Créée en 2003 sous le titre Parlement[s], Histoire et politique, la revue du CHPP change de sous-titre en 2007 pour affirmer sa vocation à couvrir tous les domaines de l’histoire politique, sous la plume d’historiens, politistes, juristes, sans exclusive, du doctorant au chercheur confirmé. Parlement[s], Revue d’histoire politique a un comité de lecture qui se consacre à l’histoire politique des époques moderne et contemporaine (sans s’interdire des incursions dans l’Antiquité et le Moyen Âge) en général et aux études parlementaires, en particulier. Chaque volume contient un dossier thématique (composé d’articles originaux et de sources commentées) et des comptes-rendus de lecture d’ouvrages récents, complétés de varia deux fois par an, soit une dizaine d’articles inédits (voir traduits) par numéro. Les contributions consacrées aux images sont réunies sur la page L’histoire politique en images.
La revue est soutenue depuis 2009 par le laboratoire SAVOURS (EA 3272) de l’Université d’Orléans. Elle est publiée trois fois par an aux éditions Pepper/L’Harmattan et sur la plate-forme Cairn (accès gratuit partiel). Cette revue réunit des travaux de chercheurs français, pour la plupart, sur les évolutions du rôle des parlements dans une période où leur importance, au moins sous la cinquième République, a eu tendance à diminuer. Cette revue a déjà été présentée par le service de presse des Clionautes par 3 fois par le rédacteur Bruno Modica, en 2008.

Ce numéro de la revue Parlement(s) présente comme thème : Élus et élections du 8 février 1871. Ce seizième dossier est coordonné par Thierry Truel, doctorant à l’université de Bordeaux III. Dans l’introduction rédigée par ce dernier et Sylvie Guillaume, professeure émérite à l’université de Bordeaux III. Ces deux historiens présentent la problématique de ce dossier de cette fameuse élection législative des débuts de la IIIe République. 1871 : l’année terrible selon Victor Hugo ! La défaite et les conditions de paix dictées par le chancelier Bismarck imposent l’organisation précipitée d’élections législatives, le 8 février 1871. La toute jeune République, proclamée le 4 septembre 1870, doit se doter d’une constitution. Elle se lance dans la plus courte campagne électorale de son histoire alors que le Gouvernement de Défense nationale affronte la menace « rouge » des socialistes SFIO. Ce dossier réévalue le rôle de ce scrutin du 8 février 1871, traditionnellement considéré comme l’expression d’une France rurale et bourgeoise, rétive au changement, et majoritairement monarchiste. En les comparant avec les élections de 1848, en interrogeant les origines et les parcours ultérieurs des élus de 1871 et en rétrécissant la focale du national au local avec l’exemple du Grand Sud-Ouest, des historiens montrent que ces élections du 8 février 1871 ont permis l’acclimatation du parlementarisme et l’émergence d’élites de transition.
Comme d’habitude, le dossier se compose de deux éléments distincts : une première partie consacrée à la recherche et la seconde à des sources commentées par les historiens du présent dossier éclairant les contributions proposées par 7 chercheurs, jeunes ou confirmés.

Recherche : Les élus et les élections du 8 février 1871 : nouveaux enjeux, nouveaux défis ? & Les élus et les élections en province : études de cas du Grand Sud-Ouest :

Dans le cadre de la première problématique intitulée « Les élus et les élections du 8 février 1871 : nouveaux enjeux, nouveaux défis ? », pas moins de 5 historiens s’attèlent à cette tâche. Christophe Voilliot s’interroge sur le maintien de la pratique des « candidatures officielles » du Second Empire par Gambetta lui-même, en nommant des “préfets de combat” dès 1871, dont beaucoup avaient participé à l’organisation des listes officielles et dont certains d’entre eux avaient été élus en avril 1848. Jean Garrigues, quant à lui, étudie les élus du Centre gauche, réseau d’influence constitué à partir de l’Union libéral du chef de l’exécutif Adolphe Thiers, regroupant quelques dizaines de députés républicains modérés et des milieux d’affaires qui vont constituer officiellement, le 19 juillet 1871, le groupe parlementaire « Le Centre gauche ».

Ce dernier, porteur d’un projet libéral, vont pourtant jouer un rôle majeur dans la fondation de la IIIe République. Jérôme Grévy examine l’invalidation de Garibaldi par l’Assemblée nationale, le 13 février 1871, réunie à Bordeaux, provoquant un tumulte. Quant à Francis Perrot, il analyse les officiers élus à l’Assemblée nationale (1871-1875). Or, paradoxalement, en votant leur inéligibilité future, ces officiers organisent leur propre retrait de la vie politique de la IIIe République. Ainsi, non seulement ne cherchent-ils pas à renforcer le pouvoir militaire dans les institutions, mais, indirectement, favorisent-ils la naissance d’une démocratie parlementaire et contribuent-ils à la stabilité du nouveau régime. Nombreux sont les élus qui entame une longue carrière, comme le montre Jean-Marc Guislin, avec son étude qui propose une analyse démographique, sociale (dynasties, professions, religions), géographique et politique (déroulement de la carrière). La longévité de l’engagement avec ses péripéties et l’exercice de hautes responsabilités, notamment ministérielles, y sont privilégiés.

