« Un type en civil, peut-être des Nations unies, je ne sais pas, a pris la parole. Il parlait arabe. […] ‘’On va vous enregistrer, puis mon collègue vous donnera un petit bracelet. Dessus, il y aura votre numéro d’identification’’ […] Je me souviens encore de nos numéros et je me demandais bien à quoi ça pouvait servir… Ça me faisait penser à des numéros de prisonniers. »
Hakim à Fabien Toulmé
Près de 3 ans de travail et 800 pages plus tard, Fabien Toulmé FABIEN TOULMÉ est né en 1980 à Orléans. Lecteur de bande dessinée classique franco-belge (Tintin, Lucky Luke, Astérix) dès son plus jeune âge, il commence à dessiner à 7-8 ans. Il suit des études d’ingénieur en génie civil et urbanisme, puis il voyage à l’étranger (Brésil, Bénin, Guyane, Guadeloupe) pendant dix ans pour son travail. Suite à des rencontres avec des dessinateurs brésiliens, il rentre en France en 2008 avec l’envie de se consacrer à la BD. Il publie quelques histoires sur le Web puis dans des magazines (Psikopat). Il participe au feuilleton en ligne Les Autres Gens, créé par Thomas Cadène, et aux collectifs Vivre dessous (Manolosanctis) et Alimentation Générale (Vide Cocagne). En 2012, il se rend au Festival d’Angoulême où il propose aux Éditions Delcourt de raconter la naissance de sa fille Julia, porteuse d’une trisomie 21 non détectée pendant la grossesse. Ce n’est pas toi que j’attendais sort en 2014 et remporte un grand succès public et critique. Il a également publié Les Deux Vies de Baudouin en 2017, toujours chez Delcourt (http://fabien-t.blogspot.com/). Parmi ses auteurs favoris : Riad Sattouf, Frederik Peeters, Guy Delisle, Guillaume Bouzard, Craig Thompson ou encore Fabio Moon. Fabien Toulmé planche déjà sur son prochain projet, une fiction « qui parle d’amour et de personnes âgées », très bientôt disponible (« Suzette ou le grand amour » devrait sortir aux Éditions Delcourt en 2021 selon un récent post Facebook de l’auteur)., conclut enfin le périple d’Hakim, migrant syrien aujourd’hui réfugié en France avec sa famille, avec une narration toujours emplie d’une grande humanité et justesse et sans verser dans le pathos !
Après un premier volet qui relatait le parcours d’Hakim et des siens De la Syrie à la Turquie, puis un second De la Turquie à la Grèce, la dernière étape de l’Odyssée se déroule sur le sol européen (Grèce, Macédoine, Serbie, Hongrie, Autriche, Suisse…) où père et fils tentent de rejoindre Aix-en-Provence où les attend déjà Najmeh avec impatience et crainte. Alors que le plus dur semblait avoir été fait (la traversée de la Méditerranée de la Turquie à la Grèce sur un canot de fortune), le chemin vers la France est parsemé d’embûches.
De la Macédoine à la France s’ouvre sur la visite d’un lycée du sud de la France par l’auteur qui se livre à une intervention face à des élèves attentifs et curieux. Il rappelle d’abord les principales étapes de l’aventure d’Hakim et des siens, de la Syrie à la Grèce, avant de se lancer dans un habile exercice pédagogique de questions-réponses où il explique la différence entre un migrant et un réfugié, précise les textes législatifs et tente de casser les préjugés et les stéréotypes : « Mon père dit que ça coûte cher à la France et que le risque, c’est qu’ils prennent les emplois des Français. C’est vrai ? » (p. 14)…
Fabien Toulmé rejoint ensuite Hakim, occupé à un petit boulot précaire, afin de retracer la suite de son aventure après avoir quitté Athènes pour rejoindre la Macédoine en septembre 2015.
« En suivant la voie ferrée, nous sommes arrivés dans une gare. La gare de Gevgelija. Il y avait plusieurs milliers de réfugiés qui attendaient de prendre un train pour la Serbie. Visiblement, cette attente pouvait durer très longtemps. Et cette gare était devenue un camp » (p. 30-31).
Un froid mordant, de longues heures de marche, de bus, des trains bondés sans pouvoir s’asseoir, un « business » sur le dos des migrants et les prix exorbitants des passeurs d’une indécence crasse (Hakim est obligé de payer le verre d’eau chaude pour le biberon d’Hadi, impossibilité de s’enregistrer)… La traversée des Balkans s’annonce rude pour le tandem Hakim/Hadi. Cependant, le pire n’est pas encore atteint !
