En resserrant le champ géographique Jean-Louis Panicacci se penche aujourd’hui sur Nice occupée, sujet qu’il avait abordé de différentes façons depuis ses premières recherches universitaires et dont le traitement bénéficie d’années et d’années de recherches, de trouvailles, de recueil de témoignages et de confrontations avec d’autres auteurs.
Depuis que le travail prenant de s’occuper de nombreux étudiants est désormais derrière lui, Jean-Louis Panicacci qui s’est consacré depuis plusieurs décennies à l’étude de la seconde guerre mondiale dans le sud-est de la France continue à rythme soutenu de faire paraître le résultat de ses recherches sous forme d’articles et d’ouvrages. Un des plus récents, l’Occupation italienne dans le sud est de la France (CR mis en ligne à la cliothèque en décembre 2010) était une présentation très fouillée de cet épisode en général peu connu et qui a pourtant concerné huit départements occupés totalement par les armées italiennes et trois autres partiellement.
En resserrant le champ géographique Jean-Louis Panicacci se penche aujourd’hui sur Nice occupée, sujet qu’il avait abordé de différentes façons depuis ses premières recherches universitaires et dont le traitement bénéficie d’années et d’années de recherches, de trouvailles, de recueil de témoignages et de confrontations avec d’autres auteurs.
Cet ouvrage se veut particulièrement accessible, il est contsruit est autour de quelques thèmes forts : « les Italiens entrent dans la ville », « Persécution et collaboration », « Résister », « Vivre », « La déroute de l’armée italienne », « La loi de la Wehrmacht », « Une guerre civile », « Survivre », « L’insurrection » .
L’introduction souligne la situation originale de la ville, objectif de trois divisions italiennes pendant la courte guerre menée en 1940 au cours de laquelle la « ligne Maginot des Alpes » qui descendait jusqu’à la mer avait résisté aux assauts successifs (voir la Guerre des Alpes, CR mis en ligne à la cliothèque en juin 2010 ).
L’arrivée des armées italiennes qui n‘avaient pas réussi à percer le front en 1940 fut perçue comme une anomalie et une injustice. La ville n’avait pas été bombardée et, malgré la proximité de la frontière/ligne de front, n’avait pas été évacuée. A partir de l’armistice de Villa Incisa, elle faisait partie de la zone démilitarisée et perdit sa garnison. Les pertes subies parmi les mobilisés sur le front du nord-est et les prisonniers entraînaient un déficit de plus de 4500 jeunes hommes avec les conséquences économiques qu’on peut imaginer. Inversement, Nice était devenue une ville-refuge pendant la campagne de France ; après la création des zones libre et occupée, des habitants de la moitié nord et de nombreux juifs s’y étaient repliés fuyant la zone occupée. Et pourtant, cette ville de 250000 habitants qui n’était pas située dans un territoire de productions agricoles dépendait entièrement de la voie de chemin de fer et du port dont le trafic diminua de presque quatre fois.
Les revendications mussoliniennes sur Nice, ville qui n’était française que depuis l’aide apportée par Napoléon III à la constitution du Royaume d’Italie, et cela au grand dam de quelques acteurs de l’Unité italienne tel Garibaldi, ne pouvait qu’adhérer au nouvel ordre politique en train de se constituer autour du Maréchal Pétain : les habitants de l’époque pouvaient penser que ce régime allait les protéger, et à Nice plus particulièrement les garantir des Italiens. L’adhésion au nouveau régime se marqua alors par les manifestations liées à la Révolution Nationale, la forte influence de partis comme le PPF ou de mouvements tels que la Légion française des combattants : les prestations de serments des légionnaires furent alors de très importantes manifestations. Le nouveau régime procéda à l’arrestation de plusieurs centaines de juifs, envoyés à Drancy.
C’est dans ce contexte que l’opération « Attila », c’est-à-dire l’occupation de la zone sud se déclenche à partir du 11 novembre 1942 en réponse au débarquement allié en Afrique du Nord. L’entrée des troupes italiennes se déroula dans une indifférence assez générale, souvent méprisante malgré la présence à Nice de plusieurs dizaines de milliers de transalpins de nationalité ou d’origine.
