« Guerres de l’eau, rareté de l’eau, gestion de l’eau. Qu’elle soit potable, agricole ou destinée à un usage industriel ou de loisir, l’eau est devenue l’objet de vives convoitises et de houleux débats quant aux modalités de son partage et de sa distribution. La question, d’abord de l’accès à l’eau, considérée comme une ressource essentielle, puis de partages de plus en plus difficiles, a récemment pris le devant de la scène ». C’est ainsi que les auteurs présentent leur 3e édition d’un ouvrage consacré à l’eau.
Un ouvrage de plus, serions nous tentés de dire. Car, l’approche du forum mondial sur l’eau devant se tenir à Marseille du 12 au 17 mars 2012 et l’inscription du thème de l’eau en classe de 5e du collège ainsi qu’en classe de 2e du lycée, auront eu pour effet de faire couler beaucoup d’encre au vu des prises de positions, des articles et des livres qui couvrent ce thème.
Certes, le sujet a déjà largement été abordé voire exploité par de nombreux spécialistes. Il n’en demeure pas moins que la structure même de l’ouvrage de LASSERRE Frédéric et DESCROIX Luc interpelle. Dix sept chapitres dont onze sont consacrés à des études de cas. Voilà qui devient intéressant pour d’abord mieux comprendre et surtout pour les enseignants toujours à la recherche d’études de cas originales pour introduire leurs cours.
Mais ce livre tient-il ses promesses ?
Première partie : Les enjeux de l’eau dans le monde
L’introduction qui précède cette première partie place le lecteur directement dans le vif du sujet. Les deux parties de ladite introduction cernent bien la problématique à savoir : « la question de l’eau longtemps ignorée » et « l’émergence d’une thèse millénariste : la crise de l’eau ».
Les auteurs soulignent d’entrée que « la question du partage de l’eau, l’idée même que la disponibilité en eau puisse constituer un problème limitant le développement et suscitant des tensions internationales, sont des thèmes récents ». Ils n’hésitent pas à dénoncer « les manipulations issues du monde financier, universitaire ou gouvernemental » qui amènent inéluctablement des tensions. Puis ils concluent que « la crise actuelle […] est bien plus une crise de la répartition, de la distribution de cette eau, qu’une question de rareté réelle ».
Voilà qui tranche avec certains auteurs comme DIONET-GRIVET Suzanne, « Géopolitique de l’eau », (Editions Ellipses, Paris, 2011, 253 pages) qui au contraire, avance que l’eau serait même épuisable.
Alors, rareté de l’eau ou pas ? Guerre pour l’eau ou pas ? LASSERRE Frédéric et DESCROIX Luc dans cette première partie nous apportent à travers six chapitres, matière à comprendre et à réfléchir.
Dans un premier temps, les auteurs s’interrogent sur « les guerres de l’eau : mythe ou réalité future ? ». Sans nier la croissance des tensions sur la ressource qui indéniablement trouve son origine dans l’explosion démographique, les auteurs apportent un éclairage nouveau. En effet, après avoir présenté la situation à l’aide de tableaux chiffrés, ils ajoutent que la « ressource [est] abondante mais inégalement répartie ». Inégalité de répartition certes mais aussi inégalité d’appropriation et surtout inégalité quant « à la représentation, la perception de la précarité » nous disent les auteurs. Ils précisent ainsi que « les gouvernements, face aux prévisions d’expansion démographique et de consommation d’eau en croissance constante, ont fortement tendance à développer des raisonnements qui portent sur les quantités à contrôler […] sans toujours intégrer réellement […] la dimension de la structure de la consommation, qu’il est toujours possible de modifier par des mesures visant à renforcer les économies d’eau ».
