Kéren Desmery propose une approche originale et très complète sur l’Enseignement moral et civique puisqu’elle offre un panorama qui va de l’histoire de la matière à la mise en place d’un nouvel enseignement. Ce livre est issu de sa thèse soutenue en 2016. L’auteure est chercheuse à l’EPHE au sein du GRSL (Groupe Sociétés Religions Laïcités). Son ouvrage se caractérise notamment par le fait qu’il s’est construit au fur et à mesure de l’objet qu’elle étudiait. Cela implique de sa part à la fois une « forte empathie avec le sujet » et, en même temps, une nécessaire prise de distance pour pouvoir le mettre en perspective. Le livre est structuré en trois parties d’inégales longueurs. En introduction, Kéren Desmery précise sa méthodologie et ses sources. Elle a présenté également son travail dans le Café pédagogique.
De la morale laïque sous la III ème République à la « morale laïque du III ème millénaire » : retour vers le futur
Dans cette première partie, Kéren Desmery contextualise la question civique en s’appuyant sur l’histoire car ce regard est évidemment nécessaire pour mesurer l’originalité de l’actuel EMC. Elle commence en évoquant la III ème République et elle va jusqu’à l’Education civique juridique et sociale. Elle détaille évidemment les lois Ferry et rappelle que dès les années 1880 la III ème République institue une « instruction morale et civique ». Il faut se méfier de toute vision idéale car, dès cette époque, la mise en oeuvre ne s’est pas faite sans difficulté. Cet enseignement est en tout cas fortement porteur de sens et symboliquement fort comme le montre le fait que le régime de Vichy s’en est emparé. Le fil chronologique se poursuit avec un accent mis sur le tournant de 1968. De façon plus récente, Kéren Desmery précise les contours des réformes de 1985, 1995 ou encore de l’ECJS. Dans le deuxième chapitre, l’auteure explique comment on passe d’un enseignement d’une morale laïque à un enseignement laïc de la morale. C’est l’occasion de définir les différentes dimensions d’un tel enseignement. La notion de laïcité est évidemment un point central. L’auteure revient également sur les contours de ce qu’est une discipline, un enseignement dans le cadre français. Parmi les autres termes indispensables à définir il y a aussi le terme de morale qui a souvent donné lieu à des réductions ou confusions.
« Je suis l’enseignement moral et civique »
Cette deuxième partie est la plus volumineuse et cela s’explique par le fait que l’auteure a choisi d’intégrer en longueur les textes officiels des programmes. Il s’agit en effet ici de retracer le « processus d’écriture de l’EMC ». L’auteure explique comment se conçoit un programme scolaire en France en présentant le rôle des différents organismes comme le Conseil supérieur des programmes ou le Conseil supérieur de l’éducation. Kéren Desmery rappelle au passage que la mise en place de l’EMC n’est pas liée aux attentats de 2015 puisque le projet était déjà en cours d’élaboration. Tout le processus de conception d’un programme est précisé, de la composition détaillée du groupe d’experts qui a travaillé sur le sujet aux différentes étapes de rédaction et amendements. Elle détaille par exemple les différences entre les projets d’avril 2015 et les programmes finaux de juin de la même année. L’auteure analyse ensuite les inflexions des différents programmes de l’EMC pour chaque niveau entre le rapport de juillet 2014 et les programmes de 2015. Des codes de surlignement permettent de comparer efficacement les différentes moutures. Elle explique donc les différentes étapes qui mènent d’un projet à une concrétisation d’un programme et, dans le cas de l’EMC, l’impact des attentats de 2015 peut se retrouver dans plusieurs inflexions. L’EMC possède aussi des spécificités en terme d’horaire, de démarches et de modalités de mises en oeuvre.
L’enseignement moral et civique : « le changement c’est maintenant » ?
Dans cette troisième partie, Kéren Desmery s’interroge sur ce qui fait la spécificité de cet enseignement notamment grâce à ce qu’elle a développé précédemment. Elle utilise l’idée de « cordon triple » ce qui signifie que l’instruction civique et morale en primaire, l’éducation civique au collège et l’éducation civique juridique et sociale au lycée, ont laissé place à un seul et unique enseignement moral et civique pour le premier et le second degré, toutes filières confondues, y compris pour les voies terminales. Il faut mesurer le changement que cela représente. Elle propose ensuite de nouveaux tableaux de comparaison où elle montre ce qui faisait partie de ce cordon triple et qui n’apparait plus ou a été modifié dans l’EMC. L’auteure détaille ensuite les différentes modalités pratiques de mise en oeuvre de l’EMC et, ce qui est particulièrement intéressant, elle présente la modalité en théorie et en pratique. Cela permet d’avoir les idées claires par exemple sur les dilemmes moraux ou la discussion à visée philosophique.
En conclusion, Kéren Desmery revient sur quelques points essentiels. Il n’est plus question d’enseigner « une » morale laïque universelle. Au contraire, on fonde ce nouvel enseignement sur un socle de valeurs communes. « Si cet EMC semble timoré quant à ses contenus, il puise néanmoins sa force dans sa mise en oeuvre. » C’est sans doute là le point essentiel car cet enseignement invite au dialogue, à la communication. C’est un enseignement qui s’inscrit dans une démarche « transversale et participative » notamment. Le rôle de l’enseignant est encore plus que d’habitude essentiel tant la mise en oeuvre implique de faire autrement.
Jean-Pierre Costille pour les Clionautes