Ecrire un article ou une thèse n’a que peu à voir avec ce travail de recension ou celui de synthèse que nous faisons régulièrement pour préparer nos cours. C’est autre chose car il s’agit de communiquer les résultats de ces recherches et d’en tirer des enseignements dignes d’intérêt pour un lecteur. Par ailleurs, alors que nous passons notre temps à dire à nos élèves de faire des phrases courtes et simples, force est de constater que ces tuyaux d’écriture ne suffisent pas pour la rédaction d’un article scientifique. Aussi, cet ouvrage sera d’un grand secours aux doctorants-apprentis chercheurs.

Howard S. Becker est un sociologue américain héritier de l’Ecole de Chicago qui a consacré sa carrière à travailler sur les déviants – entendre par là les musiciens de jazz et les fumeurs de marijuana (in Outsiders, 1963) – ainsi que sur le monde de l’art (Les mondes de l’art, 1982). Il est connu aussi des apprentis chercheurs pour son livre Les ficelles du métier (traduit à La Découverte en 2003) où il emploie un style direct – voire familier – et particulièrement convaincant pour vous guider lorsque vous entreprenez une recherche puis lors de la communication des résultats.

L’ouvrage chroniqué ici porte plus spécifiquement sur la méthodologie de l’écriture. Il est issu d’un séminaire organisé pour des étudiants en sociologie de la Northwestern University. Becker utilise pour cela des méthodes radicales pour faire prendre conscience aux étudiants que l’écriture scientifique ne peut se faire que si la peur d’écrire des bêtises disparaît ; faute de quoi, elle inhibe tout acte de rédaction et rend tout production impossible. La grande force de son enseignement est de faire comprendre que si les textes que nous écrivons ne sont pas bons, ils constituent une étape indispensable dans le processus d’écriture. Il est donc tout à fait normal d’être amené à réécrire plusieurs fois le même article et cela n’a rien de  honteux.

Dans le cadre de ce séminaire, H. S. Becker fait travailler ses étudiants sur les textes que chacun a pu produire. Les participants sont amenés à proposer des réécritures de phrase en éliminant les tournures passives, des répétitions (en fusionnant des phrases), des tournures pédantes. Des conseils précieux sur la structure de l’article sont donnés : « mettre simplement au début leur dernier paragraphe triomphal, pour informer les lecteurs de l’orientation du raisonnement et de ce que tout ce matériel doit finir par démontrer. » (p. 57), « au lieu d’essayer de résoudre l’insoluble, vous pouvez en faire état. Vous pouvez expliquer au lecteur pourquoi telle question pose problème, quelles solutions vous avez envisagées, pourquoi vous avez choisi celle, moins que parfaite, pour laquelle vous avez finalement opté, et quelle est la signification de tout cela. » (p. 69) Enfin, l’écriture scientifique est une affaire collective. La relecture par des pairs ainsi que la communication de ses recherches (colloques, séminaires), y compris, à un état transitoire fait avancer notre argumentation. Toutefois, arrive un moment où il faut « sortir le produit de l’atelier » (p. 129), faute de quoi le chercheur ne participera jamais au débat scientifique.

Si l’ouvrage de Howard S. Becker a un peu vieilli (le dernier chapitre – succulent à plus d’un titre – traite de l’introduction de l’informatique dans ses habitudes de rédaction), il a le mérite de rappeler que faire de la recherche est une aventure collective, qui s’appuie sur les travaux déjà réalisés dans ce domaine. Penser que vous allez « opérer tout seul une révolution scientifique et intellectuelle » (p. 148) conduit à l’échec. La recherche est une aventure collective issue d’échanges intellectuels.

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes