Publié en octobre 2022, le livre de Juliette RENNES, intitulé Métiers de rue. Observer le travail et le genre à Paris en 1900, s’inscrit pleinement dans le renouvellement historiographie lié à l’histoire du genre et sur ce que l’on a longtemps pu qualifié de « micro histoire ».

Juliette RENNES est directrice d’études à l’EHESS et ses recherches lient sociologie et histoire du genre, de l’âge, du travail et des cultures visuelles.

L’introduction évoque la date du 21 février 1907, date à laquelle deux femmes accèdent au métier de cochères à Paris. Cet  évènement fit date et une foule dense se presse pour voir ces deux femmes s’élancer sur les pavés parisiens.On vit alors se développer la figure de la « femme cocher » au travers de chansons, de personnages de fiction ou encore de l’art décoratif (assiettes notamment).

Comme le souligne l’auteure, ceci doit être mis en parallèle avec la patrimonialisation du « Paris pittoresque » du début du XX eme siècle et la place des métiers de rue en relation avec le développement du tourisme au sein de la capitale. Ces métiers de rue étant définis ici comme « toute forme possible d’activités rémunérées dont une partie significative se retrouve dehors, que ce soit sur la chaussée, sur le trottoir, sur les quais, sur les hauteurs des bâtiments, en plein vent ou de façon abritée et qui exposent celles et ceux qui les exercent aux clés du climat, au regard public et à la surveillance de la police ». De plus, cela permet de souligner la « spectacularisation » (cf Sylvie Schwartz) de par la diffusion des images de la ville ainsi que par le développement des Grands Boulevards qui permettent d’en montrer une image moderne, dynamique.

 

C’est ici une étude croisant l’histoire du travail, histoire urbaine et l’histoire du genre avec comme sujet central l’occupation professionnelle de la rue à la Belle Epoque. Il s’agit également d’un travail sur l’histoire visuelle.

Il s’agit aussi de mettre en avant la prise de conscience des enjeux contemporains sur la vision du Paris de 1900:

  • les rapports de genre et la question du « harcèlement de rue ».
  • les impasses du productivisme et du consumérisme peut informer notre regard sur le travail de rue d’hier et aujourd’hui (comme l’exemple des « circuits-courts » et recyclant).
  • les conditions de travail de ces « petits métiers » au regard de la recherche sur les maladies professionnelles et les risques.

L’un des grands intérêts de cet ouvrage est sa richesse iconographique. L’auteure utilise plus de 180 illustrations variées (photographies, presse, cartes postales) qui permettent de figurer et de montrer le regard que portait la société parisienne sur ces métiers exercés sur la voie publique.

Les sources textuelles utilisées sont nombreuses : environ 200 articles, une soixantaine d’ouvrages des années 1880 à la 1ere Guerre Mondiale, des sources étatiques. La bibliographie proposée et les références au cours du texte sont donc nombreuses et permettront d’approfondir certains points.

 

C’est donc une étude très documentée, très précise et un état des lieux de la société et des mentalités que nous livre l’auteure sur les travailleurs et travailleuses « de rue » de la Belle Epoque.

 

 

Organisation du livre :

Le chapitre 1 étudie ce que représente le travail sur la voie publique en 1900 aussi bien en tant qu’expérience qu’objet de représentation tandis que le chapitre 2, au travers l’étude de certains secteurs professionnels (des écrivains aux travailleurs des travaux publics en passant par les reporters et les livreurs), cherche à comprendre l’organisation genre et leur perception par les habitants.  Le chapitre 3 porte le regard sur ces femmes qui parviennent à se frayer un chemin dans ces métiers masculins, à l’image des ces « femmes cocher » déjà évoquées ci-dessus. Ensuite, le chapitre 4 s’intéresse aux métiers plus traditionnellement ouverts aux femmes (la vente ambulante de produits comestibles ou les métiers du nettoyage tels que le balayage…) mais qui impliquent de mobiliser des savoir-faire et des capacités physiques codées comme viriles. Le chapitre 5 tente de comparer les pratiques professionnelles des prostituées avec celles d’autres métiers qui « racolent » également les passants ou qui se donnent à voir tels que les camelots et crieurs de journaux…

Les trois derniers chapitres (6, 7 et 8) abordent des problématiques transversales à l’ensemble de ces activités, liées à leur visibilité ou parfois leur invisibilité dans l’espace urbain : la sexualisation des travailleuses dans la rue et la perception de leur âge, les usages marchands de ces figures de femmes exerçant un métier d’hommes.