Persécutions et collaboration
Jusqu’à la fin novembre, les troupes italiennes prirent progressivement leurs quartiers. La guerre s’étant rapprochée du fait de la présence alliée de l’autre côté de la Méditerranée, c’est dans une ville sous un éclairage de guerre, avec des approvisionnements de plus en plus difficiles par voie maritime, que se livrèrent une série d’escarmouches administratives entre le commandement italien et l’ombrageux préfet Ribière, soucieux de défendre les prérogatives des responsables français et des instructions de Vichy.
Les frictions les plus significatives concernaient le sort des populations juives car malgré la législation raciale en principe en vigueur en Italie, les autorités italiennes cherchaient pour des raisons complexes à la fois à se démarquer de leur allié et à ne pas faire preuve d’inhumanité.
La zone contrôlée par les Italiens acquit bientôt la renommée d’un espace où les juifs étaient protégés ce qui provoqua un afflux de réfugiés, malheureusement pour ce qui suivit, c’est-à-dire l’occupation allemande, car ceux qui arrivaient n’avaient pas forcément de contacts sur place, logeaient fréquemment à l’hôtel et étaient donc particulièrement visibles.
La répression à l’égard des Résistants fut en revanche rigoureuse et une villa du quartier résidentiel de Cimiez, la villa Lynwood devint un centre de tortures redouté.
Facilité par la présence d’une nombreuse population transalpine ou d’origine italienne, les relations avec les populations locales restaient variables.
La fuite des soldats italiens après la capitulation italienne signée par le Maréchal Badoglio se produisit avec beaucoup de précipitation et malgré quelques accrochages avec les troupes allemandes, celles-ci occupèrent rapidement les Alpes-Maritimes et Nice, faisant tomber par là, la menace du rattachement à l’Italie. Même la région de Menton, directement administrée par les Italiens et où la monnaie italienne avait été introduite, revenait sous la fiction de l’administration française.
Discipline et moins de contacts avec la population ont caractérisé cette nouvelle phase de l’occupation. La crainte d’un débarquement allié fit progressivement réaliser de très importants travaux car le « Mur de l’Europe » ne fut pas qu’atlantique : préparation de l’installation de batteries, blockhaus, pieux dissuasifs, minage systématique des plages. Progressivement, c’est la Promenade des Anglais toute entière qui fut intégrée à ce dispositif, camouflages compris. Les habitants avaient été évacués sur une grande profondeur depuis le rivage.
L’arrivée des Allemands signifiait aussi la reprise de la persécution des nombreux juifs, niçois ou réfugiés. Les équipes d’une remarquable efficacité, notamment celle d’Aloïs Brunner, commencèrent à rassembler ceux que des convois allaient amener pour commencer à Drancy. Alors qu’une partie de l’administration trouvait des échappatoires pour ne pas fournir les listes demandées, comme le préfet Chaigneau, son chef de Cabinet et nombre de leurs subordonnés, des organisations, juives, protestantes et catholiques renforcèrent leur action d’entraide en organisant des caches et des filières ; une officine de faux papiers fonctionnait même à l’Évêché. Tous les courageux acteurs qui mettaient en place ces dispositifs n’échappèrent pas à la Gestapo : une quarantaine en périrent.
Conséquence d’une série de rafles et l’aide, comme partout, de dénonciateurs, le nombre de juifs envoyés vers Drancy se monta à environ 2950 sur une population (autochtones et réfugiés) se montant à plus de 20000. Les rafles (c’est au cours de l’une d’elles que Simone Veil, alors lycéenne fut arrêtée avant sa déportation), la composition de convois provoquèrent à la fois la satisfaction des milieux les plus engagés dans la collaboration et un mécontentement de la population que relève Jean-Louis Panicacci dans les rapports des Renseignements Généraux.
