La lecture de la quatrième de couverture de l’ouvrage Ecrire, c’est résister, ayant pour sous-titre Correspondance 1894-1899 laisserait à penser qu’on s’apprête à lire l’intégralité de la correspondance entre Alfred et Lucie Dreyfus tout au long des péripéties judiciaires de l’affaire éponyme.

L’objectif des deux éditeurs, Marie-Neige Coche et Vincent Duclert, dépasse cependant celui d’une simple entreprise éditoriale et offre des pistes pédagogiques fort intéressantes autour de cette correspondance : l’ensemble peut sembler hétéroclite à la fin d’une première lecture, avec ses sept chapitres dont quatre sans édition de texte et qui ne semblent se raccorder que difficilement entre eux, ces lettres éditées dont certaines sont reproduites dans le cahier illustré noir et blanc, et ces retours sur deux expériences théâtrales relatives à ces lettres.

Le propos de ce livre est à retrouver non pas dans la préface, signée de Françoise Gillard, sociétaire de la Comédie-Française, ni dans le premier chapitre, mais dans un chapitre non numéroté et placé après le cahier iconographique, intitulé « Alfred et Lucie Dreyfus. Des livres pour l’histoire ». Y est retracé le destin de cette correspondance : sa saisie, sa restitution incomplète, l’usage que Dreyfus a souhaité en faire, leur passage pour partie dans les collections publiques, les différentes entreprises d’édition, dont le projet ayant abouti en 2005 à l’édition de la correspondance croisée entre Alfred Dreyfus, déjà connue et en partie éditée en 1898, et celle de sa femme, Lucie, conservée à la Bibliothèque nationale de France. Cette publication s’inscrivait dans le cadre du centenaire de l’Affaire mais aussi d’un projet des Cahiers du judaïsme relatif aux héroïnes, où Lucie Dreyfus prenait toute sa place.

Trois chapitres de l’ouvrage font référence à la postérité théâtrale de l’Affaire Dreyfus, sous des angles très utiles dans un cadre pédagogique. Dans un chapitre qui tient davantage de l’essai que du compte-rendu d’expérience, Marie-Neige Coche revient à la fois sur l’Affaire Dreyfus au théâtre et sur la transposition sous une forme théâtrale de textes appartenant à d’autres typologies littéraires à l’origine. La mise sur les planches et les lectures de correspondance sont des phénomènes qui s’accentuent dans les institutions publiques ces dernières années : elles offrent la possibilité d’en raviver la part d’intimité et de faciliter l’appropriation des textes par leur incarnation et le recours aux sens davantage qu’à la réflexion.

Deux compte-rendus d’expériences complètent cet essai : la première dans le cadre du centenaire de la réhabilitation de Dreyfus au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme en 2006, avec Françoise Gillard et Denis Podalydes, la seconde à destination de lycéens du Lycée Alain dans les Yvelines en 2019. Pour la première, le chapitre est assez décevant, car il ne comprend que les textes retenus, sans plus d’explication. Pour la deuxième en revanche, le contexte est plus détaillé, non seulement sur l’organisation du livret mais aussi sur les choix de mises en scène et des textes vécus le plus intimement et le plus sensiblement possible par les lycéens.

L’ouvrage comporte deux autres essais placés en tête, qui à mon avis, auraient davantage eu leur place après le chapitre conclusif. Dans le premier, Vincent Duclert n’offre pas un énième résumé de l’Affaire en elle-même (une chronologie des faits en tient lieu en fin d’ouvrage), mais replace en tant que source à part entière les écrits du couple Dreyfus et en particulier la correspondance, laissés dans l’ombre des éléments des procédures judiciaires ou de la presse d’époque. L’accent est mis sur la notion de résistance qui y transparaît.

Cette résistance n’est pas seulement le fait d’Alfred, mais aussi de sa femme Lucie, à laquelle est consacré le deuxième chapitre et qui illustre ici un autre phénomène, à savoir la réhabilitation des personnages de l’ombre et en particulier des femmes. Cela nous rappelle que l’Affaire Dreyfus n’a non seulement pas été résolue par l’action d’un seul individu, tout héroïque qu’il ait été (Alfred Dreyfus, Emile Zola peut-être aussi, voire Picart, si on pense au dernier film de Polanksi), mais grâce aux efforts de plusieurs personnes, et surtout que Lucie Dreyfus y a joué un rôle prépondérant en tant que soutien de son mari et de la vérité, une femme parmi les hommes loin de se cantonner dans des tâches domestiques.

On ne peut passer sous silence les lettres inédites, qui seront peut-être le chapitre le plus difficile à manier pour qui n’est pas un spécialiste de l’Affaire et des autres éditions. Il s’agit de lettres des fonds de la Bibliothèque nationale de France non comprises dans l’édition de 2005 ainsi que des lettres conservées par certains ayant-droits du capitaine Dreyfus et de sa femme. L’appareil de notes les concernant est minimaliste (généralement simplement la cote), et elles ne sont pas replacées dans l’économie générale de la correspondance déjà éditée. Si elles n’infirment pas les témoignages d’amour et la pleine confiance entre les deux époux qui transparaissait déjà des précédentes éditions, elles n’apportent que peu d’autres éléments à la connaissance de l’Affaire sans une remise en contexte détaillée. Un cahier reproduisant certains de ces lettres (mais retrouver lesquelles en l’absence des références précises prend du temps) les accompagne : la taille des reproductions et la qualité de la reproduction, inhérentes à la collection et au choix du papier, n’en permettent pas une véritable exploitation.