Nonobstant, LASSERRE Frédéric et DESCROIX Luc, n’éludent pas les cas où l’eau est « un facteur réel de tension, voire de conflit ». Mais, nous disent-ils, il faut distinguer les situations où l’eau est un outil militaire de celles où l’eau est une cible de conflits. Par outil militaire ils entendent des cas où un belligérant confisque les ressources en eau comme ce fut le cas en 1992 lorsque « les forces bosniaques ont coupé l’électricité qui assurait le fonctionnement des stations de pompage de l’eau de Sarajevo ». En revanche, lorsque l’eau devient la cible d’un conflit, on aboutit à une occupation militaire pour contrôler la ressource, comme en 1962 où le Brésil s’était positionné sur les chutes Guaira lors des négociations avec le Paraguay.
Ensuite les auteurs nous présentent un tableau qui recense tous les conflits liés à un différend sur le partage de la ressource en eau, de 2500 av JC à nos jours. Un tableau suivi d’une étude très fouillée sur « la guerre des Six Jours : un conflit pour la sécurité hydraulique d’Israël ? ». On y apprend par exemple que, selon Ariel Sharon, « la guerre des Six Jours a débuté le 5 juin 1967. C’est la date officielle, mais en réalité, elle avait débuté deux ans et demi plus tôt, le jour où Israël avait décidé d’intervenir contre le détournement des eaux du Jourdain ».
Mais l’eau peut aussi être source de coopération nous disent LASSERRE Frédéric et DESCROIX Luc. Ils nous citent en exemple le Pakistan et l’Inde. Les gouvernements de ces deux pays, malgré la guerre de 1947 « qui a sanctionné la partition de l’empire des Indes britanniques, ont décidé de coopérer pour assurer un modus vivendi du partage des eaux de l’Indus ».
Puis les auteurs développent le concept selon lequel la rareté de l’eau serait avant tout « des questions d’ordre intérieur ». Ils introduisent la distinction entre rareté objective (exprimé en volume disponible par habitant) et rareté vécue (liée à l’usage de l’eau). D’où ils déduisent qu’il y a la ressource elle-même (ressource de premier ordre) et la ressource sociale (ressource de deuxième ordre). Ils expliquent qu’une « société confrontée à un niveau croissant de rareté de la ressource de premier ordre, pourra y faire face sans nécessairement voir sa prospérité en souffrir en mobilisant ses ressources de deuxième ordre » en fait, sa « capacité d’adaptation sociale » ou « ingéniosité ». Néanmoins, « gérer la tension interne [est] un délicat jeu d’équilibriste » reconnaissent-ils. En effet, cela implique un « subtil dosage d’arbitrage, d’encouragement aux changements technologiques, d’investissements dans le recyclage et les mesures d’économie, ou d’efforts pour changer les attitudes socioéconomiques face à l’eau ». Or, « divers blocages peuvent paralyser les processus de changement, blocages d’ordre financier, social, économique, politique sans compter le jeu des représentations politiques ». Et les exemples sont nombreux parmi lesquels : la plaine de la Chine du Nord en juillet 2000 ou les violentes manifestations de Karachi en avril 2001.
Pourtant des solutions existent, nous disent LASSERRE Frédéric et DESCROIX Luc, pour assurer les besoins en eau d’une population en forte augmentation. Des solutions les plus simples comme les toilettes à débit réduit permettant d’économiser entre 21 et 45 m3 par an à la culpabilisation des amateurs de golf dont l’arrosage d’un terrain gaspillerait l’équivalent de la consommation de 15000 personnes !
Les auteurs admettent cependant que l’effort devrait se situer au niveau des acteurs décisionnaires pour être réellement efficace. Avec de nombreux exemples, ils retracent l’engagement des pouvoirs publics pour rénover les réseaux d’aqueducs ou changer l’aménagement des villes, procéder au recyclage de l’eau et surtout accroître l’efficacité hydraulique de l’agriculture. Ils abordent également les dérivations massives d’eau, le dessalement et l’exportation de l’eau par navires-citernes ou grands sacs plastiques pour accroître le volume de la ressource là où le besoin s’en fait ressentir.
Nombre de ces palliatifs supposent cependant une entente ou une coopération internationale, concèdent les auteurs en abordant le droit international en la matière. Dans un chapitre facile à lire, LASSERRE Frédéric et DESCROIX Luc décrivent le flou actuel du droit international avant de préciser que son édification est très difficile parce que l’intérêt général à beaucoup de mal à s’imposer.
