Si l’on imaginait que la diffusion des sports s’était faite du haut vers le bas, de la métropole vers la colonie, fruit d’une domination sans conteste, les articles formant le corps du texte décrivent une situation bien plus complexe faite d’adoptions, d’adaptations, d’allers-retours, d’oppositions mais aussi d’utilisations du sport à des fins sociales, politiques, économiques. C’est que rappelle les deux directeurs de l’ouvrage. L’introduction leur permet aussi de lister les acteurs de la diffusion du sport à l’époque impériale, les « passeurs » : ici des militaires, là des missionnaires, parfois des enseignants, des sportifs lors de tournées dans les colonies ou encore des acteurs économiques (ingénieurs, chefs d’entreprise ou plus simplement ouvriers) tels ceux travaillant pour les chemins de fer et qui popularisèrent le football dans ce pays (« Le partage de l’Amérique latine : sports compétitifs et compétition impériale », J. Arbena).
Parler de diffusion et d’acteurs amène à parler de la réception des disciplines dans les empires. Cette réception peut-être décalée dans le temps, à l’instar du foot en Afrique pratiqué d’abord dans les colonies britanniques puis plus tard sur l’ensemble du continent, et s’accompagne d’une adaptation plus ou moins grande au contexte culturel local, d’une modification de la pratique comme pour le cricket en Australie, en Afrique du Sud ou dans le Pacifique (« De l’empire aux indépendances : vers un « nouvel ordre mondial du cricket ? », B.Stoddart). Les contributeurs reviennent à tour de rôle sur le rôle actif des populations réceptrices allant jusqu’à l’instrumentalisation de ces sports et du sport en général à des fins politiques. Ce fut le cas des Irlandais (« Sport colonial, identité masculine et affirmations nationales », P.McDevitt) construisant une partie de leur identité sur la lutte contre les sports britanniques et le développement de sports gaéliques, reflets de l’homme irlandais mais aussi des opposant nigérians (« Le football africain, entre domination coloniale et émancipation », P.Dietschy) utilisant les parties de football comme autant de manifestations nationales. On ne peut pas ne pas citer pour ce sport les cas plus connus des footballeurs algériens quittant la France pour former l’équipe du FLN ou encore la ruée vers la FIFA des états africains nouvellement indépendants.
La domination politique a donc permis d’implanter des sports « impériaux » en Afrique, en Amérique latine, en Asie et en Océanie mais d’autres ont pu connaître une expansion hors de leur foyer d’origine sans qu’il y ait une telle domination. L’article consacré au judo illustre la dynamique d’un sport issu d’un pays non occidental faisant des adeptes en Europe, en Amérique du Nord à tel point que Q. Deluermoz n’hésite pas à parler d’ « empire inversé ». La diffusion fut aussi limitée longtemps à un entre-soi colonial ou aux élites locales, attirées par le modèle du colonisateur anglais, français, ou choisies par le colonisateur lorsqu’il est minoritaire (cas de la diffusion du cricket aux Antilles) et elle permit, par moment, de consolider le lien métropole/colonie par le biais d’épreuves sportives (« Dresser la carte sportive de l’Algérie française : vitesse technologique et appropriation de l’espace », P.Dine), de faire prendre conscience aux coloniaux qu’ils faisaient partie de l’empire. Le dernier article, «L’identité du onze tricolore : un héritage colonial ? »,
L. Dubois » permet de creuser ce sillon et l’auteur de montrer toute l’originalité du modèle colonial français, et de son équipe de foot, capable de promouvoir des dépendants, ici d’intégrer dès les années 1920/30 dans l’équipe de France des joueurs originaires des colonies (On retrouve cette diversité des origines, mais pour des raisons différentes, dans l’actuelle sélection allemande), d’abord majoritairement nord-africains puis antillais à tel point qu’aujourd’hui cette sélection est « devenue un puissant symbole politique » et pourrait permettre, toute ambition mesurée, de dépasser le passé colonial de la France.
On ne peut pas dire que ce livre servira directement à l’enseignant, les articles abordent des thèmes trop précis et aucun document n’est proposé au lecteur mais son approche internationale, multiscalaire et omnisport lui fera passer un bon moment.