La guerre n’était pas présente que par l’occupation : alertes aériennes à partir d’octobre 1943, bombardements parfois sans victimes, parfois dramatiques comme celui du 26 mai 1944 alors que les affrontements entre groupes de l’armée des ombres et occupants se multipliaient. Après avoir décrit les luttes de pouvoirs entre les différents groupes de la Résistance et leur progressive coordination, l’auteur montre les différentes actions menées, depuis les tracts démobilisateurs pour les soldats jusqu’aux destructions de matériel allemand ou d’entreprises travaillant pour l’occupant et de véhicules et aux actions les plus radicales. Des attentats ciblés ont été commis, explosions dans des lieux fréquentés par des soldats, ou contre des soldats isolés. A ces actions, souvent menées par les FTP-MOI, les occupants répliquèrent par une répression impitoyable : Jean-Louis Panicacci note qu’avec le même nombre d’arrestations pour ce motif que pendant l’occupation italienne, le bilan est sans commune mesure entre les morts sous la torture, les exécutés et les déportés qui ne revinrent pas. La forte participation des miliciens et des membres du PPF à la répression donna une allure de guerre civile à ces affrontements.
Survivre : dans un contexte d’une économie touristique ruinée, expédier les affaires courantes était la seule chose à faire pour les administrations, survivre dans une recherche permanente de l’essentiel, la nourriture notamment, la principale obsession de la population.
Les difficultés d’approvisionnement ont souvent été préoccupantes et des milliers de personnes furent progressivement évacuées. Sans véritable terroir, avec un port en quasi-cessation d’activité, la ville ne pouvait compter que sur la ligne PLM tant qu’elle a fonctionné, puis uniquement sur le chemin de fer à voie étroite Nice Digne ou Nice Meyrargues. Le marché noir et un « banditisme du pauvre » se développèrent tandis qu’envers et contre tout les habitants cherchaient à vivre, malgré la disette, le couvre feu, les alertes aériennes.
L’insurrection : le débarquement en Provence précipita la confrontation, les mouvements de Résistance, malgré les différents qui subsistaient entre eux, notamment entre gaullistes et communistes, étant décidés à l’action alors même que Nice n’était pas déclarée ville ouverte par les occupants et que l’avance des troupes américaines ne paraissait pas aller au-delà du fleuve Var. L’insurrection niçoise, finit par chasser vers l’Italie les troupes allemandes, par ses propres moyens, malgré la disproportion des armements, sans même pouvoir recevoir l’aide des groupes FFI proches de la ville, mais retenus par leurs propres combats.
Epilogue : après ces années de guerre, Nice libérée était une ville entre disette et famine, qui avait perdu 30000 habitants (départs, déportations, décès), à l’économie totalement ruinée et aux entreprises souvent détruites, et dont de nombreux espaces, les plages notamment restaient minés. La guerre n’était pas loin : le champ d’aviation permettait encore aux chasseurs-bombardiers de disposer d’une base proche pour aller piloner les positions allemandes dans les massifs proches. La fixation d’un centre de repos pour les GI relança partiellement l’économie jusqu’en 1946, mais les années qui suivirent la guerre furent difficiles alors que continuait l’épuration et que les cartes politiques semblaient partiellement redistribuées. Jean-Louis Panicacci n’oublie pas dans cet épilogue de conclure par ce qui restera de cette période noire un peu plus tard ou des années en analysant la mémoire parfois conflictuelle de l’événement, telle qu’on peut la suivre à travers la toponymie, les commémorations.
Après 200 pages de texte, l’ouvrage comporte également une vingtaine de pages de notes (quand les éditeurs arriveront-ils à les mettre en bas de page ?) , des plans et des textes, aussi bien de la presse que des correspondances, des notes administratives et termine par la liste des lieux de mémoire ainsi qu’une importante bibliographie de plus de deux cent titres.
Cet ouvrage à la fois synthétique et analytique est donc une très bonne présentation de cette ville-« laboratoire » pour reprendre l’expression de la 4e de couverture, où en temps de guerre s’exerça un « jeu complexe d’alliances et de rivalités entre les trois puissances en place et les hommes qui les représentaient »