Enfin, les auteurs analysent en trois chapitres les pistes pour une meilleure gestion des ressources en eau.
Ils tracent tout d’abord les contours de l’irrigation. Après avoir présenté les abus et leurs conséquences, ils s’interrogent sur son avenir considérant les différents usages de l’eau. Puis ils ouvrent une autre perspective : celle de la fonction hydrologique d’un territoire. « Peut-on dire qu’un espace est destiné à produire ou à retenir de l’eau pour alimenter ou, au contraire, protéger l’aval ? […] Peut-on demander à une commune périurbaine située en tête de bassin versant de geler son développement urbain et de limiter ou interdire son expansion pour ce qui est du plan d’occupation des sols, sous prétexte que son urbanisation risque de favoriser la formation de crues et d’inondations sur les communes situées en aval ? » s’interrogent les auteurs. Et pour finir, ils abordent la gestion intégrée des ressources en eau par bassin. En effet, nous disent-ils, après de nombreux débats la gestion purement technique de la question de l’eau a été abandonnée au profit d’une « gestion de plus en plus intégrée qui tient compte des multiples facettes de l’eau, incluant des dimensions sociales et politiques ». Ils présentent ainsi les trois piliers de la gestion intégrée par bassin qui sont la connaissance, le partenariat et la participation du public en concluant par l’importance du facteur humain et les conditions du succès.
Deuxième partie : Études de cas
Cette deuxième partie, entièrement consacrée à des études de cas, nous présente onze situations différentes réparties sur l’ensemble du globe. Seules les deux premières traitent du même lieu géographique à savoir : le Proche-Orient. Deux approches différentes sont proposées. La première est intitulée « les eaux de la terre sainte : le bassin du Jourdain au cœur de vives convoitises ». L’accent y est nettement placé sur l’importance de l’eau pour la survie d’Israël. D’ailleurs les propos d’Yitzhak Rabin rapportés sont clairs : « Vous ignoriez probablement qu’avant d’entrer dans l’armée, j’étais ingénieur des eaux. Si nous réglons tous les problèmes du Proche-Orient mais pas celui du partage de l’eau, notre région explosera. La paix ne sera pas possible ». La deuxième approche intitulée « le lien eau-terre dans le conflit israélo-palestinien : le poids des représentations » s’intéresse davantage aux référents idéologiques, culturels et symboliques qui, nous disent les auteurs, « explicitent et construisent les représentations qu’un peuple se fait de lui-même, de son histoire, mais également des images et des discours que d’autres peuples projettent sur lui. »
Puis suivent d’autres études de cas aux titres évocateurs comme « le Tigre et l’Euphrate : les fleuves de la discorde » ou « l’Egypte peut-elle envisager un partage du Nil ? ». Aucune partie du globe n’est oubliée. Ni l’Asie avec le cas de la Chine dans le chapitre : « La Chine du nord importera de l’eau de ses lointaines montagnes », ni l’Australie avec son chapitre intitulé : « Australie : le poison du sel ». Le continent américain quant à lui est présent avec trois cas. Enfin, une dernière étude sur une situation africaine avec le chapitre : « sur les rives du Sénégal : l’eau et le riz dans la gestion du territoire ».
Autant d’études donc qui s’avèrent être une véritable mine de documentations et d’analyses pour les enseignants mais aussi pour toute personne qui souhaite avoir une vue complète sur la question.
En conclusion :
LASSERRE Frédéric et DESCROIX Luc avec cet ouvrage nous offrent une étude très fouillée sur cette question de l’eau qui est aujourd’hui sur toutes les lèvres sans souvent savoir par quel angle l’appréhender. Après la lecture de ce livre aux nombreuses références et aux études de cas bien menées, on pourra assurément passer de l’effet « mode » des discussions à une réflexion approfondie devant aboutir à des actes concrets au quotidien pour préserver ce bien de l’humanité qu’est l’EAU.
Un ouvrage à mettre absolument dans toutes les bibliothèques !