Un entretien rédigé en compagnie de l’auteur aux rendez vous de l’histoire de Blois

Professeur en lycée, Georges Joumas a attendu la fin de sa carrière pour présenter sa thèse sur l’histoire de la IIIe République dans la région d’Orléans. En 1998, pour le centenaire de la publication de J’accuse, le texte d’Émile Zola publié dans le journal l’Aurore dirigé par Georges Clémenceau, Georges Joumas s’est engagé dans un travail de recherche dans les archives de la Ligue des droits de l’homme, dont la section du Loiret aurait été l’une des toutes premières de France.

La presse de ce département est particulièrement riche en ce début de IIIe République. Il existe trois quotidiens régionaux, le journal du Loiret, de tendance royaliste qui serait l’un des premiers quotidiens de province, le patriote orléanais, un journal clérical, correspondance du quotidien La Croix, et enfin de tendance républicaine modérée, le républicain orléanais et du centre. Ces trois journaux sont, pendant l’affaire, clairement antidreyfusards, et pour le Journal du Loiret comme pour le Patriote, antisémites de façon très explicite.

En face, si l’on peut dire, le progrès du Loiret, dont la naissance aurait été accompagnée à l’origine par Charles Péguy qui aurait fait venir son rédacteur en chef Henri Roy, et Léon Zay, le père de Jean Zay, le ministre du Front populaire.

Dans ce département du Loiret, les tensions à partir de l’affaire Dreyfus ont été très vives dès le début. Des incidents violents ont lieu, et notamment des attaques contre le magasin d’un juif, engagé dans la Ligue des droits de l’homme. Le 8 janvier 1899, la Ligue des droits de l’homme organise une conférence dreyfusarde et une contre-manifestation est organisée. Cette manifestation antisémite à l’appel de la Ligue antisémitique, réuni plus de 6000 personnes, ce qui à l’échelle d’Orléans est absolument énorme pour l’époque. La manifestation dégénère, des attaques contre les membres de la ligue des droits de l’homme, des dégradations à l’encontre des magasins, propriété de personnalités connues comme juives, ont lieu. On peut parler pour Orléans d’une « journée de cristal ». Les locaux du journal Le progrès du Loiret sont attaqués, et à certains égards, les tensions ne vont pas se démentir jusqu’au début de la révision du procès.

Parmi les originalités de la situation dans le Loiret, toujours du point de vue de l’affaire Dreyfus, on notera que de nombreux protagonistes de l’affaire, et tout particulièrement des officiers antidreyfusards, étaient originaires de ce département, mais également que des officiers ont essayé de s’engager jusqu’au bout dans la lutte contre la révision.

Exemple rarissime, alors que le soufflé retombe assez rapidement ensuite, une manifestation d’officiers, rigoureusement interdite alors, a lieu au moment de l’ouverture du procès en révision. Une quarantaine d’officiers se serait ainsi rassemblée dans la ville d’Orléans.

Incontestablement, ce travail de l’auteur est parfaitement documenté et révèle un accès aux archives particulièrement minutieux. L’ouvrage montre, au-delà de l’histoire « parisienne », comment l’affaire Dreyfus a pu être vécue en région. Cet éclairage « local » n’est absolument pas inutile. De plus, les passions qui se sont exprimées apparaissent d’autant plus surprenantes même si à cette époque il existe toujours un vieux fond d’antisémitisme qui semble-t-il aurait été favorisé par le phénomène boulangiste.

Cet ouvrage qui intéressera surtout les lecteurs « locaux » mérite pourtant bien mieux. En montrant comment, un département « tranquille » peut basculer dans la haine antisémite, l’auteur présente, avec force détails, les mécanismes de la formation des opinions. De plus, l’historien montre comment, dans le monde rural, le mécanisme des rumeurs contre les spéculateurs juifs a pu se mettre en place.

Quelques mots pour conclure sur les Éditions du Corsaire qui sont une petite maison d’édition régionale mais qui ont été en mesure de publier ce très intéressant ouvrage dont la présentation régionale est précédé d’un excellent « » résumé de l’affaire », ce qui n’est certes pas inutile.

Bruno Modica