Dans le cadre de la deuxième problématique intitulée « Les élus et les élections en province : études de cas du Grand Sud-Ouest ? », François Dubasque montre qu’en Charente la rupture n’est qu’une apparence car ce fief bonapartiste devient alors, à l’occasion de la législative de 1871, un véritable bastion (la « Vendée bonapartiste ») en maintenant ses élites politiques. Quant à la Gascogne rurale (Gers, Landes, Lot-et-Garonne) étudiée par Céline Piot, ces 3 départements envoient sans états d’âmes des 16 élus conservateurs (sur 18) qui se répartissent cependant en 3 courants souvent désunis (légitimiste, orléaniste et bonapartiste) mais qui sont l’expression d’une même peur face à la IIIe République naissante.

Sources : « Nouveau régime, nouveau scrutin, nouvel espoir ? » & Contester le verdict des urnes ? :

Dans le cadre de la problématique « Nouveau régime, nouveau scrutin, nouvel espoir ? », 3 documents sont présentés : chronologiquement, le premier par Thierry Truel en présentant les principes d’un vieux Républicain en la personne de Marc Dufraisse exprimés dans sa lettre du 23 septembre 1870 à au jeune élu, l’avocat Bardi de Fourtou (en lui exprimant sa conception du suffrage universel) puis le deuxième document par Francis Perrot avec les Mémoires inédits du général Brugère à propos des élections de 1871 et enfin le troisième document par Jean Garrigues avec l’article intitulé « Les deux Républiques » écrit par Alfred Le Petit dans le journal, Le Grelot, en janvier 1872.

Jérôme Grévy présente la contestation du verdict des urnes par Victor Hugo lorsqu’il donne sa démission après l’invalidation de l’élection de Garibaldi et Thierry Truel présente un exemple de protestation contre le scrutin du 8 février 1871 en la personne d’Oscar Planat, candidat républicain, avec sa lettre contre l’élection de candidats officiels en Charente (juin 1871).

Varia : Le cas Edmond Barrachin (1929-1975) et le Conseil européen de Vigilance (1950-1951)

Gilles Le Béguec a rédigé deux articles sur le cas Edmond Barrachin. Le premier s’intitule « Pourquoi Edmond Barrachin ? Réflexions sur un itinéraire singulier » et le second « Edmond Barrachin : le temps des apprentissages ». Edmond Barrachin a siégé au Parlement de 1934 à 1975 (date de son décès), avec deux interruptions seulement, de juin 1936 à juin 1946 puis entre l’automne 1958 et son entrée en Sénat, début 1959. En dehors de cette longévité, tout au long de sa carrière, il a cherché à doter le vaste secteur d’opinion allant de la droite républicaine au centre d’une organisation politique réellement structurée et a œuvré en faveur de la réforme de l’État. Enfin, il constitue à la fois une figure atypique du personnel parlementaire de l’époque par ses origines et l’archétype d’un professionnel de la politique.
L’entrée en politique d’Edmond Barrachin s’est opérée en dehors de la plupart des chemins balisés, au contact de ses grands aînés. De 1929 à 1936, il est ainsi formé par François Piétri, son beau-père, figure de la République modérée, puis par Étienne Riché, du Centre droit, et enfin par Henry Franklin-Bouillon, du Front républicain. Battu aux législatives de 1936, il devient néanmoins directeur du bureau politique du Parti social français du colonel de La Rocque. Ces années d’apprentissage constituent une clef de compréhension du cas Edmond Barrachin. Jean-Paul Thomas, quant à lui, s’est attaché à montrer dans son article « Edmond Barrachin ou la pérennité des réseaux politiques des droites » comment ce modéré a été le dirigeant de l’action électorale du PSF de La Rocque, le père du PRL (Parti Républicain de la Liberté : regroupement des droites en 1945-1946), un leader des parlementaires RPF, avant d’entraîner certains dans la scission en 1952 puis de les conduire vers les Indépendants. Les réseaux qu’il a tissés avec un grand savoir-faire reposent sur une souche durable, renouvelée au fil des temps mais dans une cohérence d’idées expliquant les convergences momentanées avec deux rassemblements plus populaires.

Avec le Conseil européen de Vigilance, Bertrand Vayssière étudie l’action fédéraliste auprès du Conseil de l’Europe (1949-1951). En effet, les militants fédéralistes, défenseurs du tout nouveau Conseil de l’Europe dans un premier temps, se défient assez rapidement de cette instance. Un cap semble être franchi avec la création du Conseil Européen de Vigilance, en septembre 1950. Cette institution temporaire et informelle a pour but de mettre les députés de l’Assemblée de Strasbourg face à leurs responsabilités en faisant pression sur eux. Mais en même temps que le CEV table sur la bonne volonté du Conseil de l’Europe, il est la préfiguration de ce que pourrait être une action isolée des seuls militants pour faire aboutir leur volonté. Le choix de cette formule d’action apparaît comme un dernier recours auprès du Conseil de l’Europe, que l’on menace d’un débordement vers des solutions plus radicales en cas d’échec. L’une d’elles est l’appel à une Constituante européenne, dont l’objectif est, sans ambiguïtés, de contourner l’institution strasbourgeoise et de lancer un véritable processus fédéral.

Jean-François Berel