Victor Pinel, jeune dessinateur passionné de bandes dessinée depuis son plus jeune âge,  fit ses premières armes à l’ESDIP de Madrid où il y suivra une formation artistique avant de travailler dans le secteur de la jeunesse puis dans le cinéma d’animation comme storyboarder et coloriste. Véritable touche à tout artistique, il s’inspire autant de Takehiko Inoue (Slam Dunk,…) que de Frederik Peeters (Aâma,…). Collaborant avec Philippe Pelaez dans Puisqu’il faut des hommes (2020) et dans Le Plongeon avec Séverine Vidal (2021) il sort en Août 2023 sa BD, ECHECS. 1

N’y allons pas par quatre chemins :  Echecs est mon gros coup de cœur BD 2023 et de loin !

Cette bande dessinée est une histoire chorale. Cela peut parfois être déstabilisant pour le lecteur mais cela est tout aussi complexe à construire pour l’auteur :

« N’importe quel petit changement dans l’une des histoires peut altérer les autres. Il y a eu beaucoup de travail pour bien structurer et caler l’évolution de chaque histoire qui devait, en plus s’imbriquer dans l’histoire globale ».

Cette histoire chorale trouve en plus son originalité par l’utilisation de la métaphore du jeu d’échecs pour la vie des personnages.

« J’aime l’idée que chaque pièce est différente, chacune à ses propres conditions de déplacement, ses avantages et ses faiblesses. J’aime surtout la façon dont tout s’entrelace afin que chaque pièce trouve sa place et son moment dans la partie. Même la pièce la plus insignifiante peut être décisive à un moment donné, car elle fait partie d’un tout »

L’histoire tourne donc autour de plusieurs couples de personnages :

  • Mme Dubois (retraité et experte en échecs) vivant dans un EHPAD qui va faire la rencontre de Samir un jeune homme, bénévole, qui vient passer du temps avec les personnes âgées. Ces deux personnages vont alors jouer aux échecs. Les échecs de la vie…
  • Dans cet établissement nous suivons également les aventures de Marion (directrice, en instance de divorce), Renaud (le kiné, vivant une relation compliquée à distance avec son mari au Costa Rica).
  • Mathieu alias « King, professeur Leroy », acteur dans une série TV, qui aimerait être reconnu pour ce qu’il est réellement
  • Deux adolescents : Vincent (star du lycée) et Véro nouvellement arrivée dans l’établissement.
  • Julie : photographe, en couple et sur le point de se marier mais qui traverse une période de doute (trop de routine !)
  • Lys, une jeune femme pétillante qui enchaine les relations sans lendemain (meilleure amie de Julie).
  • Benoît et Cécile, couple soixantenaire. Des passions différentes, une distance qui semble s’installer entre eux…

Tous ont en commun de se chercher d’une façon ou d’une autre. L’auteur évoque la fidélité, les mensonges, les applications pour draguer, la masculinité toxique…

« Il y a plein de sujets secondaires qui servent à donner une forme à un message plus global : les relations personnelles sont vraiment compliquées et on essaie tous de faire du mieux qu’on peut ».

Les parties d’échecs que jouent Mme DUBOIS et SAMIR ne sont au final qu’une métaphore des actions de nos différents personnages.

Ne pratiquant pas les échecs, cela ne m’a pas empêché d’apprécier le sens donné à chaque pièce. J’ai trouvé cette approche très subtile et au final… tellement vraie.

Je ne citerai ici que deux exemples, afin d’aiguiser la curiosité des futur(e)s lecteur(ice)s :

La Dame (métaphore de Vincent, la star du lycée) : La pièce la plus précieuse et la plus polyvalente. Elle se déplace dans toutes les directions d’autant de cases qu’elle veut, avec une liberté totale. Cela lui permet d’être la pièce qui peut capturer plus facilement d’autres pièces. p. 28

Les fous (représentés par Julie et son fiancé). Ils se déplacent en capturant sur toutes les case de la diagonale. Ils sont très mobiles, mais ont un point faible : certains se déplacent sur des cases blanches, d’autres sur des cases noires. Un fou ne peut pas se déplacer autrement. Donc un fou ne peut capturer que les pièces qui sont sur sa couleur de diagonale. Impossible pour eux de faire autrement ; il passera à côté sans pourvoir capturer. p. 25-26

Victor Pinel a su analyser et retranscrire avec habileté les phases de la vie, nos réactions face aux problèmes rencontrés. Il glisse avec subtilité « des évidences » qui sont importantes à rappeler.

« Gamin arrête de penser ! Tout ce que tu fais, c’est te défendre, penser, analyser… C’est important de prendre de bonnes décisions, mais ce n’est pas grave de se tromper de temps en temps ! On apprend » p. 85

Une BD qui fait réfléchir, une BD qui parle de moi, de vous, des autres… Il y a une vraie cohérence entre les histoires et le fait qu’elles s’imbriquent les unes dans les autres apportent un vrai plus. La métaphore du jeu d’échecs est tout simplement parfaite !

Je finirai par cet extrait qui résume (selon moi) ce que nous sommes en tant qu’individus et pièces dans un grand jeu d’échecs qu’est celui de la vie :

« Il n’y a pas de bonne option. La partie se déroule selon les décisions que l’on prend. Toutes les options pourraient être bonnes. Il n’y a pas une seule option correcte, il n’y a pas une seule partie. Un fou, un cavalier, une tour, la dame… toutes les pièces sont différentes ; elles n’ont pas la même valeur mais à la fin elles sont toutes importantes » p. 51-52