type d’enclave. Les auteurs de l’ouvrage ont éprouvé quelques difficultés à enquêter. La communauté fermée a mauvaise presse et ses habitants se méfient par-dessus tout de l’intrus. Ils ont du pour pouvoir faire leur travail faire jouer les relations pour y pénétrer ou bien encore y habiter personnellement afin de se constituer un réseau social qui leur permette d’enquêter.

Les communautés fermées sont un phénomène qui se diffuse à l’échelle planétaire, y compris dans les villes moyennes. En France, Toulouse est le premier champ d’expérimentation de cette nouvelle manière de vivre (voir les travaux de François MADORE).

On distingue deux types de communautés fermées :
– les lotissements fermés créés ex-nihilo
– les rues fermées postérieurement : les roads closures, bien souvent illégales, qui mettent en péril la notion d’espace public et la libre circulation des personnes.
Dans le premier cas, le terme de gated community est discuté. C’est par ce terme que les chercheurs désignent cet espace. Les promoteurs immobiliers préfèrent parler de résidences sécurisées. L’éventail de gamme des gated communities est très large. Il y en a pour tous les budgets. On peut y habiter en tant que propriétaire ou locataire. Classes moyennes et supérieures ne vivent pas dans les mêmes enclaves. L’argument sécuritaire s’ajoute à celui basé sur l’élitisme social (« être entre soi »). Les promoteurs mettent en avant l’image du village idyllique et de la campagne où tout le monde se connaît et s’apprécie.

Ces enclaves sont des espaces fortement réglementés pour ceux qui veulent y pénétrer et pour ceux qui y vivent. La lecture du règlement sur les nuisances sonores du Mayling Country Club, gated community de la banlieue de Buenos Aires est édifiante (normes de décibels maximales autorisées, constat de dépassement du volume sonore par le personnel du Mayling Country Club armé de détecteurs, mise au pilori des mauvais résidents par voie d’affichage…). Les règlements multiples qui régissent ces espaces font dire, par ceux qui n’y habitent pas, que ces endroits sont des « prisons pour riches ».

Ainsi, en Afrique du Sud, avec la multiplication des gated communities, on peut dire que la ségrégation sociale a remplacé la ségrégation raciale. La ségrégation spatiale n’est pourtant pas un élément nouveau. La fragmentation territoriale apparaît finalement avec la ville au Royaume Uni et en France dès le XIXème siècle. Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les « élites » qui partent s’installer en banlieue mais un spectre beaucoup plus large incluant les classes moyennes. Renaud LE GOIX (2002) a montré que la valeur de la propriété immobilière d’un bien situé dans un espace fermé résiste mieux à une crise économique (comme celle qu’a connu l’Argentine en 2001). Acheter une maison dans ce type de quartier est donc un bon investissement.

L’étude des mobilités des habitants montre à quel point celles-ci révèlent l’enclavement. Les croquis du chapitre 5 (comportant des erreurs de titres pages 136-137) illustrent les trajectoires utilisées par les habitants des résidences fermées de Buenos Aires. La femme au foyer ne sort que très peu de son enceinte. Les contacts avec le centre-ville se font très rares. L’expression de territorialité en archipel s’applique aux femmes, aux adolescents et aux hommes travaillant à l’extérieur de l’enclave (lieu de résidence, lieu de travail, centre commercial à accès limité quelquefois, lieux de loisirs, autres résidences sécurisées).

Dans certains cas, la fragmentation est encore plus poussée puisque des gated communities mettent en œuvre un processus d’autonomisation politique. Leisure World / Laguna Woods, la gated community réservée aux personnes de plus de 55 ans, à Los Angeles, s’est ainsi mue en municipalité autonome. Cette décision donne l’avantage de peser plus lourd dans les décisions prises par le Comté en tant que municipalité. C’est que se pose ici la question de la gouvernance urbaine. Dans des villes trop grandes, trop peuplées, les habitants se sentent perdus et recherchent au sein de ce type d’espace une convivialité qu’ils ne trouvent pas dans un vaste ensemble. C’est une explication, proposée par l’enquête, à la multiplication de ce type d’espace.
Toutefois, l’ouvrage relativise beaucoup le bonheur de vivre dans ces espaces. Si certains habitants y trouvent ce qu’ils recherchaient, beaucoup d’autres n’ont que très peu de contacts avec leur voisinage.

Cet ouvrage est un excellent instrument de travail pour les enseignants. Il fait le point sur des territoires mal connus. Il propose plusieurs schémas interprétatifs pour aborder et comprendre la question des quartiers fermés : une lecture par la polarisation et la dualisation sociale dans le contexte de la mondialisation (cf. les travaux de Saskia SASSEN, 1996 et de l’école de Los Angeles), une approche par les modes de vie et les pratiques résidentielles et urbaines et une entrée plus socio-politique (politique publique et gouvernance urbaine).

Les enseignants de lycée trouveront sans peine des exemples qui pourront étayer leur cours et pourquoi pas une étude de cas sur la ville (en géographie Seconde). Le chapitre 3 regorge de documents iconographiques ou non sur un quartier sécurisé à Pilar dans la banlieue de Buenos Aires.

Toutefois, au fil de la lecture, je dois reconnaître que mon intérêt a subi une certaine érosion, les derniers chapitres du livre m’ayant semblé redondants. On peut, par ailleurs, regretter la qualité graphique de certains croquis ou cartes : les subtiles nuances de gris utilisées rendent très difficiles leur lecture (page 126 : Pilar, un territoire en recomposition).

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