Le grand Louis Guilloux a attendu trente ans avant de rédiger ce petit livre relatant son expérience de traducteur officiel de l’armée étasunienne et ses souvenirs de la libération de sa Bretagne natale.
Le récit se fait sans concession et le contenu du livre, tout en subtilité, donne à voir une facette de l’armée américaine pour le moins sombre, celle de la réalité d’un racisme solidement ancré dans le mode de fonctionnement même de cette institution.
Guilloux se retrouve à traduire, auprès du tribunal militaire, les témoignages de femmes violées et de familles endeuillées.
Lorsque le soldat est un afro-américain, la sentence de ne se laisse pas attendre : la pendaison. Et les commentaires d’hommes pourtant affables et parfois hautement raffinés, à l’instar du lieutenant Stone, violoniste et avocat dans le civil (ici chargé d’assumer le rôle de procureur) sont parfois tout bonnement effroyables.
L’iniquité des verdicts se fait jour chez Guilloux lorsque un officier des Rangers, qui a été qualifié par le médecin-chef d’une unité de « killer » et qui est poursuivi pour avoir vidé un chargeur complet dans le dos d’un FFI, se voit acquitter. Cet « ogre des légendes » comme le qualifiera l’écrivain, ressortira rayonnant du tribunal.
Eric Vuillard, dans son excellent propos liminaire, rédige le commentaire suivant à propos d’O.K., Joe ! (p.10) : « pour écrire un tel livre, il faut parvenir à souder dans une même phrase des éléments hétérogènes, mais en partie liés ensemble par une sorte de perversion, la démocratie, l’aisance démocratique des soldats américains, et l’impitoyable ségrégation raciale, ce style bon enfant et ce racisme flagrant.
Et si des remarques racistes affleurent dans la conversation, si les condamnations se succèdent, tout conspire cependant à rendre cette conjugaison des contraires indicible, impensable.
Comment dénoncer le racisme de ceux qui nous libèrent du nazisme ? Comment s’en prendre à nos alliés sans jouer le jeu du stalinisme ? Et comment résoudre tout cela lorsque l’on est soi-même compagnon de route du parti communiste et antistalinien ? Ce sont beaucoup de contradictions pour un seul livre ».
Le voyage d’interprète de Louis Guilloux s’arrêtera à Saint-Quentin. La portée de son témoignage demeure intemporelle.