L’épisode le plus marquant, le plus effroyable est assurément l’épisode hongrois. Hakim a été prévenu par d’autres compatriotes qu’il aurait mieux valu éviter de passer par ce pays affichant une politique antimigratoire autoritaire et répressive. Pourtant, celui n’a pas eu d’autres choix que de tenter le passage. Jetés dans un bus rempli de migrants, ces derniers sont parqués dans un camp de fortune entouré de grillages. Dans celui-ci, des centaines de migrants s’entassent dans des tentes où se trouve dans chacune d’elles une dizaine de lits. Le camp ne dispose que de quatre wc et quatre robinets pour tout le monde et les conditions y sont inhumaines : faim, froid, xénophobie… Lorsque Hakim demande à un vieil homme si les Hongrois servaient un petit déjeuner, ce dernier répond qu’il ne faut pas s’attendre à manger à sa faim. Ce qu’il nomme la « délicatesse hongroise » correspond en réalité à quelques sandwichs à la mortadelle, sans tenir compte de l’interdit alimentaire des musulmans, jetés littéralement trois fois par jour aux migrants affamés.
Après la Hongrie, la Suisse, Hakim et son fils arrivent enfin en France, les corps et les esprits brisés. Pourtant, malgré les épreuves, les humiliations, l’épuisement, Hakim tient bon, ne se lamente pas et reste digne. Durant tout son périple, s’il a connu la xénophobie et le rejet, il a également eu la chance de croiser pleins d’anonymes qui lui ont prêté main-forte et ont fait preuve de solidarité durant chaque étape de son parcours… Autant de petits gestes qui redonnent foi en l’Humanité !
« Je dédie ce livre aux migrants disparus avant d’avoir pu trouver leur refuge ». Fabien Toulmé
En définitive, c’est avec soulagement mais également avec émotion que l’on referme ce dernier tome de l’Odyssée d’Hakim. Soulagement d’abord, d’apprendre la petite famille au complet et agrandie. En effet, Hakim et Najmeh ont maintenant trois enfants : Hadi bien entendu, 6 ans aujourd’hui et en CP, mais également Sébastien, trois ans et Anwar né cette année. La famille a enfin obtenu un logement HLM et Hakim travaille comme auto-entrepreneur. Une nouvelle aventure s’ouvre pour eux, apaisée, et nous leur souhaitons bonne chance. Toutefois, l’émotion est bien là. Certes, Fabien Toulmé a su retranscrire par son graphisme si sobre, son style si subtil des sujets forts et difficiles mais l’on ne peut que s’interroger quant au sort de milliers d’autres migrants et/ou réfugiés qui fuient et tentent de chercher refuge ailleurs, parfois sans succès.
Cette magnifique trilogie est bien entendue un support pédagogique remarquable pour les collègues enseignants en collège et en lycée mais plus largement, l’Odyssée d’Hakim est à mettre entre toutes les mains, dans tous les CDI, dans toutes les bibliothèques, en espérant voir se bâtir un « monde d’après » plus juste, plus humain, plus solidaire !
Pour aller plus loin :
- Une présentation de Mathieu Van Overstraeten pour la RTBF (22 juin 2020) : https://www.rtbf.be/vivacite/emissions/detail_le-6-8/accueil/article_la-bande-dessinee-fait-echo-a-l-actualite-avec-black-squaw-et-l-odyssee-d-hakim?id=10527285&programId=8801.
- « Fabien Toulmé : comment j’ai dessiné ‘’L’Odyssée d’Hakim’’ ? » (France Inter, 18 juin 2019).
- L’odyssée d’Hakim – Entretien avec Fabien Toulmé (Delcourt) : https://www.editions-delcourt.fr/actus/news/l-odyssee-d-hakim-interview-avec-fabien-toulme.html.
Présentation de l’éditeur
« En traversant la mer, Hakim et son fils pensaient avoir échappé au pire. Mais entre centre de rétention et police des frontières, de nouvelles épreuves les attendent. Arriveront-ils enfin à retrouver les leurs ?
Suite et fin de la trilogie acclamée par la critique et basée sur l’histoire vraie d’un réfugié syrien. Hakim et son fils ont survécu à la Méditerranée : les voilà immigrés sur le territoire européen. Pour rejoindre la France, le tandem va affronter une nouvelle adversité faite de xénophobie et de rejet. Heureusement, il reste dans ce monde quelques inconnus solidaires prêts à tendre la main… »
©Rémi BURLOT pour Les Clionautes